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Aurélie Van De Walle

2022 : Entre crises et innovations sociales 1024 576 L'Ilot

2022 : Entre crises et innovations sociales

Gare du Midi – 2023 ©Arnaud Ghys

« Mon propriétaire nous a expulsés de notre appartement. Je n’arrivais plus à suivre… ».

Voici les paroles de Julie*, une jeune maman de 24 ans, à son arrivée dans notre Maison d’accueil pour femmes et familles.

Son récit douloureux illustre tristement les ravages causés par les multiples crises qui ont frappé de plein fouet de trop nombreuses familles en 2022.

Julie* a deux enfants : Rose* et Léo*, des jumeaux de 6 ans. Suite à une séparation avec un conjoint violent, la jeune femme a dû tout assumer seule. Ses revenus d’aide familiale n’ont pas suffi à combler la hausse des prix de l’énergie et du coût de la vie en général.

Après des semaines de privation de nourriture et de chauffage ainsi que des rappels de factures impayées dans sa boîte aux lettres, Julie a fini par être expulsée de son appartement par son propriétaire peu scrupuleux.

La famille s’est retrouvée à la rue, en plein hiver.

À son arrivée dans notre Maison d’accueil pour femmes et familles, lors de son premier entretien avec notre assistante sociale, Julie était complètement paniquée : « J’ai peur qu’on me retire mes enfants ».

L’épreuve qu’a vécue cette famille est loin d’être un cas isolé. De plus en plus de femmes, d’hommes et d’enfants très vulnérables font appel à nos services. Nos équipes doivent désormais redoubler de créativité et d’ingéniosité pour faire davantage sans disposer pour autant de plus de moyens.

La crise énergétique nous a toutes et tous touchés. Les publics que nous accompagnons mais également notre structure. À L’Ilot, nous devons faire face à une explosion des coûts, énergétiques et salariaux, sans qu’ils soient compensés par les aides publiques alors que les missions que notre équipe réalise au quotidien sont précisément publiques.

Nous devons assumer nous-mêmes la prise en charge des augmentations de salaires, de chauffage et d’électricité, des biens de première nécessité que nous fournissons aux personnes hébergées et accompagnées par nos services…

Si le niveau de l’envolée des prix du gaz et de l’électricité a certes baissé depuis le pic de l’été 2022, les prix sont toujours trois fois plus élevés que ce qu’ils étaient au début de l’année 2021.

Malgré ces augmentations, nous avons pu compter sur nos donatrices et donateurs et je suis profondément reconnaissante de leur solidarité. Car en ces temps difficiles, leur contribution est indispensable !

Je ne vais pas tourner autour du pot : notre viabilité financière est en péril. Et comme un malheur n’arrive jamais seul : 2022, comme vous le savez, a également été marquée par un terrible incendie survenu au mois de mai dans notre Maison d’accueil pour hommes de Jumet.

L’incendie n’a heureusement pas fait de blessé parmi les résidents et les membres de notre équipe sociale. Toutefois, les dégâts matériels et psychologiques ont été catastrophiques et ont lourdement grevé nos finances.

Ces situations nous ont contraints, la mort dans l’âme, à prendre des décisions douloureuses : non renouvellement des contrats à durée déterminée, non remplacement des départs en fin de carrière, coupes dans les dépenses, etc. Sur le terrain, les forces vives s’amenuisent, diminuant par conséquent les services rendus à nos publics.

Les crises n’auront pas eu raison de notre détermination à éradiquer le sans-abrisme.

C’est pourtant grâce à l’engagement des professionnels et professionnelles de terrain qu’à L’Ilot nous avons pu en 2022 initier, poursuivre et concrétiser de très belles réalisations.

Les crises n’auront pas eu raison de la détermination de nos équipes ! Au contraire, nos travailleuses et travailleurs ont redoublé d’efforts pour voir aboutir deux projets majeurs en 2022 : premièrement, en septembre, l’inauguration de la quatrième Maison d’accueil de L’Ilot à Marchienne-au-Pont et de La Recyclerie attenante.

La concrétisation de ce double projet nous permet, d’une part, de poursuivre nos missions d’accueil d’urgence et d’accompagnement psychosocial des personnes sans abri, et d’autre part, de mettre en place un véritable projet d’économie sociale et circulaire : les objets collectés et upcyclés par la Recyclerie, au sein de laquelle peuvent s’investir les hommes sans abri de la Maison d’accueil, sont proposés à la revente. Les bénéfices générés par cette activité permettent de soutenir l’action de L’Ilot.

Deuxièmement, grâce au travail assidu des équipes de L’Ilot, nous avons pu ouvrir notre Centre d’accueil de jour pour femmes, le premier du genre en Belgique. Ce dispositif bas seuil non mixte, pensé par et pour les femmes, vise à offrir un espace sécurisant et un moment de répit aux femmes en errance et en situation de grande précarité. À travers ce projet, L’Ilot veut relever le défi d’un accueil de qualité basé sur une approche globale respectueuse des droits des femmes et visant leur émancipation.

À L’Ilot, nous concentrons également nos actions sur les personnes en risque de sans-abrisme : des personnes qui vivent dans des logements insalubres, des femmes victimes de violences conjugales, des jeunes rejetés par leur famille en raison de leur orientation sexuelle, etc. Car éviter la première nuit en rue, c’est éviter la dégradation de la santé physique, psychologique et mentale des personnes liée à la violence de la vie en rue et le parcours du ou de la combattante pour retrouver un logement.

À travers ces nouvelles structures pérennes, L’Ilot démontre sa capacité à innover et à réaffirmer son ancrage sur le terrain. Ces projets d’innovation sociale et plus largement l’ensemble des actions menées dans les différents services de L’Ilot (Captation et Création de Logements, Service d’Installation en Logement, Service d’Accompagnement à Domicile, Les Pots de L’Ilot, La Recyclerie de L’Ilot, Les Cuisines de L’Ilot, nos Centres de jour et nos Maisons d’accueil) proposent de nouveaux modèles pour lutter efficacement contre le sans-abrisme et la grande précarité.

Comme vous pourrez le découvrir au fil des pages de ce rapport d’activité, 2022 aura permis aux femmes, aux enfants et aux hommes que nous accompagnons de retrouver des conditions de vie dignes.

*Prénom d’emprunt

Ce témoignage a été reconstitué avec plusieurs éléments véridiques rassemblés et retravaillés.

Bonne lecture,

Le secteur du sans-abrisme, le grand oublié du tarif social

S’inscrivant dans une démarche sectorielle, nous avons réclamé durant des mois que les centres d’hébergement destinés aux personnes sans abri puissent bénéficier du tarif social pour le gaz et l’électricité. Pour quel résultat ? Nous avons été complètement ignorés !
Notre position est pourtant juste : il n’est pas normal de devoir payer le prix fort pour pouvoir chauffer des bâtiments qui sont occupés par des personnes qui, si elles étaient dans leur logement personnel, auraient évidemment accès au tarif social. D’autant qu’il existe une disposition légale pensée pour des collectivités qui assurent le logement et le chauffage de personnes qui, de toute évidence, ont droit au tarif social. C’est le cas des CPAS ou des agences immobilières sociales.

Devra-t-on, à l’avenir, nous résoudre à fermer un service pour sauver les autres ? Une certitude : nous continuerons à alerter les autorités publiques, tant wallonnes que bruxelloises, par rapport au risque de voir des centaines de personnes sans solution d’hébergement et d’accompagnement social. Ce serait catastrophique !

Crise de l’accueil : une énième gestion problématique du fédéral qui aggrave toujours plus l’ampleur du sans-abrisme 1024 576 L'Ilot

Crise de l’accueil : une énième gestion problématique du fédéral qui aggrave toujours plus l’ampleur du sans-abrisme

Ce week-end, un collectif citoyen a ouvert un nouveau bâtiment vide rue de la Loi, afin d’y loger des demandeuses et demandeurs d’asile laissés sur le carreau par l’État fédéral.

L’action est avant tout politique : situé juste à côté du siège du CD&V, l’ouverture du bâtiment vise à mettre la pression sur le gouvernement fédéral - et plus particulièrement sur sa secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Nicole de Moor (CD&V) - afin qu’il honore enfin ses obligations légales. En effet, l'accueil des personnes en demande d'asile et leur hébergement durant toute la durée de la procédure, appels inclus, constituent des obligations découlant de la ratification par la Belgique de la convention de Genève du 28 juillet 1951. C’est une obligation qui était globalement respectée par la Belgique jusqu’ici. Ce n’est désormais plus le cas. Depuis octobre 2021, l’État belge et Fedasil ont déjà été sanctionnés 8600 fois par différents tribunaux du travail pour ne pas avoir honoré ces engagements. L’État et l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile refusent de se plier aux jugements et c’est très inquiétant : quand le gouvernement lui-même fait fi de l’État de droit cela crée un dangereux précédent

Le nombre de personnes sans abri à Bruxelles ne fait qu’augmenter de manière très inquiétante depuis une dizaine d’année. Et une partie de la responsabilité de cette augmentation est à mettre au crédit des politiques migratoires désastreuses du gouvernement fédéral : 

On se souvient, en 2015 déjà, de ces centaines de migrantes et migrants dormant dehors dans le parc Maximilien, qui avaient être logés par des citoyens et citoyennes faute d’initiatives suffisantes de l’État. Ces collectifs citoyens ont continué à exister pour prendre en charge les populations de personnes en situation de transmigration : ces personnes cherchant à rejoindre le Royaume-Uni ou d’autres pays et qui ne sont en Belgique que pour une période de transit. Cet accueil reste insuffisant et repose encore trop largement sur le bénévolat de nombreux citoyens et citoyennes belges.

Par ailleurs, la non-gestion de la problématique des personnes sans papiers par le gouvernement conduit ce groupe de population à s’accroître encore et encore. Une récente étude de la VUB estimait le nombre de personnes sans papiers en Belgique à 112 000. Autant de personnes vivant, pour certaines, depuis de nombreuses années en Belgique, à qui on ne reconnaît quasi aucun droit. La part de personnes sans papiers dans la population sans abri à Bruxelles est de plus en plus importante : selon certaines estimations faites par les associations de terrain, elle pourrait en représenter la moitié. Or, pour une majorité de ces personnes, l’obtention de papiers serait synonyme d’une possible sortie de rue, voire aurait permis d’éviter de les y conduire si elle était survenue plus tôt dans leur parcours. En laissant cette population quasiment sans possibilité d’être régularisée, c’est une bombe à retardement que prépare le gouvernement fédéral. 

La catastrophe sociale, elle, est déjà bien là : à croissance structurelle de la population sans abri, s’ajoute maintenant un nombre toujours plus important de personnes sans papiers, de personnes transmigrantes et maintenant de personnes en demande d’asile. Le secteur sans abri est un des acteurs qui subit de plein fouet cette réalité. Nos moyens, quand ils augmentent, le font moins que ce que nécessite la situation, et c’est par ailleurs de l’argent « jeté » dans l’urgence plutôt qu’investi dans la mise en place de réponses structurelles au sans-abrisme. L’Union Européenne s’est fixée comme objectif la fin du sans-abrisme en 2030, souhait repris par les autorités belges. Mais à ce stade, vu l’évolution actuelle, la réalité la plus plausible en Belgique à cette date sera « Il n’y a jamais eu autant de femmes, d’hommes et d’enfants sans abri qu’en 2030 ! ». 

Nous ajoutons donc notre voix à la voix de celles et ceux qui réclament des solutions au gouvernement fédéral : 

  • l'hébergement immédiat à partir du dépôt de la demande d’asile comme la loi le prévoit ;
  • la régularisation des personnes sans-papiers qui se trouvent en Belgique sur base de critères clairs et permanents, que sont les attaches durables, le travail, l’inéloignabilité et le risque d’atteinte à un droit fondamental en cas de retour ; ainsi que la création d’une commission de régularisation indépendante ;
  • la fin de la répression généralisée de ces différents publics en observation de la Déclaration Universelle des Droits Humains dans ses articles 13 et 14 : « 13.2  Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. 14.1 Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. »

Pour plus d'infos 

Participez à la soirée Bingo de L’Ilot animée par Aymeric Lompret ! 1024 577 L'Ilot

Participez à la soirée Bingo de L’Ilot animée par Aymeric Lompret !

Un événement festif destiné à célébrer l’ouverture du premier Centre de jour pour femmes sans abri en Belgique. L’aboutissement d’un projet au long cours pour notre association et l’occasion pour nous de vous convier à une soirée événement à La Tricoterie ce samedi 1er juillet.

L’ASBL L’Ilot lutte contre le sans-abrisme depuis 60 ans. Si l’inauguration d’une nouvelle structure signifie de facto que la lutte contre le sans-abrisme en Belgique est loin d’être terminée, l’ouverture de ce premier Centre de jour pour femmes sans abri en Belgique marque la reconnaissance de notre combat pour la prise en compte d’un sans-abrisme au féminin.

CONCRÈTEMENT, C’EST QUOI CETTE SOIREE BINGO ?

Un moment délirant en compagnie de l’humoriste français Aymeric Lompret ! Révélé entre autres sur les antennes de France Inter, Aymeric Lompret tourne actuellement en France et en Belgique avec son spectacle « Yolo », lui qui vit depuis plusieurs années au-dessus d’un Centre de jour pour personnes sans-abri à Lille.

Pour l’occasion, il nous fera le bonheur d’animer une soirée Bingo (19h-20h30) exceptionnelle autour de la thématique du sans-abrisme. Du rire absurde, mais conscient. A la clé, de vraies barres de rires, mais surtout des vraies places de stand-up pour aller le voir lui et ses copains sur scène !

La soirée continuera sur le dance floor avec DJ Gaz & Mc Ginette (21h-22h30) ! Au programme, du bon son dans les oreilles et une playlist garantie à 99% voix féminine ! Viendra ensuite l’heure de Club Chaos (22h30-00h00) et leur enivrant VJing.

Le tout entrecoupé d’un accès au buffet concocté avec les produits de la récolte alimentaire de L’Ilot et de l’ultra Happy Hour (18-19h).

Chaque réservation comprend donc :

  • L’entrée à notre événement
  • Le(s) verre(s) de l’amitié offert entre 18 et 19h
  • L’accès à notre buffet concocté avec les produits de la récolte alimentaire de L’Ilot
  • Un carton de participation au Bingo animé par l’incroyable Aymeric Lompret
  • L’accès à la soirée dansante qui suivra !

Prix : 30 € par personne. Les instructions de paiement vous seront communiquées à la suite de l’envoi de votre email.

Aussi, pour maximiser vos chances de gains, mais aussi faire un geste envers notre association, d’autres cartons de Bingo seront également disponibles à l’achat le soir même.

Il vous sera également possible d’acheter Les Pots de L’Ilot, un projet d’économie sociale de produits certifiés bio, en bocaux pasteurisés, préparés par une équipe de personnes qui suivent un programme de (pré)formation aux métiers de l’Horeca. Notre gamme compte à ce jour 3 préparations végétariennes. Plus d’infos ici.

Pour la suite de la soirée, le bar de la Tricoterie vous sera accessible.

AU PROGRAMME
  • 18h-19h : l'ultra Happy Hour
  • 19h-20h30 : Bingo animé par Aymeric Lompret
  • 21h-22h30 : DJ Gaz & Mc Ginette
  • 22h30-00h00 : Club Chaos

Prix : 30 € par personne.

RESERVATION OBLIGATOIRE AVANT LE 15 JUIN VIA INFO@ILOT.BE

Kart #6 | « Je n’ai pas de logement à moi, mais je ne me considère pas comme sans abri » 1024 576 L'Ilot

Kart #6 | « Je n’ai pas de logement à moi, mais je ne me considère pas comme sans abri »

C’est un paradoxe, mais la majorité des personnes sans abri ne vivent pas en rue.

S’il s’agit d’une réalité bien visible, elle ne représenterait que la partie émergée de l’iceberg, soit 5 % du public dénombré lors d’une étude menée par l’UCLouvain, la KU Leuven et la Fondation Roi Baudouin. Des recherches qui tendent à prouver que le sans-abrisme est d’abord et avant tout une réalité tenue secrète par la plupart des personnes concernées. Une discrétion qui s’expliquerait d’abord par la peur du regard d’autrui.

« J’ai une technique très simple : je ne dis jamais la vérité. En tout cas pas dès la première rencontre. Parce que cela fausserait la relation. Et que cela amène tout de suite du jugement. » À 39 ans, Haïcha manie toutes les ficelles d’une double vie trop bien rôdée. Celle d’une mère de famille contrainte de cacher à ses proches qu’elle fréquente la Maison d'accueil d'urgence pour femmes et familles de L’Ilot depuis maintenant cinq mois.

« Parfois, on a l’impression de se mentir à soi-même à force de faire semblant » surenchérit pour sa part Marc, résident d’une des Maisons d’accueil pour hommes de L’Ilot. Marc aussi est père de famille mais a perdu la garde de ses enfants en raison de sa situation. Et c’est auprès de ses collègues, qu’il fréquente quotidiennement sur son lieu de travail, qu’il a décidé de garder sa situation secrète. « Pour eux, je suis quelqu’un de normal. Qui arrive à l’heure le matin au travail et qui repart tranquillement chez lui le soir. Ils ne savent pas que je ne rentre pas chez moi. Que je dors dans un dortoir et que je partage le quotidien d’autres hommes qui comme moi, on tout perdu ou presque. »

Haïcha et Marc ne se connaissent pas. Ils ne se rencontreront peut-être même jamais. Leur quotidien les rapproche pourtant sur un point : leurs capacités communes à rendre invisible leur sans-abrisme.

« Le plus dur, je pense que c’est pour mes enfants », avoue Haïcha. « Eux, ils ont honte de devoir assumer cette situation au quotidien avec leurs amis à l’école. Et moi avec leurs professeurs. C’est pour ça que je préfère ne rien dire. Malheureusement, pour nous, le mensonge, c’est un passage obligé. Parce que tu ne peux pas anticiper la réaction des gens. »

Une peur de se mettre à nu qui empêche parfois la prise de conscience. Mais comment accepter de se considérer comme personne sans abri quand on a un salaire ? Quand on est mère ou père de famille ? « Je n’ai pas de logement à moi, mais je ne me considère pas comme sans abri », clarifie Marc. « Je ne suis pas un clochard. Celui qui est un clochard, c’est celui qui est en rue, qui ne travaille pas. Même si ce n’est pas le mien et même s’il est provisoire, moi j’ai un toit. Et j’ai même un travail. C’est déjà ça. »

« Invisibilisation »

La réalité du « sans-abrisme caché », c’est aussi celle vécue par Amélie (25 ans). Après avoir fui un compagnon violent, elle s’est retrouvée seule en pleine nuit avec leur petite fille Laure. Sans nulle part où aller, Amélie n’a pas eu d’autre choix que de passer les nuits dans sa voiture.

Elle est parvenue à maintenir les apparences coûte que coûte. Ne jamais montrer qu’elle vit dans sa voiture ; trouver des solutions de débrouille pour pouvoir se laver, se brosser les dents. Amener Laure à l’école tous les matins.

Amélie et sa fille vivent donc à la rue. Et pourtant, elles ne seront pas comptabilisées lors d’un dénombrement. Ni celles et ceux qui dorment dans des lieux non identifiés par les services de L’Ilot. Ni les personnes hébergées provisoirement par des proches. Ni les femmes qui marchent en rue toute la nuit.

L'interview d'Haïcha, résidente de la Maison d’accueil d'urgence pour femmes et familles de L'Ilot.

Le témoignage de Marc, résident d’une des Maisons d’accueil pour hommes de L’Ilot.

Kart #6 | « Notre volonté, c’est de créer du lien, de mettre des mots sur ce qui est tabou. Sur ce qui est caché. » 1024 576 L'Ilot

Kart #6 | « Notre volonté, c’est de créer du lien, de mettre des mots sur ce qui est tabou. Sur ce qui est caché. »

Quelle place prend le sans-abrisme caché dans ton travail au quotidien ?

C’est quelque chose qui est extrêmement présent. Il est à associer à la culpabilité, à la honte que chaque usagère peut porter en elle. C’est la conséquence directe du manque de soutien, d’aide et d’écoute auquel ces femmes ont été confrontées tout au long de leur trajectoire. C’est là que le sentiment de culpabilité naît.

Le discours ambiant auquel ces femmes sont souvent confrontées consiste à considérer comme normal le fait d’avoir subi les violences qui souvent vont mener par la suite au basculement vers la rue. Elles peuvent être physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, mais elles sont toujours le point de départ d’un parcours d’errance.

Un parcours qui mènera ensuite à une situation de très grande précarité, puis de sans-abrisme qu’elles ne voudront pas assumer par peur du jugement. C’est une des formes du sans-abrisme caché. Et c’est d’abord un cercle vicieux qui n’aide ni à leur reconstruction ni à leur rétablissement.

Comment établir un lien de confiance avec des personnes qui en sont réduites à devoir s’invisibiliser à ce point pour cacher leur situation ?

L’idée n’est jamais de convaincre. Et de potentiellement amener une violence supplémentaire. Notre volonté, c’est de créer du lien, du relationnel. De mettre des mots sur ce que l’on tait habituellement dans leur sphère privée. Sur ce qui est tabou. Sur le silence. Sur ce qui est caché. Sur ce qu’on voudrait ne pas voir, mais qui existe. Je dirais qu’il n’y a pas une seule manière de fonctionner. On s’adapte avant tout à la personne qui se trouve en face de nous, au récit qu’elle nous renvoie, mais la base doit toujours être l’écoute.

Est-ce qu’une partie de votre travail, ce n’est pas aussi de parvenir à faire accepter la situation aux premières concernées ?

On observe en tout cas qu’à leur arrivée chez nous, beaucoup de mamans ne veulent pas voir L’Ilot comme une Maison d’accueil pour personnes sans abri. Elles préfèrent dire que c’est un centre de vacances. Un endroit où leurs enfants vont se sentir bien, où ils vont pouvoir s’amuser. Très vite, c’est à nous d’expliquer que non, nous ne sommes pas un centre de vacances. Là encore, il s’agit de mettre des mots sur une réalité. Parce qu’accepter cette réalité, c’est une étape essentielle pour pouvoir se reconstruire. Bien sûr, on s’adapte à l’âge de chaque enfant, mais c’est notre métier aussi d’expliquer que maman rencontre certaines difficultés pour le moment et qu’ils ont ici un espace pour se sentir en sécurité et trouver l’aide dont ils ont besoin. Et pour tenter de retrouver un chez-soi le plus rapidement possible.

Statistiquement, les femmes représenteraient à peine plus de 20% des personnes sans abri. Or, on sait que ces chiffres officiels sont trompeurs. Comment expliquer que les femmes soient si peu visibles en rue ?

Parce que les femmes savent qu’elles ne sont en sécurité nulle part. Elles ne sont même pas en sécurité chez elles, où elles vivent des violences conjugales. Et encore moins en rue, qu’elles évitent à tout prix parce qu’elles savent que l’espace public, surtout la nuit, est synonyme de risque d’agressions. Du coup, lorsqu’elles se retrouvent sans logement, parce qu’elles ont quitté un conjoint violent ou parce que, mamans solos, elles ne s’en sortent plus à payer toutes seules les factures, elles déploient toute une série de stratégies d’évitement de la rue : dormir sur le canapé d’une copine, s’installer provisoirement dans une voiture, etc. Lorsqu’elles sont en rue, elles font tout pour ne pas être repérées et pour éviter les agressions : marcher toute la nuit, se masculiniser, etc. Surtout, ne pas avoir l’air d’errer. Toutes ces situations de sans-abrisme caché échappent aux dénombrements, ce qui fait dire aux statistiques que les femmes sont moins nombreuses que les hommes à vivre l’errance. Alors qu’on voit bien qu’elles sont clairement dans des situations de très grande précarité.

Le fait est que pour qu’une femme arrive chez nous, il y a un chemin énorme. Aussi parce qu’il y a une peur réelle de franchir le cap. Et qu’avant d’arriver chez nous, elles ont déjà passé un long moment à vivre cachées, dans un grand isolement.

L'interview d'Axelle Lemaire, travailleuse sociale et assistante psychologue de la Maison d'accueil pour femmes et familles de L’Ilot.

Interview d'Alexandra, coordinatrice de la Maison d'accueil pour hommes de L'Ilot.

Kart #6 | Le sans-abrisme caché 1024 576 L'Ilot

Kart #6 | Le sans-abrisme caché

Pendant longtemps, il était plus facile de ne pas y penser. Ou de se contenter de tenir pour acquis ce que voyaient nos yeux. « Sans abri », c’était d’abord désigner un homme. Barbu de préférence. Aux vêtements sales et aux chaussures trouées. Au visage marqué par la vie. Des signes distinctifs, comme autant de barrières. Celles-là ne nous empêchaient pas de partager leur détresse, mais installaient par la force des choses une distance. Un fossé entre la situation de cet homme seul assis sur un carton et de la jeune femme qui l’observe. Une femme qui se pensait préservée. Oui, mais de quoi ? Et par quel miracle ? Pourquoi le sans-abrisme connaitrait-il une frontière genrée ?

La question n’a plus lieu d’être. En 2023, le sans-abrisme caché est, on le sait, d’abord et aussi du sans-abrisme au féminin. Une réalité invisible avant, mais que nos dernières initiatives en la matière, comme notre recherche-action sur la violence vécue par les femmes sans abri, ont eu le mérite de rendre concrète. Conséquence de quoi, en juin prochain, L’Ilot ouvrira aussi le premier Centre de jour pour femmes sans abri en Belgique. L’aboutissement d’une prise de conscience, mais le début encore d’un nouveau combat à mener. Parce que le sans-abrisme est une hydre à mille têtes. Dont la diversité des visages raconte le combat d’une société qui tourne à l’envers.

Et qui ferait croire aux concernées que ce sont elles les premières responsables de leur situation. Le drame d’une époque incapable d’accompagner celles qui souffrent, mais d’une société devenue référence quand il s’agit de les pointer du doigt. Elles, ce sont ces femmes dont le parcours de rue raconte d’abord une trajectoire de violences multiples : sociale, économique, physiques, psychologiques, sexuelles…

Ces femmes qui, avant d’arriver en rue, venaient déjà peupler les rangs de ce sans-abrisme qui ne dit pas son nom. Invisibles, mais tellement présentes. Coincées chez un conjoint violent, hébergées un temps chez une amie compatissante, pressées par un propriétaire intransigeant ou condamnées à vivre dans une voiture, paniquées à l’idée de faire subir à leurs enfants la violence de la rue... Enfermées, mais à l’intérieur de ce cercle vicieux, ce carcan qui a longtemps rendu inobservable ce sans-abrisme pourtant de masse.

Un comble quand on se sent si seule. Isolée et presque coupable de l’être. De ne pas être entendue, comprise ou écoutée. À défaut de pouvoir toujours réellement chiffrer ce sans-abrisme-là, il y a maintenant des mots. Les témoignages de celles qui chaque jour fréquentent nos services. Et permettent la prise de conscience de chacun et chacune d’entre nous. Une nécessité pour continuer d’avancer ensemble. Sans plus jamais fermer les yeux.

Merci pour le temps que vous prendrez à lire cette réalité, et pour le soutien que vous nous accorderez !

Ariane Dierickx, directrice générale de L’Ilot

8 mars : L’Ilot se mobilise pour faire entendre les droits des femmes ! 1024 576 L'Ilot

8 mars : L’Ilot se mobilise pour faire entendre les droits des femmes !

L’Ilot agit sur le terrain pour le respect des droits des femmes qui fréquentent ses services et de ses travailleuses.

Cette Journée internationale des droits des femmes, c’est l’occasion de rappeler que les femmes sans abri et mal logées mais aussi les travailleuses sociales de notre secteur sont TOUS LES JOURS confrontées, chacune à leur niveau, au sexisme, à la misogynie, à la violence...

  • TOUTES les femmes sans abri ont connu une ou plusieurs formes de violence liée à leur identité de femme. Le viol aussi, pour la grande majorité d’entre elles.
  • TOUTES les travailleuses de L’Ilot ont un jour été confrontées au minimum à des paroles sexistes ou des gestes déplacés.
  • TOUTES les femmes, sans exception, sont quotidiennement exposées au non-respect de leurs droits et aux inégalités par rapport aux hommes.

Ce 8 mars, L’Ilot se mobilise pour faire entendre les droits des femmes :

  • « Tattoos pour toutes » : la Casa Mariposa est un studio de tatouage écoresponsable bruxellois. Ce 31/03, il offre un tatouage gratuit à chaque résidente de notre maison d’accueil pour femmes qui le souhaite ! Les tatoueuses se proposent d’effacer une cicatrice du passé, d’illustrer un nouveau départ, de les aider à retrouver une certaine estime d’elles-mêmes…
  • Grève, réflexion et lutte dans nos services : le temps d’une après-midi, les résidentes, usagères et travailleuses de L’Ilot qui le peuvent sont invitées à laisser de côté leurs obligations pour se retrouver afin de partager un repas, d’échanger sur les initiatives féministes menées à L’Ilot (par exemple, dernièrement, la diffusion d’un questionnaire sur les violences sexistes au travail) et de préparer des banderoles et calicots pour le grand rassemblement et la marche qui se tiendront en fin de journée !
  • Manifestation nationale : les collègues, usagers et usagères sympathisants et sympathisantes qui le désirent rejoignent les participantes de l’après-midi de grève pour se rendre dans le centre de Bruxelles et participer à la manifestation nationale pour les droits des femmes, en compagnie d’autres partenaires du secteur. Le rendez-vous : 08/03 à 17h à la Gare Centrale !

Les droits des femmes sans abri et mal-logées sont plus que systématiquement bafoués, niés, minimisés… C’est notamment pour leur garantir accueil, écoute et soutien prenant en compte les spécificités liées à leur identité de femmes que L’Ilot ouvrira ce 8 juin son nouveau centre de jour réservé aux femmes et pensé avec et pour elles. Une première en Belgique qui va, nous l’espérons, encourager d’autres initiatives focalisées sur le public féminin dans le secteur de l’aide aux personnes les plus précarisées.

Crise de l’accueil : L’Ilot participe au rassemblement de ce vendredi 24/02 1024 576 L'Ilot

Crise de l’accueil : L’Ilot participe au rassemblement de ce vendredi 24/02

Des centaines de personnes en demande d’asile dorment dans la rue en plein hiver, au mépris des lois belges et du droit international. Ils ont fui leur pays, à cause des guerres, des conflits politiques, de la pauvreté, de l'exploitation économique.
Cela fait plus d’un an que l’État belge se soustrait à ses obligations en matière d’accueil et de droits humains. Depuis ce mercredi 15 février, suite à l’expulsion des résident.e.s ou occupant.e.s du squat « Palais des droits » à Schaerbeek et malgré les promesses de relogement, entre 200 et 250 personnes passent la nuit dans un campement de fortune sur les trottoirs le long du canal. De nombreuses autres se sont dispersées dans les rues, invisibles. C’est uniquement grâce à la solidarité citoyenne, et à l’organisation et l'unité des exilés eux-mêmes, que le drame humanitaire a pu être évité jusqu’à présent.
Cette situation est l'incarnation des politiques migratoires qui à tous les niveaux bafouent la dignité et les droits des personnes. Il est temps de changer de dynamique. Des solutions existent. C’est une question de choix politiques. Il est temps d'affirmer publiquement notre solidarité et de rappeler l’État à ses obligations.
Ce vendredi à 17h, des demandeurs d'asile et personnes solidaires appellent à un rassemblement et une chaîne humaine autours du centre Fedasil « le petit château » :
  •  Pour une solution immédiate de cette « crise » et un hébergement pour toutes les personnes à la rue.
  • Pour une politique d’asile et d’accueil digne et humaine.
  • Pour la solidarité et le respect des droits fondamentaux de tou.te.s, indépendamment de leur origine, de leur religion, de leur orientation sexuelle ou de leur genre.
  • Contre le racisme et les discours haineux de l’extrême droite.
150 à 200 nouvelles personnes en rue : le gouvernement fédéral met le secteur sans-abris à genoux 1024 576 L'Ilot

150 à 200 nouvelles personnes en rue : le gouvernement fédéral met le secteur sans-abris à genoux

Depuis des mois maintenant le gouvernement fédéral n’honore plus son obligation légale de loger toute personne en demande d’asile arrivant en Belgique durant la durée de sa procédure. Malgré les condamnations nombreuses et répétées, notamment par la Cour européenne des Droits de l’Homme, et les menaces de saisies, le fédéral ne parvient pas ou ne veut pas mettre fin à cette crise de l’accueil.

Laissés à la rue, des centaines de demandeurs d’asile avaient trouvé ces derniers mois un toit dans un bâtiment occupé à Schaerbeek à la Rue des Palais. Pendant des mois, la situation y a été catastrophique : pas de chauffage, quasi pas de sanitaire, des situations de violence, propagation de maladies contagieuses, etc. Les autorités fédérales, régionales et communales avaient décidé de mettre fin à cette situation. Leur promesse était de reloger tous les demandeurs d’asile et de fermer « Palais ». Si la fermeture a bien eu lieu hier avec un déploiement policier à proprement démesuré, la promesse de relogement n’a pas été tenue. Ils étaient encore 150 à 200 en fin de journée, enregistrés pour le relogement mais laissés sur le carreau. La police les a alors dispersés (pour aller où  ?). C’est naturellement qu’ils se sont ensuite retrouvés devant le Petit-Château, site historique de l’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile en Belgique. Là, les zones de police de Bruxelles ne voulant pas d’un camp de tentes sur leur territoire, les ont repoussés vers Molenbeek. De l’autre côté du canal, la police molenbeekoise caressant le même souhait les a refoulés sur le canal. C’est donc sur le pont entre les deux zones de police et sur les berges du canal que des dizaines de tentes ont été montées. Tentes apportées par des citoyens et des citoyennes pour pallier l’absence totale de moyens mis à disposition par l’Etat. Les moins chanceux, n’ont même pas eu droit à une toile au-dessus de leur tête et ont dû passer la nuit à la belle étoile.

Alors que le sans-abrisme à Bruxelles est galopant et que les associations du secteur sont débordées et mal financées, l’incompétence du gouvernement fédéral crée de fait un surplus de centaines de personnes à la rue dans Bruxelles. Proportionnellement cela signifie que plus ou moins un quart de la population actuelle dormant en rue en région bruxelloise est composé de demandeurs et demandeuses d’asile qui jusqu’à il y a un an, étaient logé·es par Fedasil.

En tant qu’organisation de lutte contre le sans-abrisme, L’Ilot voudrait signifier sa colère et son indignation devant une telle situation : le gouvernement fédéral participe à approfondir l’étendue du sans-abrisme à Bruxelles. Cela met le tissu de soutien aux personnes sans chez-soi à genoux, en le faisant crouler sous les besoins alors qu’il était déjà étranglé. Cette situation doit cesser et le gouvernement fédéral doit prendre ses responsabilités. 

Carte blanche : « Tarif social et statut BIM » 1024 576 L'Ilot

Carte blanche : « Tarif social et statut BIM »

La décision du gouvernement de ce 6 février 2023 de ne plus octroyer le tarif social "gaz et électricité" aux personnes bénéficiaires de l’intervention majorée (statut BIM) est une grave atteinte à la lutte contre la précarité énergétique. Des milliers de ménages qui, grâce à cette mesure de protection, se maintenaient de justesse au-dessus du seuil de pauvreté risquent de se voir propulsés sous celui-ci, à cause de l’augmentation soudaine de leurs factures d’énergie.

C'est pour éviter que des personnes précarisées se retrouvent à la rue que L'Ilot a co-signé une Carte Blanche écrite à l'initiative de La Coordination Gaz Elec Eau (CGEE).