2022 : Entre crises et innovations sociales
Gare du Midi – 2023 ©Arnaud Ghys
« Mon propriétaire nous a expulsés de notre appartement. Je n’arrivais plus à suivre… ».
Voici les paroles de Julie*, une jeune maman de 24 ans, à son arrivée dans notre Maison d’accueil pour femmes et familles.
Son récit douloureux illustre tristement les ravages causés par les multiples crises qui ont frappé de plein fouet de trop nombreuses familles en 2022.
Julie* a deux enfants : Rose* et Léo*, des jumeaux de 6 ans. Suite à une séparation avec un conjoint violent, la jeune femme a dû tout assumer seule. Ses revenus d’aide familiale n’ont pas suffi à combler la hausse des prix de l’énergie et du coût de la vie en général.
Après des semaines de privation de nourriture et de chauffage ainsi que des rappels de factures impayées dans sa boîte aux lettres, Julie a fini par être expulsée de son appartement par son propriétaire peu scrupuleux.
La famille s’est retrouvée à la rue, en plein hiver.
À son arrivée dans notre Maison d’accueil pour femmes et familles, lors de son premier entretien avec notre assistante sociale, Julie était complètement paniquée : « J’ai peur qu’on me retire mes enfants ».
L’épreuve qu’a vécue cette famille est loin d’être un cas isolé. De plus en plus de femmes, d’hommes et d’enfants très vulnérables font appel à nos services. Nos équipes doivent désormais redoubler de créativité et d’ingéniosité pour faire davantage sans disposer pour autant de plus de moyens.
La crise énergétique nous a toutes et tous touchés. Les publics que nous accompagnons mais également notre structure. À L’Ilot, nous devons faire face à une explosion des coûts, énergétiques et salariaux, sans qu’ils soient compensés par les aides publiques alors que les missions que notre équipe réalise au quotidien sont précisément publiques.
Nous devons assumer nous-mêmes la prise en charge des augmentations de salaires, de chauffage et d’électricité, des biens de première nécessité que nous fournissons aux personnes hébergées et accompagnées par nos services…
Si le niveau de l’envolée des prix du gaz et de l’électricité a certes baissé depuis le pic de l’été 2022, les prix sont toujours trois fois plus élevés que ce qu’ils étaient au début de l’année 2021.
Malgré ces augmentations, nous avons pu compter sur nos donatrices et donateurs et je suis profondément reconnaissante de leur solidarité. Car en ces temps difficiles, leur contribution est indispensable !
Je ne vais pas tourner autour du pot : notre viabilité financière est en péril. Et comme un malheur n’arrive jamais seul : 2022, comme vous le savez, a également été marquée par un terrible incendie survenu au mois de mai dans notre Maison d’accueil pour hommes de Jumet.
L’incendie n’a heureusement pas fait de blessé parmi les résidents et les membres de notre équipe sociale. Toutefois, les dégâts matériels et psychologiques ont été catastrophiques et ont lourdement grevé nos finances.
Ces situations nous ont contraints, la mort dans l’âme, à prendre des décisions douloureuses : non renouvellement des contrats à durée déterminée, non remplacement des départs en fin de carrière, coupes dans les dépenses, etc. Sur le terrain, les forces vives s’amenuisent, diminuant par conséquent les services rendus à nos publics.
Les crises n’auront pas eu raison de notre détermination à éradiquer le sans-abrisme.
C’est pourtant grâce à l’engagement des professionnels et professionnelles de terrain qu’à L’Ilot nous avons pu en 2022 initier, poursuivre et concrétiser de très belles réalisations.
Les crises n’auront pas eu raison de la détermination de nos équipes ! Au contraire, nos travailleuses et travailleurs ont redoublé d’efforts pour voir aboutir deux projets majeurs en 2022 : premièrement, en septembre, l’inauguration de la quatrième Maison d’accueil de L’Ilot à Marchienne-au-Pont et de La Recyclerie attenante.
La concrétisation de ce double projet nous permet, d’une part, de poursuivre nos missions d’accueil d’urgence et d’accompagnement psychosocial des personnes sans abri, et d’autre part, de mettre en place un véritable projet d’économie sociale et circulaire : les objets collectés et upcyclés par la Recyclerie, au sein de laquelle peuvent s’investir les hommes sans abri de la Maison d’accueil, sont proposés à la revente. Les bénéfices générés par cette activité permettent de soutenir l’action de L’Ilot.
Deuxièmement, grâce au travail assidu des équipes de L’Ilot, nous avons pu ouvrir notre Centre d’accueil de jour pour femmes, le premier du genre en Belgique. Ce dispositif bas seuil non mixte, pensé par et pour les femmes, vise à offrir un espace sécurisant et un moment de répit aux femmes en errance et en situation de grande précarité. À travers ce projet, L’Ilot veut relever le défi d’un accueil de qualité basé sur une approche globale respectueuse des droits des femmes et visant leur émancipation.
À L’Ilot, nous concentrons également nos actions sur les personnes en risque de sans-abrisme : des personnes qui vivent dans des logements insalubres, des femmes victimes de violences conjugales, des jeunes rejetés par leur famille en raison de leur orientation sexuelle, etc. Car éviter la première nuit en rue, c’est éviter la dégradation de la santé physique, psychologique et mentale des personnes liée à la violence de la vie en rue et le parcours du ou de la combattante pour retrouver un logement.
À travers ces nouvelles structures pérennes, L’Ilot démontre sa capacité à innover et à réaffirmer son ancrage sur le terrain. Ces projets d’innovation sociale et plus largement l’ensemble des actions menées dans les différents services de L’Ilot (Captation et Création de Logements, Service d’Installation en Logement, Service d’Accompagnement à Domicile, Les Pots de L’Ilot, La Recyclerie de L’Ilot, Les Cuisines de L’Ilot, nos Centres de jour et nos Maisons d’accueil) proposent de nouveaux modèles pour lutter efficacement contre le sans-abrisme et la grande précarité.
Comme vous pourrez le découvrir au fil des pages de ce rapport d’activité, 2022 aura permis aux femmes, aux enfants et aux hommes que nous accompagnons de retrouver des conditions de vie dignes.
*Prénom d’emprunt
Ce témoignage a été reconstitué avec plusieurs éléments véridiques rassemblés et retravaillés.
Bonne lecture,
Le secteur du sans-abrisme, le grand oublié du tarif social
S’inscrivant dans une démarche sectorielle, nous avons réclamé durant des mois que les centres d’hébergement destinés aux personnes sans abri puissent bénéficier du tarif social pour le gaz et l’électricité. Pour quel résultat ? Nous avons été complètement ignorés !
Notre position est pourtant juste : il n’est pas normal de devoir payer le prix fort pour pouvoir chauffer des bâtiments qui sont occupés par des personnes qui, si elles étaient dans leur logement personnel, auraient évidemment accès au tarif social. D’autant qu’il existe une disposition légale pensée pour des collectivités qui assurent le logement et le chauffage de personnes qui, de toute évidence, ont droit au tarif social. C’est le cas des CPAS ou des agences immobilières sociales.
Devra-t-on, à l’avenir, nous résoudre à fermer un service pour sauver les autres ? Une certitude : nous continuerons à alerter les autorités publiques, tant wallonnes que bruxelloises, par rapport au risque de voir des centaines de personnes sans solution d’hébergement et d’accompagnement social. Ce serait catastrophique !