À vingt-quatre ans, Clara a dormi pour la première fois dans la rue.
Le récit de Clara* est unique, comme celui de près de 1.500 enfants, femmes et hommes accompagné·e·s chaque année par les services de L’Ilot. Elle travaillait comme serveuse dans un restaurant. Mais celui-ci n’a pas surmonté la crise du Covid-19, faute de trésorerie. Le restaurant a fermé définitivement ses portes. Et Clara a donc perdu son emploi.
Son propre couple n’a pas non plus résisté au confinement. Après avoir subi plusieurs agressions particulièrement violentes de la part de son compagnon, Clara prend son courage à deux mains : elle le quitte au milieu de la nuit, emmenant avec elle son fils âgé de trois ans, Lucas.
Elle n’a pas d’autre choix que de déposer Lucas en urgence chez une amie proche. Par fierté, elle donne peu d’explications ; elle lui dit que c’est temporaire.
Et Clara se retrouve sans abri.
Au début, Clara marche pendant des heures dans les rues. Elle s’épuise à chercher une solution qui ne vient pas. À trouver quelqu’un qui pourrait l’aider à sortir de cette situation.
Quand elle se sent trop fatiguée, elle se repose dans un parc. Elle tente de se faire passer pour une touriste. Même si, de toute façon, personne ne fait attention à elle.
« Nous les femmes, c’est parfois même ce qu’on souhaite : qu’on ne nous voie pas. Gommer toute trace de notre féminité, ne plus porter de maquillage, porter des vêtements larges. Devenir invisibles, ne plus être regardées. Pourtant, on est bien là. »
Chaque jour qui passe est de plus en plus difficile, souvent davantage même que la nuit. Car les femmes dans la rue deviennent rapidement des proies.
Alors, Clara finit par rejoindre un squat. Cette solution lui procure un sentiment de sécurité. Dans la rue, une femme est beaucoup plus en danger qu’un homme ; en rejoignant d’autres personnes, elle espère qu’on la laissera tranquille.
Mais le fait de vivre les uns sur les autres, dans la promiscuité permanente et l’absence totale d’intimité, devient de plus en plus difficile. À cela s’ajoutent des gestes déplacés d’un homme en particulier, de plus en plus pressants et oppressants…
Clara est tentée par l’idée de prendre une tente et de s’y réfugier seule. Quitte à affronter les plus grandes craintes d’une femme vivant seule en rue : les vols et les violences physiques, mais plus encore les agressions sexuelles et avec elles le risque de maladies sexuellement transmissibles et de grossesse non désirée…
Un jour, Clara passe par le Centre d’Accueil de jour de L’Ilot. Elle y bénéfice des services de première nécessité. Elle peut, entre autres, y prendre une douche, se reposer, boire et manger.
En parallèle, Clara se voit aussi proposer un accompagnement psychosocial : au cours d’entretiens successifs, elle reçoit une écoute active, bienveillante et empathique et peut enfin déposer ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, que ce soient les violences subies, la difficulté de voir son fils dans des conditions normales ou les perspectives d’avenir.
Etape par étape, on l’accompagne dans ses démarches de remise en ordre administrative, notamment pour rouvrir son droit à un revenu.
Clara est ensuite accueillie au sein de la maison d’accueil pour femmes et enfants de L’Ilot. Elle y obtient une chambre familiale où elle peut enfin se réinstaller avec son fils ; ensemble, ils peuvent à nouveau avoir du temps de qualité, dormir en sécurité sous le même toit et commencer à se projeter dans l’avenir.
Ce séjour en maison d’accueil permet à Clara de retrouver une certaine stabilité et de faire le point sur sa situation. Tout doucement, elle peut entamer sereinement un nouveau départ.
Un jour, elle et son fils peuvent même aller à la côte belge en compagnie de l’équipe sociale et des autres résident·e·s de la maison d’accueil : Lucas voit la mer pour la première fois, il construit des châteaux de sable avec d’autres enfants tout l’après-midi ; pour la première fois depuis si longtemps, il joue et rit… comme un enfant.
Enfin, Clara participe au projet d’économie sociale Les Pots de L’Ilot : elle apprend à cuisiner des recettes originales à partir de produits exclusivement bio, qui sont ensuite proposées à la vente aux particuliers.
Cette formation lui permet d’acquérir les bases en matière de règles de sécurité et d’hygiène, de respect des proportions, de surveillance de la température de cuisson des ingrédients, etc. En se reconnectant avec sa passion de la cuisine et en la partageant avec d’autres, Clara retrouve aussi l’estime d’elle-même.
Aujourd’hui, Clara a retrouvé un emploi : elle est devenue cheffe de cuisine dans un restaurant social. Nos équipes l’ont aussi aidée à retrouver un logement, un petit appartement au rez-de-chaussée, dans lequel elle vit avec son petit garçon.
* Prénom d’emprunt
Pierre
Pierre* a 42 ans. La rue, il l’a connue pendant plusieurs années. La situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui, il ne l’a pas vue arriver.
Après une reconversion professionnelle, il devient professeur d’histoire remplaçant. Malheureusement, sa passion pour son métier ne suffit pas à payer les factures. Pierre est diabétique au stade avancé et doit régulièrement s’absenter du travail. Les contrats se font de plus en plus rares.
Parents de deux enfants, Tom (10 ans) et Maya (5 ans), Pierre et sa compagne décident de mettre un terme à leur histoire. Pierre quitte le logement dans lequel il a vu ses enfants grandir et décide de les laisser avec leur mère, mais pour aller où ? Très vite, il entre en dépression et perd pied.
Un ami accepte de loger Pierre pendant un moment. Mais l’appartement est minuscule : Pierre doit dormir sur le canapé. La cohabitation devient rapidement impossible, la relation entre les deux amis se dégrade… Il doit s’en aller. Partir mais à nouveau, où ?
C’est alors que Pierre découvre le monde de la rue. En quelques années, il y prend ses habitudes. Pour avoir chaud, il a son spot dans le métro, toujours le même. Au bout d’un moment, puisqu’il n’a plus aucune adresse de référence et qu’il a disparu des radars administratifs, il ne perçoit plus son allocation de chômage. De toute façon, il venait de se faire voler sa carte de banque...
C’est par le bouche à oreille que Pierre découvre les services de L’Ilot. Passées les hésitations liées à la honte de sa situation, il appelle et est redirigé vers une maison d’accueil pour hommes, où il est rapidement accueilli pour un hébergement temporaire.
Les premières semaines sont difficiles mais, au moins, il n’est plus seul. Il écoute les histoires de vie des personnes avec qui il partage temporairement la sienne. Dans le jardin de la maison, Pierre s’intéresse à la récolte du miel, à la culture des fruits et légumes. Après quelques semaines de repos, il lance avec le soutien des équipes de L’Ilot les premières démarches pour préparer son nouveau départ.
Depuis qu’il était à la rue, Pierre ne voyait plus ses deux enfants. Il ne voulait pas qu’ils s’inquiètent, qu’ils voient leur papa dans une situation précaire. Le reste de sa famille n’est pas au courant de sa situation. Ses parents pensent qu’il vit chez un ami. Lorsqu’il quitte la maison d’accueil pendant la journée, il fait en sorte qu’on ne puisse pas le reconnaître, de peur de croiser un proche.
Lors de son séjour, les assistant·e·s sociaux·ales et les éducateurs·trices l’accompagnent dans toutes ses démarches. C’est également à la cellule Capteur et Créateur de Logements qu’il devra sa sortie de la maison d’accueil en faveur d’une solution de logement durable.
Depuis deux mois, Pierre s’endort chez lui tous les soirs. Il apprécie sa routine retrouvée. Son chez-lui, il a été acheté par un particulier : un investisseur social qui, par l’intermédiaire de L’Ilot, a décidé d’aider des publics sans abri à se reloger dignement.
L’appartement est petit mais confortable et surtout, il y a deux chambres : la sienne et celle où il peut à nouveau accueillir ses enfants. Grâce à un appel à la solidarité lancé sur les réseaux sociaux à l’initiative du Service d’accompagnement à domicile, Pierre a même trouvé de quoi la meubler de deux lits et de jouets.
En attendant que sa situation financière s’améliore, Pierre continue de fréquenter L’Ilot une fois par semaine pour recevoir un colis alimentaire. Ces visites lui permettent d’avoir le soutien de l’équipe sociale dans les démarches administratives qui restent compliquées pour lui, mais aussi d’entretenir la relation avec certains résidents entretemps devenus ses amis.
*Prénom d'emprunt
L'Ilot en 2019
1171 personnes accompagnées par les services de L’Ilot
- 97 enfants
- 30 Familles
- 237 femmes
- 837 hommes
22.651 nuitées en maison d'accueil
121 personnes relogées
47.028 repas
4.092 petits-déjeuners servis à des personnes ayant dormi en rue
25.903 douches
546 lessives
80 travailleurs et travailleuses
37 volontaires
Nos valeurs, notre positionnement, notre raison d’être
Notre job à L’Ilot, c’est d’accueillir et accompagner les personnes sans abri ou en risque de sans-abrisme, d’améliorer leurs conditions de vie en travaillant à leurs côtés à la réouverture de leurs droits, à terme de favoriser leur trajet d’émancipation.
Cette action s’inscrit dans un projet plus global de lutte contre les inégalités. Elle comprend donc forcément une dimension militante et politique. Elle se démarque volontairement de toute démarche humanitaire ou caritative, qui se limiterait à agir ponctuellement tout en observant de loin l’augmentation de la précarité et ses effets sur les publics les plus fragiles. Notre action vise la justice sociale et veut lutter structurellement contre le sans-abrisme par le rétablissement des droits des personnes.
L’ensemble de nos services visent à répondre aux besoins rencontrés par les personnes sans abri et en situation de grande précarité en organisant toute l’année une offre large et diversifiée de services adaptés aux situations particulières de chaque femme, de chaque homme et de chaque famille concernée.
Notre approche est triple : elle passe tout à la fois par un accompagnement psychosocial individuel et sur mesure, un travail collectif incluant le public cible dans les modes de gestion et de fonctionnement des services proposés et un engagement sociétal qui implique une réflexion sur les causes sociétales du sans-abrisme et de la pauvreté.
Au quotidien, L’Ilot se donne comme objectif la construction de solutions dignes et durables pour permettre aux personnes de sortir définitivement du sans-abrisme et de se projeter durablement dans l’avenir en tant que membres reconnu·e·s de la société, disposant de l’ensemble de leurs droits et en capacité d’exercer leurs devoirs.