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Dénombrement 2022 – Le nombre de femmes et d’enfants en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation 1024 683 L'Ilot

Dénombrement 2022 – Le nombre de femmes et d’enfants en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation

Photo : ©Chloé Thôme

7.134, C'EST LE NOMBRE DE PERSONNES QUI EN NOVEMBRE DERNIER ÉTAIENT EN SITUATION DE SANS-ABRISME OU DE MAL LOGEMENT EN RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE. C’EST 18,9 % (5.313 PERSONNES) EN PLUS QU’EN 2020.

Bruss’help vient de rendre publics les résultats de son dénombrement de personnes sans abri en Région de Bruxelles-Capitale, effectué en novembre dernier et auquel ont pris part de nombreuses associations du secteur – dont L’Ilot – et des volontaires sensibilisé∙e∙s aux droits humains.

S’il faut saluer les progrès réalisés par l’institution bruxelloise pour élargir le prisme lors de ce dénombrement et, ainsi, mieux prendre en compte les personnes sans abri évoluant « sous les radars » (qui ne fréquentent pas les services dédiés ou qui transitent d’un lieu d’hébergement à un autre – chez des amis, dans la famille, etc. – ou menacées d’expulsion), les chiffres continuent à interpeler : ce sont près de 7200 personnes qui sont considérées sans-chez-soi à Bruxelles !

Parmi celles-ci, deux catégories de personnes retiennent toute notre attention : les femmes et les enfants. Si la proportion de femmes sans abri tend à diminuer (de 20,9% à 18,0%), leur nombre absolu est plus élevé qu’il y a deux ans : 1.283 contre 1.110 en 2020. La part d’enfants sans-chez-soi est également interpellante : les mineur∙e∙s représentent 13,7 % des personnes dénombrées.

Ces deux données nous confirment encore une fois que les actions que nous menons pour rendre nos services accessibles aux personnes les plus précarisées et vulnérables sont indispensables. Et que la lutte pour la fin du sans-abrisme n’en n’est qu’à son commencement.

Bruss'help : Chloé Thôme
Dénombrement 2020 – le nombre de femmes en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation 1024 683 L'Ilot

Dénombrement 2020 – le nombre de femmes en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation

5.313, c'est le nombre de personnes qui en novembre dernier étaient en situation de sans-abrisme ou de mal logement en Région bruxelloise contre 4.187 en 2018.

 

Selon les dernières statistiques fournies par Bruss'help, les femmes représenteraient 20,9% du sans-abrisme sur le territoire régional bruxellois. Pour cette même région, les enfants, très majoritairement pris en charge par les femmes, représentent quant à eux 17,6% du phénomène sans abri.

Encore largement méconnu et sous-estimé en raison notamment des stratégies d'évitement de la rue mises en place par les femmes elles-mêmes, le sans-abrisme féminin existe.

1110 femmes ont été comptabilisées en situation de sans-abrisme ou de mal logement au mois de Novembre 2020. Même si le pourcentage de femmes par rapport au pourcentage d'hommes a diminué, nous observons bel et bien une augmentation de 17,7% du nombre de femmes. Si leur présence dans l'espace public a diminué (51 femmes contre 84 en 2018), une personne sur trois en hébergement d'urgence et centre d'accueil est une femme. Comme précisé par Bruss'help, les centres d’urgence et les hôtels de crise ont également accueilli de nombreuses femmes victimes de violences conjugales, phénomène en forte hausse durant l’ensemble de l’année 2020.

Pour échapper aux risques d'agression en rue, les femmes vont d'abord préférer les solutions de débrouille : une nuit dans la famille, une autre chez des amis, une autre encore dans une voiture ou un squat. L'espace public, encore majoritairement pensé par et pour les hommes, est source de danger pour les femmes en particulier, qui deviennent de véritables proies.

Pour plus d'informations concernant la spécificité de l'accompagnement des femmes en situation de sans-abrisme, consultez notre rubrique "comprendre".

La Kart #1 l’histoire de Marie 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 l’histoire de Marie

La Kart #1 de l’urgence de croiser sans-abrisme et féminisme 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 de l’urgence de croiser sans-abrisme et féminisme

Entretien avec Ariane Dierickx (L’Ilot) et Valérie Lootvoet, (Université des femmes)

La précarité et l’insécurité émaillent les parcours des femmes à la rue et en situation de mal-logement. Accompagner ces femmes nécessite donc de mettre en lumière et d’articuler les multiples discriminations qui senchevêtrent dans la vie des femmes, dès leur enfance. Sans quoi l’accompagnement présente des réponses limitées pour les femmes, voire même génère de nouvelles violences. Echanges croisés entre laction de terrain auprès des femmes sans abri, avec Ariane Dierickx, directrice générale de L’Ilot, et le plaidoyer féministe, avec Valérie Lootvoet, directrice de lUniversité des femmes.

Propos recueillis par Manon Legrand (Alter Echos[1])

Quel est le parcours des femmes sans abri et comment arrivent-elles à cette situation ? 

Ariane Dierickx : Les femmes en situation ou en risque de sans-abrisme connaissent des discriminations multiples tout au long de leur parcours de vie, qui fabriquent les conditions de la précarité, et expliquent leur situation de mal- et de sans-logement. On retrouve derrière la majorité des femmes que nous accompagnons toutes les discriminations que peuvent subir les femmes, à commencer par les violences sexuelles, psychologiques, physiques, économiques, le plus souvent sur fond de violences sociales qui commencent dès l’enfance. On ne le dit pas assez : les violences sont la première cause de sans-abrisme des femmes, suivie des problèmes de santé mentale. Mais la santé mentale des femmes, on le sait, est aussi abîmée par les violences qu’elles subissent tout au long de leur vie. Si on approchait donc la question de façon systémique, le sans-abrisme féminin ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Valérie Lootvoet : Cela met en lumière l’absence de filet pour les femmes, et notamment l’absence de solidarité intra-familiale par rapport à ce qui s’est passé dans leur vie de femmes, mais surtout de filles. Je ne pense pas que le sans-abrisme pend au nez de tout le monde, comme on l’entend souvent. Je vois chez les femmes monoparentales des grandes problématiques d’accès au logement – refus de certains propriétaires, loyers trop onéreux pour des logements dignes pour les femmes et leurs enfants, etc. Pour autant, je ne pense pas que toutes ces femmes-là, malgré leurs difficultés de logement, soient en condition de tomber dans une situation où elles n’auront plus aucun toit sur la tête.

Quest-ce qui serait alors spécifique aux femmes ?

Ariane Dierickx : On entend souvent parler d’accident de parcours comme une cause possible du sans-abrisme, mais la plupart du temps, les personnes qui fréquentent nos services, hommes comme femmes, ont connu un lourd parcours institutionnel ponctué de multiples formes d’exclusions et de violences. Il y a des éléments communs dans les parcours des femmes et des hommes sans abri, mais s’ajoutent pour les femmes, les violences genrées. En raison d’un cumul de situations dans lesquelles elles se sont systématiquement retrouvées niées, violentées, écrasées, les femmes perdent progressivement l’estime d’elles-mêmes. Permettre de retrouver l’estime de soi est un des gros enjeux du travail d’accompagnement dans le secteur sans-abri. Quand quelqu’un n’est plus capable d’activer les réseaux d’entraide existants, c’est parce qu’il a l’impression de ne plus en valoir le coup. Les violences genrées aggravent encore la perte d’estime de soi, qui devient le point de dégringolade pouvant aller jusqu’à la perte de logement. Mais il y aussi des femmes qui arrivent chez nous, non pas à cause d’une situation de violences sociales et économiques depuis l’enfance, mais directement suite à un parcours de violences conjugales.

Pourquoi, sachant cela, sont-elles minoritaires dans le public sans-abri ?

AD : Les femmes victimes de violences conjugales ne se retrouvent pas dans le vocable « sans-abri », c’est l’une des raisons pour lesquelles elles n’arrivent pas dans notre secteur. Ces femmes vont aussi s’interdire d’aller en rue en raison de la présence des enfants, alors que les hommes vont plus vite décrocher de la famille et tout lâcher. Les femmes, parce qu’elles savent que la rue est violente, pour elles et pour leurs enfants, se l’interdisent. Elles trouvent des solutions de débrouille, une nuit dans la famille, une autre chez une amie, une autre encore dans une voiture ou un squat. C’est comme ça qu’elles finissent par disparaître des radars de l’aide sociale et qu’on ne les retrouve pas dans les statistiques. Il arrive que des femmes restent aussi dans un environnement violent parce qu’elles ne trouvent pas de meilleure réponse à leur détresse : c’est rester ou partir, mais pour aller où ? D’autres vont aussi se tourner vers la prostitution pour éviter la rue. Ces différentes situations, qui devraient être comptabilisées dans les statistiques de mal-logement et de sans-abrisme, donnent une image tronquée du phénomène du sans-abrisme au féminin, largement méconnu et sous-estimé.

Vous constatez aussi que les services ne sont pas adéquats pour les femmesPourquoi ?

VL : On est aujourd’hui – et pas seulement dans le secteur du sans-abrisme – dans un système de réduction des risques, avec des mesures de rattrapage qui ne viennent pas régler des années de délitement de l’estime de soi. Si les femmes et les hommes, dès la petite enfance, étaient mieux accompagné·e·s dans la formation de leur estime d’eux-mêmes, du prendre soin de soi, du prendre soin des liens, si les paramètres sociaux permettaient une construction des identités individuelles qui permettent d’en faire des socles stabilisés, nous ne connaîtrions pas ces situations. Les services comme L’Ilot héritent de longues trajectoires de déshérence.

AD : Les femmes savent que certains services sont utilisés par les hommes, mais aussi pensés par et pour eux. Dans la plupart des infrastructures de notre secteur, elles n’ont pas suffisamment d’intimité. Elles n’ont pas la possibilité de déposer leurs difficultés et leurs besoins. Les solutions qu’on leur propose ne sont pas adéquates, qui plus est dans un contexte d’urgence qui reste encore trop au cœur des solutions proposées. En pleine crise Covid, cela nous a vraiment marqué·e·s. Tous les services de terrain ont vu disparaître les femmes. Notre hypothèse est que la sur-sollicitation de nos services par des hommes, a éloigné encore davantage les femmes. Parce qu’elles ne trouvent pas de réponses adéquates dans nos services, les femmes finissent par ne plus les fréquenter, trouvent d’autres solutions… ou n’en trouvent pas. Et continuent de subir des violences en rue ou dans leur foyer. Quant à la rue, on sait qu’elle est dangereuse pour tous, mais plus encore pour les femmes. Soit les femmes sans abri vont nier, dissimuler leur féminité, ce qui concourt aussi à les invisibiliser. Soit elles vont chercher la protection de groupes d’hommes dans lesquels elles vont revivre des rapports de domination. C’est un cercle sans fin…

Pourquoi et comment le secteur du sans-abrisme et le plaidoyer féministe doivent-ils davantage sarticuler?

AD : Un lieu d’accueil pour les femmes sera une réponse vaine si nous ne travaillons pas au départ d’une démarche intersectorielle. Le terrain du sans-abrisme ne nourrit pas suffisamment le travail de plaidoyer du féminisme. Nous avons des enjeux communs dans nos secteurs, comme l’individualisation des droits sociaux, que nous défendons l’un et l’autre mais chacun de notre côté sans jamais croiser les argumentaires et les batailles. Nous observons aussi des traces persistantes de paternalisme dans les modes d’accompagnement proposés dans notre secteur, un paternalisme inconscient et évidemment bienveillant, mais qui entrave complètement le travail d’émancipation. Nous devrions passer de la vision caritative, elle aussi encore trop présente, à un travail politique qui analyse des défaillances de l’Etat, informe notre public sur les politiques sociales afin qu’il identifie son pouvoir d’agir. Cela passe aussi par l’inclusion de notre public dans notre travail de réflexion stratégique. Un des gros enjeux dans le travail social est de faire en sorte que les équipes sociales de terrain soient en capacité de faire des liens directs entre les difficultés livrées par les personnes et les causes systémiques qui engendrent cette situation. C’est de l’éducation permanente, et nous avons à nous inspirer des associations féministes. Le centre de jour que nous voulons créer pour les femmes n’est pas pensé uniquement comme un espace de prestations de services mais bien comme outil de mobilisation collective et solidaire qui permette la transformation sociale des structures institutionnelles.

VL : L’approche caritative est aussi le signe d’un Etat social défaillant. Le retour de la charité est un signe que l’Etat ne remplit pas son rôle, on le voit dans cette crise. La reproduction sociale dont nous parlions n’est pas un déterminisme dans un Etat social fort, ce qu’il n’est pas pour le moment. L’Etat a été capable de créer une sécurité sociale, de garantir l’accès à la culture. L’école est normalement un filet de prévention pour les enfants qui y passent de longues heures. Mais le secteur est à bout, les enseignant·e·s exténué·e·s, plus encore aujourd’hui dans cette crise. Nous devons réaffirmer qu’il s’agit de la mission de l’Etat de garantir des droits, sans quoi nous reportons tout sur les familles, sur les femmes, ou sur les associations.

[1] www.alterechos.be. Le numéro de mars d’Alter Echos est consacré aux violences contre les femmes dans les secteurs de l’aide psycho-sociale.

La Kart #1 l’art du soin 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 l’art du soin

A L’Ilot depuis un peu plus de deux ans, Axelle accompagne des femmes et des familles en tant qu’éducatrice et assistante psy. Exercer au sein d’une maison d’hébergement lui a permis de renforcer la relation de soin qu’elle entretient avec les résidentes. C’est par le partage tant des moments difficiles que des grands moments de joie qu’elle parvient à percevoir les personnes qu’elle accompagne dans leur ensemble et travaille à la restauration d’une confiance souvent perdue.

Qu’est-ce qui t’a amenée à L’Ilot ?

J’ai étudié la photo durant trois ans. Rapidement, je me suis renseignée sur les possibilités d’utiliser ce médium comme soin. J’ai fait un an d’art thérapie pour creuser la question. Ca m’a permis de renforcer le lien entre l’art et le soin. Je me suis retrouvée face à des personnes vulnérables, face à des problématiques très souvent lourdes. J’avais envie et besoin d’un bagage théorique et je me suis tournée vers la psychologie pendant trois ans supplémentaires. Très vite, j’ai voulu savoir si la photographie argentique pouvait permettre d’augmenter l’estime de soi des femmes ayant vécu des violences intrafamiliales. J’ai fait un projet photo dans une maison d’accueil où j’accompagnais des résidentes.

Suite à cette expérience, j’éprouvais le désir de continuer à travailler dans une maison d’accueil. Le soin, c’est ma manière à moi d’apporter quelque chose et j’ai voulu continuer à aider des femmes à se reconnecter à ce qu’elles sont au plus profond d’elles-mêmes et tenter au mieux d’apaiser certaines douleurs et souffrances. 

Quelle est ta mission au sein de la maison d’hébergement pour femmes et familles ?

Je suis éducatrice et assistante psycho pour le soutien à la parentalité. En tant qu’éducatrice, j’apporte aux résidentes un soutien au niveau administratif ; un travail parfois formel et informel qui se fait au sein de la maison. C’est aussi des moments de partage – on regarde des films ensemble, on prend le temps de manger ensemble, de faire des activités. Le soutien à la parentalité se découpe sous plusieurs formes. Il y a d’une part l’aspect café parents : des groupes de parole pour les parents et toute autre personne qui le désire. D’autre par, il y a les activités parents-enfants et les entretiens individuels. C’est aussi un travail de référente et d’accompagnement.

Quelle est la clé pour instaurer une relation de confiance avec une résidente en tant que travailleur·euse ?

Je ne pense pas qu’il existe une façon de faire. Certaines personnes ont besoin de temps, d’autres iront plus vite vers tel ou tel travailleur parce que c’est un homme, vers une travailleuse parce que c’est une femme, parce qu’elle a tel âge ou parce qu’elle fait tel métier. Il y a une part d’identification, de ce qu’elles projettent sur toi, parfois aussi une intuition. Je pense que chaque travailleur·euse utilise des manières complètement différentes pour créer une relation de confiance avec la personne. Pour ma part, ça peut sembler bête mais lors de la première rencontre avec la personne je lui demande toujours comment elle va. Je lui dis « je ne te demande pas simplement comment ça va, je te demande vraiment comment tu vas, là ». Généralement ça découle sur une discussion et sur un partage.

Observes-tu des aspects communs aux parcours des femmes qui sonnent à votre porte ?

La grande majorité des femmes qui viennent ici ont été touchées par des violences ; des violences conjugales, intrafamiliales, de l’esclavage, de l’inceste, des mutilations génitales. Nous accueillons aussi des personnes qui se sont retrouvées à la rue mais qui au bout d’un moment ne pouvaient vraiment plus y vivre. Ces personnes sont très souvent confrontées à la violence sexuelle.

Lorsque la personne arrive ici, elle est cassée, brisée. On doit apprendre à accompagner ces personnes dans une reconstruction assez rapide. Même si le plus important est de trouver un logement, d’avoir un toit et de pouvoir répondre aux besoins de base, une personne détruit·e peut ne pas être prête à accéder à cette étape, d’où l’importance de lui apporter un soutien psychologique.

En quoi est-il primordial d’avoir des espaces réservés aux femmes ?

Simplement pour qu’elles ne soient plus confrontées à une violence le temps de quelques instants. Ce qu’elles projettent sur l’homme, c’est cette vision de violence. Comme l’homme a toujours été violence, elles associent l’homme à la violence. Même ici dans un cadre donné il peut être symbole de violence. D’où l’importance de retrouver un endroit réservé aux femmes ; un lieu où on peut se retrouver soi, être seule, mais aussi un lieu où on peut échanger avec des femmes sur certaines problématiques ou simplement se retrouver en tant que femmes. On y perçoit une énergie vraiment différente. On remarque également que lorsqu’un homme entre dans la pièce, l’ambiance change. Les femmes vont plus se refermer, moins facilement prendre la parole ou assumer ce qu’elles disaient cinq minutes plus tôt. Parfois bien au contraire, certaines femmes se sont tues pendant vingt ans et ne laisseront plus un seul homme prendre le dessus sur elles.

Quand deux femmes viennent exactement du même pays, que leurs histoires présentent des similitudes, quelque chose se crée à la seconde. Simplement parce qu’une est passée par une étape et que l’autre n’y est pas encore, elles peuvent se nourrir l’une l’autre. Je l’observe beaucoup pendant les groupes de parole et je remarque à quel point ces femmes se soutiennent, à quel point elles s’écoutent et s’apportent mutuellement un nouveau regard sur la situation. Parfois je me dis que c’est elles qui se soignent, ce sont elles les guérisseuses.

Quelles perspectives d’avenir envisagent les femmes que tu accompagnes ?

Le présent est quelque chose de vraiment délicat. Ce qui revient le plus souvent, c’est « je veux avoir mon chez-moi, je veux avoir mon toit, ma maison ».

Lors de leur sortie de la maison, un accompagnement post-hébergement est-il prévu pour les personnes qui le désirent ?

Certain·e·s collègues dont c’est la spécialisation poursuivent parfois l’accompagnement pendant plusieurs mois et c’est selon moi merveilleux et indispensable pour la continuité du travail qui a été fait jusque là. Le suivi qui sera apporté à ces personnes dépendra de la demande de chacun·e. Une personne nous demandera de régler les factures, une autre aura besoin que l’on vienne une fois par semaine prendre le café chez elle. Nous sommes souvent confronté·e·s à la question de la solitude. Même si le but premier est de permettre à la personne d’être la plus autonome possible, car très souvent elle dépendait d’untel ou d’unetelle, il faut maintenir le contact avec celles qui le demandent. Le soutien à la parentalité a également toute sa place dans le post-hébergement.

Quels signes te font penser qu’un déclic s’est opéré pour ces personnes ?

Le changement de comportement est généralement explicite ; avec les autres, avec l’équipe, avec leurs enfants, on sent que quelque chose s’opère en elles. Des personnes agressives deviennent beaucoup plus calmes, plus douces, plus sereines. Des femmes arrivent simplement à se regarder à nouveau dans le miroir, alors que c’était jusque là  impossible. Parfois l’image de soi a été bafouée. Très souvent elles me montrent des photos d’elles avant, sur lesquelles elles étaient pour beaucoup plus apprêtées. Ensuite elles me montrent une photo actuelle et il est impossible pour elles de poser les yeux sur ce qu’elles sont. Elles ne veulent plus prendre soin d’elles. Il faut leur faire prendre conscience qu’elles doivent apprendre à se respecter. Nous travaillons sur l’estime de soi, la confiance en soi, l’amour de soi.

Quelles joies te procure ta mission ici ?

Parfois juste entendre un « merci ». Voir des femmes sourire. Voir un regard qui change, qui est en train de s’illuminer. Voir aussi des femmes pleurer. Elles ont parfois été incapables de pleurer pendant plusieurs années. Voir des femmes changer de posture et commencer à incarner leur corps, leur être, leur âme. Voir des femmes qui viennent me voir, qui m’attendent. Tous ces petits changements font que je suis heureuse de me lever le matin et d’y contribuer.

La Kart #1 en route vers un accueil de qualité pour les femmes sans abri 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 en route vers un accueil de qualité pour les femmes sans abri

Pour aller au plus près des besoins et attentes des femmes en situation ou en risque de sans-abrisme, il faut se donner le temps d’écouter ce que ces femmes elles-mêmes, dont les trajectoires sont multiples et complexes, ont à dire mais, aussi, pouvoir s’appuyer sur les expertises des professionnel·le·s de terrain qui les accompagnent dans d’autres secteurs, en particulier le secteur des droits des femmes.

Car le terrain du sans-abrisme a besoin de se nourrir davantage du travail de plaidoyer féministe. Et vice-versa.

Cette démarche, globale et résolument intersectorielle, c’est celle que lance aujourd’hui L’Ilot, à travers une recherche-action sur les trajets de femmes sans abri ayant eu un parcours de violences et/ou de grande précarité. L’ambition est grande : s’appuyer sur les résultats de cette recherche-action pour créer à Bruxelles un nouveau Centre de jour pour femmes sans abri en capacité de proposer des solutions concrètes plus adaptées aux parcours des femmes. Nous y travaillons dès mars 2021.

En attendant, L’Ilot a commencé à poser les premiers jalons d’un accueil de qualité des femmes en situation ou en risque de sans-abrisme :

  • Maison d’accueil pour femmes et familles
  • Programme de « soutien à la parentalité »
  • Formation « violences conjugales » des équipes
  • Espace-temps réservé aux femmes au Centre de jour
  • Colloque Sans-abrisme et Féminisme : des enjeux à croiser, avec l’Université des Femmes (mars 2018)
  • Soutien des Journées du Matrimoine, avec L’Architecture qui dégenre
  • Tolérance zéro pour attitudes et comportements sexistes
  • Communication genrée : mixité des sujets traités, écriture inclusive, etc.
  • Objectif de parité dans les équipes et aux différents niveaux de l’organisation
  • Participation active à la Journée Internationale des Droits des Femmes du 8 mars
  • Distribution de protections hygiéniques aux femmes sans abri via Bruz’elles
La Kart #1 en chiffres 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 en chiffres

Femmes et sans-abrisme / mal-logement

 

Encore largement méconnu et sous-estimé en raison notamment des stratégies d’évitement de la rue mises en place par les femmes elles-mêmes, le sans-abrisme féminin s’inscrit dans un continuum de discriminations croisées qui affectent les femmes tout au long de leur parcours de vie et les touchent dans de très nombreux domaines de leur vie (emploi, logement, santé, mobilité, pensions, etc.).

Selon les statistiques les plus récentes fournies par Bruss’help, les femmes représenteraient 22,4 % du sans-abrisme sur le territoire régional bruxellois, contre 59,1 % d’hommes. Pour cette même région, les enfants, très majoritairement pris en charge par les femmes, représentent quant à eux 14,6 % du phénomène sans abri.

En raison notamment de leur perméabilité plus importante à la pauvreté et de leurs ressources globalement plus faibles (en particulier lorsqu’elles sont en situation de vulnérabilité sociale), les femmes sont particulièrement fragilisées par rapport au logement.

Trouver un logement n’est pas synonyme de stabilité : de nombreuses femmes vivent dans un logement « suroccupé » ou inadapté, parfois insalubre. Le coût du déménagement, leur situation précaire et l’évolution du marché locatif les obligent souvent à y rester.

 

Violences faites aux femmes

 

Les violences représentent la principale cause de sans-abrisme chez les femmes. Les témoignages recueillis sur le terrain indiquent que la quasi-totalité des femmes sans abri ont vécu des violences aggravées dans leurs parcours de vie.

En Belgique, 36 % des femmes ont subi des violences physiques et / ou sexuelles depuis l’âge de 15 ans.

Pour 31 % des femmes, l’auteur du fait de violence le plus grave rencontré dans leur vie est leur partenaire. Entre 70 et 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite.

En moyenne 3 plaintes pour viol sont enregistrées chaque jour, mais on estime que seulement 16 % des victimes de violences sexuelles graves s’adressent à la police. Lorsqu’une plainte est déposée, seulement 4% aboutissent à une condamnation.

La Belgique a enregistré 24 féminicides en 2020. Dans le monde, plus de 70 % des femmes assassinées le sont par leur (ex-)partenaire.

 

Femmes et précarité

 

L’écart salarial défavorable aux femmes est de plus de 20 % en Belgique.

Avec une charge familiale et domestique qui repose majoritairement sur les épaules des femmes, 44 % d’entre elles (contre 9 % des hommes) travaillent à temps partiel sans que ce soit forcément un choix.

Plus de 80 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête et près de 46 % de ces familles vivent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.

57 % des bénéficiaires du RIS (Revenu d’Intégration Sociale) sont des femmes et quasiment 40% d’entre elles sont isolées avec au moins un enfant à charge.

Plus d’un parent sur 10 ne perçoit pas la contribution alimentaire qui lui est due pour ses enfants et 93 % des dossiers introduits au SECAL (Service des Créances Alimentaires) pour recouvrement de ces créances alimentaires le sont par des femmes.

En Belgique, environ 16 % des personnes pensionnées vivent sous le seuil de pauvreté. Deux tiers de ces personnes particulièrement fragiles sont des femmes et 46 % de femmes n’ont pas accès à la pension minimale.

Le taux de dépendance financière (ou de risque de pauvreté individuel) est de 36 % pour les femmes (contre 11 % pour les hommes) et monte jusqu’à 50 % pour les femmes de plus de 60 ans et les femmes peu qualifiées.

Avec un taux de 42 %, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs dits à risque élevé d’être impactés négativement par la pandémie Covid-19, contre 32 % pour les hommes ; le taux de chômage notamment est globalement resté stable en Europe mais a augmenté chez les femmes.

La Kart #1 femmes sans abri 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 femmes sans abri

On n’accompagne pas des femmes sans abri comme on accompagne des hommes sans abri. Parce que leurs trajectoires de vie sont différentes, parce que leurs besoins et leurs attentes sont spécifiques, les approches à développer et les outils à mettre à leur disposition doivent être différents.

Aujourd’hui dans le secteur sans-abri, force est de constater que ce n’est pas (suffisamment) le cas. Et L’Ilot n’échappe pas à ce constat.

Après avoir pendant plusieurs décennies construit son offre de services pour répondre à une demande provenant très majoritairement d’hommes seuls, le secteur sans-abri a peiné – et peine encore – à s’adapter à l’évolution de ses publics. Ces dernières années, les opérations de recensement de la population sans-abri en région bruxelloise (de tels dénombrements ne se font pas encore dans les autres régions mais les observations faites sur le terrain révèlent les mêmes tendances) ont notamment fait apparaître une présence de plus en plus massive de femmes et de familles (majoritairement des mères monoparentales).

Et rien n’est moins étonnant : toutes les études et statistiques démontrent que la situation socio-économique des femmes est globalement moins bonne que celle des hommes et que la précarité, qui gagne chaque année du terrain et se renforcera encore à la sortie de la crise sanitaire que nous vivons actuellement, touche, tout au long de leur parcours de vie, plus gravement les femmes que les hommes.

Que ce soit en matière d’emploi, de santé, de logement, de pensions, de justice, d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, de place dans l’espace public, etc., les multiples causes d’inégalités entre femmes et hommes sont aujourd’hui largement connues et documentées. Pour autant, les solutions concrètes pour enrayer ces inégalités ne sont pas suffisantes, les volontés politiques pour les financer pas assez ambitieuses, les mentalités pas forcément prêtes à les accueillir.

Notre secteur malheureusement ne fait pas exception : infrastructures d’accueil peu/pas adaptées au public féminin, inadéquation des outils existants, méconnaissance des enjeux liés aux droits des femmes, insuffisance d’espaces dédiés à recueillir leur parole, manque de formation des équipes psychosociales à la problématique des discriminations (croisées) de genre, manque de données qualitatives et quantitatives sur la réalité des parcours de femmes sont autant de freins à la mise en place d’un accueil de qualité, digne et respectueux, spécifiquement pensé pour et avec les femmes en situation ou en risque de sans-abrisme.

Au-delà des actions et projets déjà mis en place par le passé et qui constituent les premières pierres de ce nouvel édifice, L’Ilot veut aujourd’hui relever le défi d’un accueil de qualité basé sur une approche globale respectueuse des droits des femmes et visant leur émancipation.

Cela demande de remettre en question toutes nos pratiques, de changer notre regard et de retrousser nos manches pour convaincre tous ceux et toutes celles qui seront nos meilleur·e·s allié·e·s dans ce nouveau défi.

Nous compterons sur chacun et chacune d’entre vous.

 

Ariane Dierickx,

Directrice générale de L’Ilot

VAGUE DE FROID : QUAND L’URGENCE DEVIENT CHRONIQUE 851 315 L'Ilot

VAGUE DE FROID : QUAND L’URGENCE DEVIENT CHRONIQUE

La vague de grand froid qui s’abat actuellement sur la Belgique représente un danger de mort pour toutes les personnes qui vivent en rue. En 2021, s’ajoutent à ce danger imminent les difficultés supplémentaires liées à la crise-COVID19, comme la limitation du nombre de places dans les centres d’accueil de jour en raison des mesures sanitaires, qui réduit pour ces personnes les possibilités de venir se réchauffer en journée dans un lieu sécurisé.

Il est indispensable de se mobiliser afin d’éviter des mort·e·s en rue, aujourd’hui.

L’Ilot se mobilise avec ses partenaires du secteur pour faire face à l’urgence à travers différentes actions :

  • Notre centre de jour a élargi ses horaires pour permettre aux personnes de rester plus longtemps au chaud, avec une offre élargie et gratuite de boissons et de repas chauds.
  • Nous avons contacté des hôtels qui ont accepté d’héberger des personnes sans-abri.
  • Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires de secteur pour réorienter un maximum de personnes vers des lieux d’hébergement temporaire ou d’accueil d’urgence.
  • Nous poussons nos murs pour accueillir un maximum de personnes dans nos différents lieux d’hébergement temporaire.

Ces solutions, comme toutes les solutions d’urgence, sont indispensables pour sauver des vies, maintenant.

Mais ces solutions temporaires ne résolvent en rien le problème de fond, celui du sans-abrisme dans notre pays. Quand le thermomètre remontera, les personnes sans abri ne seront toujours pas en sécurité. Une fois passée la vague de grand froid, la véritable urgence sera de déployer suffisamment de moyens pour développer davantage de solutions dignes et durables et permettre à tous et toutes d’avoir un toit décent et d’y vivre dans des conditions dignes. Qui permettent que, chez nous, en Belgique, un grand froid ne soit pas synonyme de danger sur des vies humaines.

Les axes de travail sont multiples et complémentaires ; ils doivent être pensés de manière globale et interconnectée avec l’ensemble des acteurs de terrain du secteur sans-abri :

  • L’urgence doit rester l’urgence. L’urgence est indispensable : elle permet de sauver des vies. Mais, trop souvent aujourd’hui, ces solutions ne débouchent pas sur une prise en charge complète permettant l’accompagnement de la personne dans un logement et vers un projet de vie respectant sa dignité.

 

  • La prévention: la meilleure façon de sortir de la rue est de ne pas y tomber. Pour cela il faut des politiques ambitieuses de prévention afin d’aider les publics les plus fragiles à rester dans un logement et à s’y stabiliser. En cette période de crise économique post-Covid qui augmente le risque de pauvreté et de sans-abrisme, cette dimension doit impérativement être renforcée en privilégiant les approches intersectorielles.

 

  • Le logement: on le sait, on le crie depuis des années, il n’y a pas assez de logements disponibles à prix abordables à Bruxelles. Il est impératif de développer de nouvelles solutions de logements accessibles, dignes et durables afin d’augmenter le parc disponible et de prendre en compte la diversité des situations personnelles et des trajectoires de vie.

 

  • L’accompagnement dans le respect des besoins particuliers des personnes: le logement est un point de départ indispensable mais pas suffisant pour que les personnes puissent construire une vie digne. Une fois les personnes relogées, elles doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement global à domicile pour se reconstruire sur les plans de la santé mentale et/ou physique, poursuivre leur remise en ordre administrative, retrouver une stabilité financière, etc.

Ces enjeux croisés sont plus que jamais primordiaux. Parce que le nombre de personnes sans abri ne cesse d’augmenter, et parce que la crise sanitaire fragilise de nouveaux publics, comme nous le voyons malheureusement à L’Ilot.

Ensemble, nous pouvons décider de faire face et de mettre les moyens qui permettront à notre pays de sortir du sans-abrisme pour que tous et toutes puissent se reconstruire une vie dans le respect de la dignité humaine.

La Kart de L’Ilot 1024 725 L'Ilot

La Kart de L’Ilot

Quand la crise sanitaire vient aggraver la crise sociale

On dénombrait en novembre 2018 plus de 4000 personnes sans abri à Bruxelles. Le dénombrement de cet hiver nous montrera à quel point ces chiffres ont augmenté.

Combien en Wallonie ? Combien en Flandre ? Aucune statistique récente ne nous permet de le savoir. Encore moins d’avoir une idée du nombre de personnes qui ont récemment basculé brutalement dans la précarité ou la pauvreté, aujourd’hui en « risque de sans-abrisme ».

Demain, tous les opérateurs de terrain des secteurs du social le savent, les pertes de logement liées à la perte de revenus vont s’enchaîner. Nos services de prévention sont assaillis d’appels de personnes qui sont « sur le fil », en train de basculer. Les CPAS ne parviennent plus à suivre... tout comme nos équipes de terrain, en incapacité de répondre à toutes les demandes d’aide.

Le nombre de personnes obligées de bricoler des solutions d’hébergement temporaire va exploser : une nuit chez un ami, la suivante dans une voiture… avant de se résoudre à venir frapper à la porte d’un centre d’accueil d’urgence.

Ce que l’on sait aussi, c’est qu’avec la profonde crise sociale qui accompagne la crise sanitaire, le profil de nos publics est en train de s’élargir de manière très inquiétante. Depuis plusieurs années déjà, l’homme blanc de quarante ans ayant eu un « accident de parcours » partage son bout de carton avec des femmes qui, malgré leur manque de ressources, ont le courage de quitter leur conjoint violent ; avec des (très) jeunes en rupture familiale ; avec celles et ceux qui, faute de moyens pour une politique de réinsertion, n’ont pas pu préparer leur sortie de prison ; avec des personnes dont les problèmes de santé mentale justifieraient qu’elles soient accueillies dans des centres spécialisés ; avec des personnes isolées dont la trop faible pension ne permet pas de payer les frais exorbitants d’une maison de repos.

À ces publics déjà bien connus de nos services de terrain viennent aujourd’hui s’ajouter des familles récemment expulsées pour non paiement de loyer ; des mamans seules qui n’arrivent plus à remplir le frigo ; des personnes dont le revenu a été raboté pour cause de chômage économique ou activité mise à l’arrêt ; des étudiant·e·s qui ont perdu leur job et que la famille, elle aussi en difficulté, ne peut pas soutenir ; des travailleurs au noir et des femmes vivant de la prostitution qui se retrouvent subitement sans aucune source de revenu.

Bref : toutes celles et tous ceux qui hier s’en sortaient tout juste et que la crise sanitaire est venue frapper de plein fouet.

Ces nouveaux visages de la pauvreté ont vingt-cinq, quarante-sept, dix-neuf ou cinquante-huit ans, s’appellent Paul, Safia, Sven ou Aleksandra, étaient peut-être vos voisin·e·s hier, fréquentaient le même magasin que vous, leurs enfants côtoyaient les vôtres au parc. Depuis trop longtemps et avant la crise sanitaire déjà, leur situation professionnelle était trop précaire, leur logement trop cher et trop petit, leur vie sociale trop restreinte, leur frigo trop vide… Depuis trop longtemps, le « trop peu de tout » était leur quotidien.

Cela fait des années que les acteurs de terrain s’époumonent pour réclamer des portes de sortie au sans-abrisme : plus de logements aux loyers accessibles pour les très petits revenus, une politique de prévention digne de ce nom, une véritable politique de réinsertion pour les sortant·e·s de prison, un plan ambitieux et efficace de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales, une démarche forte pour contrer la spéculation immobilière dans les grandes villes, une meilleure prise en compte de la réalité spécifique des jeunes en errance et des personnes souffrant d’assuétudes ou de santé mentale, une politique migratoire digne d’une démocratie moderne, etc.

Les réponses se font attendre… et le nombre de portes d’entrée dans ce secteur ne fait qu’augmenter.

La crise sanitaire et ses effets en cascade sont venus noircir un tableau déjà bien sombre. Comme le souligne François Bertrand, directeur de Bruss’help, organe régional bruxellois de coordination de l’aide aux personnes sans abri, dans un entretien accordé à Alter Echos à l’été 2020, la pandémie et ses contraintes ont très durement touché les services du secteur sans abri :

« Dès les premières semaines de la crise, on s’est retrouvé avec des personnes auparavant hébergées dans le circuit de la débrouille, chez des amis ou dans la famille, dans des logements insalubres ou très exigus. Nos services se sont vus confrontés à une série de personnes en décrochage, qui ont perdu leur emploi ou qui avaient un revenu de remplacement et pour qui le Covid a restreint ou coupé toute ressource financière, les mettant en situation de sans-abrisme. »

La problématique du sans-abrisme est de longue date principalement gérée sous le prisme de l’urgence. Aux chutes annuelles des températures, les autorités politiques répondent depuis des années par des plans d’accueil hivernaux qui disparaissent dès que le thermomètre remonte. À la crise sociale qui a directement suivi la crise sanitaire et que tout le secteur a senti venir dès le départ, elles ont répondu par des solutions à inventer rapidement. Avec souplesse et réactivité certes, en collaboration avec le secteur heureusement, mais qui montrent forcément leurs limites si elles ne viennent pas s’inscrire dans une approche globale et intégrée basée sur la recherche de solutions structurelles et mettant en présence tous les enjeux et défis des secteurs du social.

Au-delà des mesures d’urgence inventées en plein confinement – comme notamment la mise à l’abri des publics les plus fragiles dans des « hôtels solidaires » – les équipes de L’Ilot inscrivent leur action dans une démarche globale proposant toute l’année une offre de services complémentaires, tous orientés vers des solutions dignes et durables.

L’Ilot a comme ambition de « sortir du sans-abrisme ». Nous le savons, notre travail pour réaliser cette ambition sera demain plus difficile encore qu’aujourd’hui. Pour ces publics qui ont failli être les oubliés de la pandémie, pour toutes celles et tous ceux que nous accompagnons depuis des années, notre engagement reste pourtant intact et notre détermination plus forte que jamais. Cette ambition est à la portée d’une société solidaire dans laquelle chacun et chacune d’entre nous peut jouer un rôle.

Merci d’avoir choisi d’en jouer un à nos côtés !

Ariane Dierickx,

Directrice générale de L’Ilot

Les axes de travail de L’Ilot

L’Ilot développe son action autour de 5 axes :

  • Accueil d’urgence. En journée au centre d’accueil de jour de Bruxelles. La nuit dans deux maisons d’accueil à Bruxelles.
  • Hébergement temporaire. Deux maisons d’accueil pour hommes seuls à Bruxelles et Charleroi et une maison d’accueil pour femmes et familles à Bruxelles.
  • Formation et Emploi. Projet d’économie sociale Les Pots de L’Ilot, comprenant un programme de préformation aux métiers de l’Horeca et une activité commerciale basée sur la vente d’une gamme de produits alimentaires bio.
  • Cellule bruxelloise Capteur et Créateur de Logements, coopérative immobilière sociale Home Sweet Coop, Services d’accompagnement à domicile à Bruxelles et en Wallonie
  • Santé alimentaire. Collecte alimentaire et potager participatif.

Accueil d’urgence. Considéré comme un moyen de répondre aux besoins de première nécessité des personnes vivant en rue (se mettre à l’abri, se reposer, boire, manger, se laver, etc.). Objectif de L’Ilot : accrocher le public le plus fragilisé ou en détresse et lui apporter les solutions correspondant aux problèmes les plus urgents, avant de concevoir un accompagnement psychosocial personnalisé.

Hébergement temporaire. Permet aux personnes et familles accueillies de se reconstruire, de se stabiliser et de faire le point sur leur situation (administrative, familiale, financière, etc.). Chacune des trois maisons de L’Ilot est un lieu à taille humaine avec une capacité volontairement réduite pour préserver l’intimité et le bien-être de chacun·e.

Formation et emploi. Accompagnement vers l’emploi de personnes ayant eu un parcours sans abri ou de grande précarité, visant à retrouver l’estime de soi par l’acquisition de nouvelles compétences. Pour L’Ilot, la question de la dignité y est centrale : l’émancipation sociale passe notamment par l’indépendance financière.

Logement. Développement de solutions de logements dignes et durables et accompagnement à domicile sont des alliés indispensables pour permettre aux personnes relogées de s’approprier leur nouveau logement, de s’y stabiliser et de se construire un nouveau réseau social dans leur quartier.

Alimentation. En servant l’ensemble de ses services et plusieurs de ses partenaires du secteur sans-abri, L’Ilot propose aux personnes accompagnées une alimentation saine et durable via une offre de repas dans ses centres d’accueil ainsi que la distribution de colis alimentaires pour les personnes récemment relogées.

Et vous ?

Engagez-vous à nos côtés et agissez concrètement en faveur des personnes les plus précarisées !

Devenez :

  • Donateur·trice: faites un don sur notre compte bancaire (BE33 0017 2892 2946) ou via notre page de dons en ligne sur ilot.be. Que votre soutien soit ponctuel ou régulier, celui-ci est indispensable pour maintenir les services de L’Ilot à disposition des personnes sans abri.
  • Volontaire : les activités de L’Ilot sont également soutenues par des volontaires, mobilisé·e·s pour accompagner les personnes en situation de grande précarité. Si vous désirez vous engager en nous accordant un peu de votre temps libre, contactez-nous par téléphone (02/537 20 41) ou par courriel (info@ilot.be).
  • Entreprise solidaire: vous souhaitez que votre entreprise devienne solidaire en soutenant l’action de L’Ilot ? Contactez-nous par téléphone (0483/497540) ou par courriel (gerlache@ilot.be) si vous désirez financer l’un de nos projets, courir les 20 kilomètres de Bruxelles au profit de L’Ilot ou organiser une activité de teambuilding dans nos services.
  • Testateur·trice : la rédaction de votre testament est un moment important de votre vie. Ce dernier fait perdurer vos idéaux et vos valeurs ; en léguant une partie de vos biens à L’Ilot, vous posez un acte fort, engagé et solidaire. Si vous vous posez des questions à ce sujet, sachez que nous vous accompagnerons dans chacune des étapes de cette démarche généreuse. Contactez-nous par téléphone (0483/497540) ou par courriel (gerlache@ilot.be) si vous désirez obtenir davantage d’informations.
  • Collecteur·trice de fonds : votre carnet d’adresses peut nous aider à accompagner plus et mieux notre public ! Sachez que vous pouvez créer une cagnotte à l’occasion d’un anniversaire, d’un mariage, d’un défi sportif, d’un départ en pension ou simplement pour un soutien occasionnel. Vous pouvez le faire en quelques clics via : https://agir.ilot.be/.

Retrouvez l'histoire de Clara, celle de Pierre ainsi que des informations complémentaires sur la mission de L'Ilot :

Équipe de rédaction : Nina Closson, Thibault Conrotte, Ariane Dierickx, Aude Garelly

Illustrations : Amélie Pécot

Graphisme : Zeppoz.be

À vingt-quatre ans, Clara a dormi pour la première fois dans la rue.

Le récit de Clara* est unique, comme celui de près de 1.500 enfants, femmes et hommes accompagné·e·s chaque année par les services de L’Ilot. Elle travaillait comme serveuse dans un restaurant. Mais celui-ci n’a pas surmonté la crise du Covid-19, faute de trésorerie. Le restaurant a fermé définitivement ses portes. Et Clara a donc perdu son emploi.

Son propre couple n’a pas non plus résisté au confinement. Après avoir subi plusieurs agressions particulièrement violentes de la part de son compagnon, Clara prend son courage à deux mains : elle le quitte au milieu de la nuit, emmenant avec elle son fils âgé de trois ans, Lucas.

Elle n’a pas d’autre choix que de déposer Lucas en urgence chez une amie proche. Par fierté, elle donne peu d’explications ; elle lui dit que c’est temporaire.

Et Clara se retrouve sans abri.

Au début, Clara marche pendant des heures dans les rues. Elle s’épuise à chercher une solution qui ne vient pas. À trouver quelqu’un qui pourrait l’aider à sortir de cette situation.

Quand elle se sent trop fatiguée, elle se repose dans un parc. Elle tente de se faire passer pour une touriste. Même si, de toute façon, personne ne fait attention à elle.

« Nous les femmes, c’est parfois même ce qu’on souhaite : qu’on ne nous voie pas. Gommer toute trace de notre féminité, ne plus porter de maquillage, porter des vêtements larges. Devenir invisibles, ne plus être regardées. Pourtant, on est bien là. »

Chaque jour qui passe est de plus en plus difficile, souvent davantage même que la nuit. Car les femmes dans la rue deviennent rapidement des proies.

Alors, Clara finit par rejoindre un squat. Cette solution lui procure un sentiment de sécurité. Dans la rue, une femme est beaucoup plus en danger qu’un homme ; en rejoignant d’autres personnes, elle espère qu’on la laissera tranquille.

Mais le fait de vivre les uns sur les autres, dans la promiscuité permanente et l’absence totale d’intimité, devient de plus en plus difficile. À cela s’ajoutent des gestes déplacés d’un homme en particulier, de plus en plus pressants et oppressants…

Clara est tentée par l’idée de prendre une tente et de s’y réfugier seule. Quitte à affronter les plus grandes craintes d’une femme vivant seule en rue : les vols et les violences physiques, mais plus encore les agressions sexuelles et avec elles le risque de maladies sexuellement transmissibles et de grossesse non désirée…

Un jour, Clara passe par le Centre d’Accueil de jour de L’Ilot. Elle y bénéfice des services de première nécessité. Elle peut, entre autres, y prendre une douche, se reposer, boire et manger.

En parallèle, Clara se voit aussi proposer un accompagnement psychosocial : au cours d’entretiens successifs, elle reçoit une écoute active, bienveillante et empathique et peut enfin déposer ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, que ce soient les violences subies, la difficulté de voir son fils dans des conditions normales ou les perspectives d’avenir.

Etape par étape, on l’accompagne dans ses démarches de remise en ordre administrative, notamment pour rouvrir son droit à un revenu.

Clara est ensuite accueillie au sein de la maison d’accueil pour femmes et enfants de L’Ilot. Elle y obtient une chambre familiale où elle peut enfin se réinstaller avec son fils ; ensemble, ils peuvent à nouveau avoir du temps de qualité, dormir en sécurité sous le même toit et commencer à se projeter dans l’avenir.

Ce séjour en maison d’accueil permet à Clara de retrouver une certaine stabilité et de faire le point sur sa situation. Tout doucement, elle peut entamer sereinement un nouveau départ.

Un jour, elle et son fils peuvent même aller à la côte belge en compagnie de l’équipe sociale et des autres résident·e·s de la maison d’accueil : Lucas voit la mer pour la première fois, il construit des châteaux de sable avec d’autres enfants tout l’après-midi ; pour la première fois depuis si longtemps, il joue et rit… comme un enfant.

Enfin, Clara participe au projet d’économie sociale Les Pots de L’Ilot : elle apprend à cuisiner des recettes originales à partir de produits exclusivement bio, qui sont ensuite proposées à la vente aux particuliers.

Cette formation lui permet d’acquérir les bases en matière de règles de sécurité et d’hygiène, de respect des proportions, de surveillance de la température de cuisson des ingrédients, etc. En se reconnectant avec sa passion de la cuisine et en la partageant avec d’autres, Clara retrouve aussi l’estime d’elle-même.

Aujourd’hui, Clara a retrouvé un emploi : elle est devenue cheffe de cuisine dans un restaurant social. Nos équipes l’ont aussi aidée à retrouver un logement, un petit appartement au rez-de-chaussée, dans lequel elle vit avec son petit garçon.

* Prénom d’emprunt

Pierre 

Pierre* a 42 ans. La rue, il l’a connue pendant plusieurs années. La situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui, il ne l’a pas vue arriver.

Après une reconversion professionnelle, il devient professeur d’histoire remplaçant. Malheureusement, sa passion pour son métier ne suffit pas à payer les factures. Pierre est diabétique au stade avancé et doit régulièrement s’absenter du travail. Les contrats se font de plus en plus rares.

Parents de deux enfants, Tom (10 ans) et Maya (5 ans), Pierre et sa compagne décident de mettre un terme à leur histoire. Pierre quitte le logement dans lequel il a vu ses enfants grandir et décide de les laisser avec leur mère, mais pour aller où ? Très vite, il entre en dépression et perd pied.

Un ami accepte de loger Pierre pendant un moment. Mais l’appartement est minuscule : Pierre doit dormir sur le canapé. La cohabitation devient rapidement impossible, la relation entre les deux amis se dégrade… Il doit s’en aller. Partir mais à nouveau, où ?

C’est alors que Pierre découvre le monde de la rue. En quelques années, il y prend ses habitudes. Pour avoir chaud, il a son spot dans le métro, toujours le même. Au bout d’un moment, puisqu’il n’a plus aucune adresse de référence et qu’il a disparu des radars administratifs, il ne perçoit plus son allocation de chômage. De toute façon, il venait de se faire voler sa carte de banque...

C’est par le bouche à oreille que Pierre découvre les services de L’Ilot. Passées les hésitations liées à la honte de sa situation, il appelle et est redirigé vers une maison d’accueil pour hommes, où il est rapidement accueilli pour un hébergement temporaire.

Les premières semaines sont difficiles mais, au moins, il n’est plus seul. Il écoute les histoires de vie des personnes avec qui il partage temporairement la sienne. Dans le jardin de la maison, Pierre s’intéresse à la récolte du miel, à la culture des fruits et légumes. Après quelques semaines de repos, il lance avec le soutien des équipes de L’Ilot les premières démarches pour préparer son nouveau départ.

Depuis qu’il était à la rue, Pierre ne voyait plus ses deux enfants. Il ne voulait pas qu’ils s’inquiètent, qu’ils voient leur papa dans une situation précaire. Le reste de sa famille n’est pas au courant de sa situation. Ses parents pensent qu’il vit chez un ami. Lorsqu’il quitte la maison d’accueil pendant la journée, il fait en sorte qu’on ne puisse pas le reconnaître, de peur de croiser un proche.

Lors de son séjour, les assistant·e·s sociaux·ales et les éducateurs·trices l’accompagnent dans toutes ses démarches. C’est également à la cellule Capteur et Créateur de Logements qu’il devra sa sortie de la maison d’accueil en faveur d’une solution de logement durable.

Depuis deux mois, Pierre s’endort chez lui tous les soirs. Il apprécie sa routine retrouvée. Son chez-lui, il a été acheté par un particulier : un investisseur social qui, par l’intermédiaire de L’Ilot, a décidé d’aider des publics sans abri à se reloger dignement.

L’appartement est petit mais confortable et surtout, il y a deux chambres : la sienne et celle où il peut à nouveau accueillir ses enfants. Grâce à un appel à la solidarité lancé sur les réseaux sociaux à l’initiative du Service d’accompagnement à domicile, Pierre a même trouvé de quoi la meubler de deux lits et de jouets.

En attendant que sa situation financière s’améliore, Pierre continue de fréquenter L’Ilot une fois par semaine pour recevoir un colis alimentaire. Ces visites lui permettent d’avoir le soutien de l’équipe sociale dans les démarches administratives qui restent compliquées pour lui, mais aussi d’entretenir la relation avec certains résidents entretemps devenus ses amis.

*Prénom d'emprunt

L'Ilot en 2019

1171 personnes accompagnées par les services de L’Ilot

  • 97 enfants
  • 30 Familles
  • 237 femmes
  • 837 hommes

22.651 nuitées en maison d'accueil

121 personnes relogées

47.028 repas

4.092 petits-déjeuners servis à des personnes ayant dormi en rue

25.903 douches

546 lessives

80 travailleurs et travailleuses

37 volontaires

Nos valeurs, notre positionnement, notre raison d’être

Notre job à L’Ilot, c’est d’accueillir et accompagner les personnes sans abri ou en risque de sans-abrisme, d’améliorer leurs conditions de vie en travaillant à leurs côtés à la réouverture de leurs droits, à terme de favoriser leur trajet d’émancipation.

Cette action s’inscrit dans un projet plus global de lutte contre les inégalités. Elle comprend donc forcément une dimension militante et politique. Elle se démarque volontairement de toute démarche humanitaire ou caritative, qui se limiterait à agir ponctuellement tout en observant de loin l’augmentation de la précarité et ses effets sur les publics les plus fragiles. Notre action vise la justice sociale et veut lutter structurellement contre le sans-abrisme par le rétablissement des droits des personnes.

L’ensemble de nos services visent à répondre aux besoins rencontrés par les personnes sans abri et en situation de grande précarité en organisant toute l’année une offre large et diversifiée de services adaptés aux situations particulières de chaque femme, de chaque homme et de chaque famille concernée.

Notre approche est triple : elle passe tout à la fois par un accompagnement psychosocial individuel et sur mesure, un travail collectif incluant le public cible dans les modes de gestion et de fonctionnement des services proposés et un engagement sociétal qui implique une réflexion sur les causes sociétales du sans-abrisme et de la pauvreté.

Au quotidien, L’Ilot se donne comme objectif la construction de solutions dignes et durables pour permettre aux personnes de sortir définitivement du sans-abrisme et de se projeter durablement dans l’avenir en tant que membres reconnu·e·s de la société, disposant de l’ensemble de leurs droits et en capacité d’exercer leurs devoirs.