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On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance » 900 414 L'Ilot

On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance »

Illustration Prisca Jourdain

Françoise Pissart est directrice Justice sociale et Pauvreté à la Fondation Roi Baudouin. Forte d’une longue expérience des problématiques liées à l’enfance précarisée, elle nous partage son regard sur la situation actuelle, les obstacles qui se dressent face aux familles en situation de sans-abrisme ou de mal logement et les solutions qui pourraient / devraient être envisagées pour définitivement sortir les enfants de la rue. 

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Si l’on devait résumer le lien entre l’enfance et la pauvreté en trois mots… 

Le premier que je choisirais, c’est « déprivation ». Un enfant peut en effet subir l’exclusion sociale parce qu’il est quotidiennement privé d’une série de choses qui vont toucher à la pauvreté économique de la famille dans laquelle il vit et augmenter son sentiment d’exclusion : des habits neufs, des fruits et légumes frais chaque jour, des vacances, des jeux d’intérieur, etc. 

Mon deuxième mot, c’est « injustice ». Un enfant naît là où il naît ; en principe, il devrait avoir les mêmes chances que les autres, mais ce n’est pas toujours le cas. Certains enfants subissent déjà la précarité à la naissance, voire pendant la grossesse. 

Le troisième mot que je sélectionne, c’est « investissement » : on a cru pendant longtemps qu’il suffisait d’accroître le revenu des familles pauvres pour que les enfants s’en sortent. Aujourd’hui, il faut certainement travailler sur cet axe-là mais on peut aussi investir sur l’enfant : essayer de prévoir des moyens spécifiques pour qu’un enfant qui naît dans une famille en situation de pauvreté puisse quand-même bénéficier d’aides au niveau de l’éducation, la santé, etc. Il y a une responsabilité sociale pour l’aider à se préparer un avenir plus glorieux que ce à quoi le déterminisme classique pourrait le prédestiner. 

Les enfants touchés par la précarité, est-ce une question récente ? 

La problématique n’est pas récente. La façon dont on la regarde, par contre, est récente. Parce qu’on se rend compte que ça vaut la peine d’investir sur les enfants. À côté de tout ce qu’on peut faire sur les adultes, il faut regarder les enfants aussi comme un public cible important. Ils sont évidemment touchés par toutes les nouvelles formes de pauvreté auxquelles on assiste aujourd’hui. 

Un des groupes les plus à risque c’est les familles monoparentales : tout ce qui va toucher les mères seules avec enfant(s) va impacter l’avenir de l’enfant. Et les chiffres , même s’ils ne montrent pas l’ampleur et la gravité de la problématique, prouvent bien que ces dernières sont sur-représentées dans la catégorie du sans chez-soi. Nous avons besoin d’une méthodologie de dénombrement commune aux différents pouvoirs publics. Il n’est pas possible de développer une politique efficace si vous n’avez pas de données qualitatives, qui permettent d’analyser les profils des personnes, qui sont très différents. 

Que faire, concrètement, pour améliorer la situation ?

Il est nécessaire de travailler de manière transversale au sein des différents gouvernements, de croiser les niveaux institutionnels, d’œuvrer au niveau local. Mais la Belgique est ce qu’elle est ! On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance ». 

On parle beaucoup de partenariats au niveau local, on dépense beaucoup d’énergie à se mettre en partenariat, mais ce qu’il faut ce sont des moyens qui viennent des différentes compétences. Être pauvre, c’est d’abord ne pas avoir accès à un logement de qualité, aux soins (souvent les mamans se sacrifient pour les enfants), ne pas avoir de loisirs - essentiel, pour tous les enfants, ne pas avoir de parcours éducatif sans problème particulier lié au niveau d’éducation des parents. Tout est dans tout évidemment dans une société, mais ce que nous prônons surtout, ce sont des politique volontaristes et positives : miser sur ceux qui font des choses positives, vouloir les montrer et inspirer les autres. 

Mettre la priorité sur l’enfance, c’est faire des économies pour l’avenir : et ça, c’est un raisonnement qui n’est pas encore assez présent au niveau politique.

Quel regard posez-vous sur le déterminisme social et la dimension générationnelle de la pauvreté ? 

Déterminisme… j’aime bien le mot comme sociologue, moins comme représentante d’une fondation active dans le secteur de la philanthropie. À la Fondation Roi Baudouin, nous préférons miser sur les solutions, regarder les gens qui ont, malgré tout, l’énergie pour faire bouger les choses. 

Il y a aussi des adultes qui ont été pauvres dans leur jeunesse et qui s’en sortent très bien. Quand vous discutez avec des gens, vous êtes parfois assez étonnée de voir qu’ils n’ont pas été gâtés par la vie pendant leur enfance. Cela veut dire qu’il y a des choses qui réussissent, des lieux de support et d’accompagnement qui fonctionnent, des parents qui ne vont pas bien mais qui sont capables de transmettre des éléments d’expérience qui vont aider leurs enfants à s’en sortir, des enseignants qui n’oublient pas au fond de la classe les petits qui ne sont habillés comme les autres… 

Quand on n’a plus d’énergie, qu’on a essayé tellement de choses, qu’on a pris autant de coups (au propre comme au figuré), c’est difficile de rebondir. En même temps, avoir un enfant, ça va aussi vous maintenir la tête hors de l’eau et vous pousser à utiliser les ressources, dont celles proposées par L’Ilot, qui sont essentielles. 

La question s’inscrit de toute façon, de plus en plus, à l’agenda de tout le monde : en Wallonie, un enfant sur quatre vit ce genre de situation. 40 % à Bruxelles ! Ça devient donc une question de société dans son ensemble.

Vous avez évoqué dans cette interview un∙e Premier∙ière ministre avec la casquette « enfance ». Et si, demain, c’était vous ? 

Tout d’abord, je réclame des moyens. Parce que si c’est pour être un « ministère-alibi » ou qu’on demande aux autres d’allouer des moyens marginaux pour la cause ça ne suffira pas. Si un jour on décide de mettre la priorité sur les problématiques liées à l’enfance et à la jeunesse, il faut y mettre les moyens. 

Et pour définir les politiques à mettre en place il faut une vision, partagée et qui repose sur l’expérience des gens qui savent, qui sont en contact avec les personnes. Cela ne sert à rien d’inventer des choses qui ne correspondront pas aux besoins des personnes. 

Il y a des acteurs qui ont des solutions, mais qui ne détiennent qu’une partie de la solution. C’est très bien, ils sont dynamiques, il faut continuer à les soutenir, mais il faut passer à une autre échelle : la problématique est beaucoup plus large que ce que les réponses proposent aujourd’hui. 

Un grand défi pour les publics dont on parle, et les enfants aussi, c’est simplement de les toucher. Il y a parfois des offres qui sont formidables mais qui ne sont pas fréquentées ; en tout cas pas par celles et ceux qui en ont le plus besoin.  On dit toujours qu’il n’y a pas assez de places. Mais si elles existaient, est-ce qu’on toucherait les enfants qui en ont le plus besoin ?

Téléchargez La Kart #3 "Enfance et sans-abrisme"

Enfance et rue : no future ? 900 414 L'Ilot

Enfance et rue : no future ?

Illustration Prisca Jourdain

Mes jeunes années ont été heureuses sur bien des points et elles ont fortement contribué à faire de moi une adulte épanouie et solide. Celles de mon fils et mes deux filles ont suivi et suivent encore le même chemin : scolarité ininterrompue, nourriture équilibrée, fêtes d’anniversaire avec les copains et copines, chambre à soi, entraînement de basket et cours de musique… La norme ? Pas pour tout le monde : beaucoup trop d’enfants, privés de ces besoins fondamentaux, vivent, avec leurs parents, parfois un seul, parfois aucun, en marge d’une société – la nôtre – sans que nous ayons la capacité de répondre à leurs besoins fondamentaux.

Subir l’exclusion alors qu’on n’est encore qu’un nourrisson ? Hors de question ! Et pourtant, cette situation révoltante s’aggrave : on observe une augmentation plus qu’inquiétante du nombre de familles en situation de sans-abrisme. Les derniers dénombrements estiment que 20 % des personnes sans abri sont des enfants ! Et le phénomène, loin de diminuer, s’accélère de manière dramatique. 

De plus en plus de familles sans abri ou en risque de sans-abrisme – souvent portées à bout de bras par des mamans solo – font appel à nos services pour s’en sortir. Mais le manque criant de solutions pérennes que notre secteur peut leur apporter creuse toujours un peu plus le fossé qui les sépare d’un futur digne, dans un chez-soi bien chauffé, avec un frigo suffisamment rempli, sans la menace d’un huissier ni la peur d’une expulsion … 

Mettre en place des réponses adéquates et coordonnées pour les parents, c’est sortir leurs enfants de la boucle du déterminisme social, éviter que la précarité ne se transmette de génération en génération. Car une famille qui n’a pas de logement aujourd’hui risque de mettre des années à sortir de la précarité et tout ce qu’elle entraîne : non accès à une alimentation saine, détérioration de la santé physique et mentale, risque accru de violences conjugales et/ou intrafamiliales, non accès à la culture et aux loisirs, etc. Vivre sans toit, sans droits, c’est la condamnation à un travail de reconstruction extrêmement lourd, quand celui-ci est seulement envisageable. Pour les enfants, c’est aussi le risque d’un parcours scolaire perturbé ou brutalement interrompu, le renoncement aux loisirs, la perte de confiance en soi… L’insouciance et la légèreté font place à la peur et au sentiment d’insécurité. Ces enfants grandissent trop vite et portent dans leur sac à dos des problèmes qui ne devraient pas les concerner.

Je suis persuadée que les solutions durables pour toutes celles et ceux qui sont confrontés au sans-abrisme et au mal logement devront être pensées ensemble. Le décloisonnement sectoriel mais aussi un travail coordonné entre les responsables politiques et les associations de terrain sont plus que nécessaires pour que les droits des femmes, des jeunes ou des enfants soient, un jour, pris en compte et rencontrés dans une dynamique globale. Les lignes budgétaires comme elles sont pensées à l’heure actuelle ne permettent que trop rarement d’avancer dans cette logique d’intersectorialité.

Sans ce travail coordonné, sans moyens financiers conséquents, toujours trop d’enfants continueront à subir la pauvreté et l’exclusion au quotidien, seront privés dans les années à venir de leur droit fondamental au bonheur et à l’insouciance. 

Il en va de notre responsabilité à tous et toutes. Leur avenir est entre nos mains.

Ariane Dierickx, directrice de L’Ilot  

8 mars : la pauvreté est bel et bien genrée 1024 420 L'Ilot

8 mars : la pauvreté est bel et bien genrée

Pauvreté individuelle, dépendance financière, taux d’emploi, écarts salariaux... En matière de précarité socio-économique en Belgique, les femmes occupent toutes les premières places.

La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars, c’est l’occasion pour L’Ilot de rappeler que c’est notamment la pauvreté résultant d’emplois mal considérés et précaires qui oblige les personnes – et donc majoritairement les femmes – à vivre constamment à la limite de leurs capacités, mal logées, avec le risque permanent de basculer…

Pas d’argent ? Pas de logement !

L’affirmation semble évidente. Ce qui l’est moins, c’est l’impact de la précarité financière sur le public féminin en particulier. Beaucoup d’indicateurs, notamment ceux que L’Ilot a mis en évidence dans son étude-action « Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité », montrent clairement que les femmes sont, de manière générale, plus pauvres que les hommes :

  • 70 % des personnes en situation de pauvreté individuelle sont de sexe féminin ;
  • en Wallonie, 27,1 % des femmes sont dans une situation de dépendance financière (à un conjoint la majorité du temps) contre 12,3 % des hommes ;
  • les familles monoparentales vivent avec un risque de pauvreté de 41 %. Or, dans 83 % des cas, ces ménages sont en réalité composés d’une femme seule avec un ou plusieurs enfant(s) ;
  • après les familles monoparentales, ce sont les femmes seules de moins de 65 ans qui sont les plus exposées à la pauvreté, avec un risque de 27,6 %.

Cette plus grande précarité des femmes par rapport à leurs homologues masculins fait qu’elles sont notamment plus exposées au mal logement et, dans les situations les plus problématiques, au sans-abrisme. Pour se payer un logement décent, il faut de l’argent ! 

Si la problématique est loin d’être neuve, elle nécessite pourtant, encore et toujours, le développement de solutions structurelles et innovantes, focalisées sur le vécu et la situation particulière des femmes. L’Ilot tient à travailler dans ce sens dans le futur en mettant notamment l’accent sur l’importance de former les travailleurs et travailleuses de terrain aux spécificités liées au genre de la personne sans abri ou mal logée.

Des emplois pénibles, précaires et mal payés

Pour éviter de tomber dans la précarité, il faut entre autres avoir accès à un travail de qualité, bien rémunéré. Et les statistiques montrent encore une fois qu’hommes et femmes ne sont pas égaux face à l’emploi.

La crise sanitaire liée au Coronavirus a en effet révélé à quel point les métiers dits « essentiels », de soins aux autres et à la société, sont principalement exercés par des femmes, dans des conditions de travail aussi pénibles que précaires et avec des salaires très (trop) bas : infirmières, aide-soignantes, caissières, puéricultrices, techniciennes de surface, etc. Plusieurs études ont aussi démontré que la charge du travail domestique et des soins aux enfants a explosé pour les femmes durant les confinements successifs, notamment en raison du télétravail. Les violences conjugales et intrafamiliales ont aussi augmenté, comme a pu le constater notre secteur, manquant de places pour les victimes.

Quelques chiffres – parmi tant d’autres exemples d’inégalités :

· selon les secteurs, 80 à 98% des « héros de la crise » - soit les travailleurs et travailleuses de première ligne – étaient en réalité des héroïnes. Or, la grande majorité d’entre elles gagnent moins que le salaire belge moyen ;

· 81% des travailleurs dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale sont des femmes ;

· l'écart salarial annuel s’élève à 21%, et les pensionnées bénéficient d’une pension 30% inférieure à celles des retraités. Ces écarts sont principalement dus au travail à temps partiel et à la forte présence des femmes dans des secteurs dévalorisés et mal rémunérés, typiquement le secteur du social et du soin ;

· en Wallonie, 68% des travailleuses de l’économie sociale sont à temps partiel (pour 31% des hommes). C’est le cas de 53% des Bruxelloises (et 23% des Bruxellois) ;

· selon une étude de la VUB, les femmes effectuent plus de deux tiers des tâches ménagères. L'institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes rappelle qu’un jour de semaine, les hommes consacrent 1h30 de plus que les femmes au travail rémunéré, tandis que les femmes utilisent ce temps supplémentaire pour le soin aux enfants et les tâches domestiques. Les hommes ont aussi 45 minutes de plus de temps libre chaque jour. Ces différences s’accroissent encore le week-end.

Une enquête française a montré que le travail domestique des mères a doublé pendant la crise sanitaire. La crise sanitaire pourrait donc faire reculer de 20 ans les très lentes évolutions en termes de répartition des tâches.

Qui prend soin de celles qui prennent soin ?

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, L’Ilot a décidé de se positionner et de participer à la journée de lutte du 8 mars. Le GRIF(F !), soit le Groupe de Réflexion et d’Initiative Féministes (et Féroces !) de L’Ilot a invité toutes les travailleuses à une journée de partage, de réflexion et de lutte, centrée autour de la problématique du soin des travailleuses du care. Les coordinations et directions de nos différents services de terrain ont tout mis en œuvre pour donner la possibilité aux travailleuses qui le souhaitent d’y participer.

L’initiative sera répétée, chaque année, tant que les femmes de tous les horizons ne seront pas considérées comme égales des hommes, dans le monde du travail et partout ailleurs.

Rights First : reconsidérer l’accompagnement et l’accès aux droits sociaux pour les personnes les plus vulnérables 900 414 L'Ilot

Rights First : reconsidérer l’accompagnement et l’accès aux droits sociaux pour les personnes les plus vulnérables

Le projet Rights First offre l'opportunité de reconsidérer les processus actuels d'accompagnement des personnes vulnérables ainsi que les politiques visant à faciliter leur accès aux droits sociaux. L'innovation étant le maître-mot du projet, il propose de nouveaux partenariats et des façons inédites de faciliter les politiques d'intégration. Il s’articule autour de 3 axes de travail : l'accès au revenu minimum, au logement et aux solutions d'emploi. Le projet fera l’objet d’une évaluation sur une période de 30 mois (du 1er janvier 2022 au 30 juin 2024).

Le projet Rights First est coordonné par Bruss’help. Il réunit plusieurs acteurs de terrain (DIOGENES, Hobo, L’Ilot et le New Samusocial) qui travailleront notamment avec la Fédération des CPAS ou Actiris. Il bénéficie aussi du soutien de Crisis (Royaume-Unis) et de St Joan de Déu Serveis Socials (Espagne) qui partageront leur expérience dans la mise en œuvre d’une approche holistique. 

Le projet Rights First s'inscrit dans le cadre du programme européen pour l'emploi et l'innovation sociale « EaSI » 2014-2021, financé directement par la Commission européenne. La Commission Communautaire Commune du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale y apporte également une contribution financière. 

Contexte 

Le projet Rights First s'inscrit dans le cadre du programme européen pour l'emploi et l'innovation sociale « EaSI » 2014-2021, financé directement par la Commission européenne. Ce programme vise à mettre en œuvre sa stratégie 2020 pour promouvoir un niveau élevé d'emplois durables et de qualité, une protection sociale adéquate et décente en vue de lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté ainsi qu’une amélioration des conditions de travail. Il répond à une volonté générale de mettre fin au sans-abrisme d'ici 2030. 

La Commission européenne a mis en place ce programme en recherchant des innovations sociales (services, produits ou modèles) et des politiques expérimentales pour répondre aux besoins sociaux. Parmi toutes les avancées susceptibles de mettre fin à la pauvreté et à l'exclusion, la Commission Européenne garde en ligne de mire la garantie d'un revenu minimum, d'un logement et d'un emploi pour que les personnes puissent avoir une vie décente et retrouver leur dignité. Il va sans dire que la crise pandémique à laquelle nous sommes confrontés depuis quelques années a mis à mal les progrès accomplis depuis 2014. Bien qu'acquis dans tous les Etats Membres de l'Union européenne, les dispositifs de revenu minimum méritent d'être revus et modernisés. C'est dans ce cadre que s'ancre le projet Rights First.  

La Commission communautaire commune du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale y apporte également une contribution financière. Sur proposition d’Alain Maron, ministre de l'Action sociale et de la Santé, le Collège Réuni de la Commission Communautaire Commune a également accordé un financement au projet Rights First. Ce projet est directement lié aux objectifs de l'accord de gouvernement pour la législature 2019-2024 puisqu'il active la réouverture des droits, améliore l'accès à l'emploi et facilite l'accès au logement durable. Le soutien financier accordé par le Collège Réuni de la Commission Communautaire Commune est également motivé par la dimension innovante du projet réunissant de multiples acteurs.

Tous les deux ans, Bruss'help réalise un dénombrement pour estimer le nombre de personnes à la rue ou vivant dans des logements inadaptés (abris, squats, etc.). En 2020, le nombre estimé s’élève à 5313 personnes. Bien que les causes du sans-abrisme soient multiples, il se traduit souvent par une perte de droits sociaux – certaines personnes n'ont même jamais eu accès à de tels droits – pouvant entraîner une disparition administrative. 

Ce phénomène est récurrent pour les personnes officiellement présentes sur le territoire bruxellois à un moment donné qui finissent par être radiées du registre national en raison de l'absence d'une adresse de résidence ou de référence. Pour briser ce cercle vicieux, un soutien administratif ainsi qu'une aide à la recherche d'un logement et d'un emploi sont indispensables.

Le projet Rights First

Le projet Rights First ambitionne de toucher plusieurs publics. Il examine notamment la possibilité de rouvrir les droits sociaux des personnes sans abri en situation administrative irrégulière à Bruxelles pour leur permettre de s’émanciper dans leur propre projet de vie en Belgique. Il est également ouvert, par exemple, à des personnes avec revenus recherchant des conditions de logement décentes. 

Les trois axes de travail du projet Rights First sont en effet l'accès au revenu minimum, au logement et aux solutions d'emploi. C'est une occasion unique de reconsidérer le processus actuel d'accompagnement des personnes vulnérables ainsi que les politiques visant à faciliter l'accès aux droits sociaux. Ce qui est régulièrement mis en cause, c'est la lenteur des services à tous les niveaux et la complexité des démarches à entreprendre pour retrouver une situation de vie décente. 

L'innovation étant le maître mot de ce projet, il propose de nouveaux partenariats et de nouvelles façons de faciliter les politiques d'intégration dans le cadre d'une évaluation post ante et ex post sur une durée de 30 mois (du 1er janvier 2022 au 30 juin 2024). 

À l’issue de ce projet, est visée une simplification administrative pour percevoir rapidement un revenu, trouver un logement ou un nouvel emploi. Cette simplification administrative pourrait, à long terme, être étendue à un public plus élargi.

Partenaires

Chargé de sa coordination, Bruss’help assure le bon déroulement du projet Rights First. 

En tant qu'autorités publiques, les centres publics d’action sociale (CPAS) jouent un rôle crucial pour faciliter l'accès aux droits sociaux dont le revenu minimum. Comme ils sont 19 dans la seule région de Bruxelles, la Fédération des Centres publics d'action sociale contribuera au débat sur l'amélioration des politiques. Toutefois, quatre CPAS (ceux des communes de Forest, Bruxelles-ville, Auderghem et Saint-Gilles) participeront au projet de manière opérationnelle ainsi qu’au processus d'évaluation. Une autre autorité publique associée au projet est Actiris dont l'expertise en matière d'accompagnement auprès des demandeur∙euse∙s d'emploi pourrait être étendue aux personnes sans abri. 

D'autres prestataires de services offrant un accompagnement direct aux personnes vulnérables apporteront une valeur ajoutée au projet en partageant leur propre expertise :

  • DIOGENES, qui est spécialisé dans le travail de rue ; 
  • Hobo, qui gère un centre de jour et propose un accompagnement vers la remise à l’emploi ;
  • L’Ilot, qui propose des solutions de logements durables et abordables pour le public bruxellois sans abri et un service d'accompagnement à domicile après l’entrée en logement (S.Ac.A.Do) ; 
  • le New Samusocial, qui gère différents types d'hébergements (d’urgence, de transition et un dispositif Housing First). 

Des partenariats ont également été établis avec Crisis, une organisation caritative britannique, et St Joan de Déu Serveis Socials, un service social basé à Barcelone. Ces deux organisations ont développé une approche holistique de la lutte contre le sans-abrisme et encadreront les partenaires belges. Leur expertise sera certainement un enrichissement tout au long du projet.

Comment ? L'approche holistique

L'objectif du projet est d'accompagner les personnes sans abri à Bruxelles par une approche holistique et en se concentrant particulièrement sur : 

  • l'inscription administrative pour réactiver les droits sociaux (adresse résidentielle ou adresse de référence et revenu minimum d’intégration sociale) ;
  • l'accompagnement dans la recherche d'un logement et le maintien dans ce logement ; 
  • l'intégration sur le marché du travail. 

Pour analyser les parcours d'intégration, nous nous pencherons sur les conditions de départ des bénéficiaires. Deux scénarios peuvent, par exemple, être envisagés : 

  • le premier est celui d'un∙e bénéficiaire sans abri, dormant dans la rue ou utilisant un hébergement d'urgence ou de transition et qui n'est ni enregistré∙e auprès de la municipalité (donc pas de contact avec un CPAS) ni n'a accès à l'aide sociale, aux services de logement ou d'emploi. Dans ce cas, le parcours commencera probablement par la réouverture des droits ou par la recherche d'un hébergement de transition ;
  • dans le second scénario, le ou la bénéficiaire est sans abri, peut vivre dans un refuge ou dans un hébergement de transition et a déjà accès au revenu minimum grâce à l'aide d'un CPAS. Ce parcours d'intégration propose de faciliter l'accès au marché du travail par le biais d'un accompagnement, d'une formation et d'une recherche d'emploi, couplé à un soutien pour trouver un logement stable. 

Chaque scénario prévoit des exceptions car les parcours d'intégration ne sont pas figés. C'est pourquoi une approche holistique fondée sur un nouveau partenariat fera la différence pour une personne sans abri.

Pour renforcer la solidité de l'approche, le projet s'inspire du travail de nos partenaires européens : les projets Crisis et Sant Joan de Deu. Le soutien par les pairs et des formations seront organisés sur la base de la méthodologie d'intervision afin de partager les pratiques et les connaissances entre les projets en mettant en lumière des situations complexes et de résultats insatisfaisants. 

Cela signifie d'établir et de renforcer la coopération entre les partenaires impliqués. Un tel partenariat a le potentiel de couvrir l'ensemble du parcours analysé qui va de la rue ou d'un hébergement à court terme vers un logement permanent et un emploi. Cette approche holistique de la prestation de services facilitera l'obtention du droit à un revenu minimum adéquat et à d'autres prestations en espèces pour les personnes sans abri qui n'ont actuellement aucun recours aux fonds publics.

Suivi et évaluation 

Le suivi et l'évaluation sont des éléments centraux de ce projet et seront réalisés par un∙e expert∙e externe. Le processus de suivi et d'évaluation permettra de justifier le projet lui-même, ses progrès vers ses objectifs, ses faiblesses et ses réalisations, et la manière dont il devra évoluer pour répondre aux besoins des bénéficiaires. Sur la base d'une approche ex-ante/ex-post, les partenaires seront en mesure d'assurer la durabilité de l’impact. Par conséquent, l'évaluation couvrira les nouveaux partenariats, l'efficacité et l'efficience de l'accès aux droits sociaux ainsi que la satisfaction des bénéficiaires impliqués.

Innovation

Le sans-abrisme est une thématique importante et prioritaire pour l'innovation sociale. Les prestataires de services du secteur de l’aide aux personnes sans abri peuvent être des acteur∙trice∙s clés de l'innovation sociale et le secteur a besoin de soutien pour développer, tester et étendre les innovations afin de lutter contre le sans-abrisme et ainsi contribuer aux progrès dans les objectifs des piliers des droits sociaux de la stratégie européenne 2020. 

Chaque axe composant ce projet pris isolément présente déjà de multiples contraintes de temps et de ressources. Le projet Rights First apporte une réponse plus complète et renforce le dialogue entre les prestataires de services aux personnes sans abri. L'approche holistique englobant les droits au revenu minimum, au logement et à l'emploi est nouvelle pour le secteur bruxellois et a le potentiel de s'étendre à d'autres domaines thématiques de lutte contre l'exclusion liée au logement tels que la santé et l'éducation. 

De plus, les partenariats sont innovants car ils réunissent les prestataires de services aux personnes sans abri et les autorités publiques tout en combinant une variété de professions qui ne sont normalement pas en contact lorsqu'il s'agit de traiter des situations d'exclusion de personnes. 

Rights First plaide pour un travail transversal : les professionnel∙le∙s travaillant avec les personnes sans abri peuvent innover en portant leurs services au-delà de leur cadre traditionnel afin d'améliorer l'accessibilité et l'engagement.

Dans l’ensemble, il y a beaucoup de possibilités pour l'innovation sociale en soutien au développement, l'essai et la diffusion de l'approche holistique de la prestation de services que Rights First met en œuvre. 

* Toutes les informations divulguées ne reflètent que l’opinion de l’auteur. Dès lors, la Commission européenne n’est pas responsable de l’usage qui pourrait être fait de ces informations.

Tempête Eunice : inégalités en rafales 890 499 L'Ilot

Tempête Eunice : inégalités en rafales

La tempête Eunice, qui balaye actuellement la Belgique, s’annonce comme l’une des pires de ces 30 dernières années. Alors que les autorités publiques encouragent la population à se calfeutrer, de nombreuses personnes seront, dans les prochaines heures, en danger faute d’abri sécurisé, vont devoir affronter les éléments au péril de leur vie.

L’Ilot tient à rappeler que, encore une fois, ce sont celles et ceux qui vivent dans les conditions les plus précaires qui se retrouvent en première ligne quand la situation dégénère : pas moyen de s’abriter quand on n’a nulle part où loger ! 

Sans solutions pérennes et durables pour assurer la sécurité et un futur digne à celles et ceux qui vivent en rue, sans une politique innovante en matière de rénovation des habitations qui le nécessitent, sans garantie d’accès à des logements dignes pour les publics les plus précarisés, chaque bourrasque trop importante entraînera invariablement des drames humains dans son sillage.

Il est primordial de, sans tarder, dégager des moyens pour assurer la sécurité de tous face aux catastrophes météorologiques. Si nous restons sans réaction, le vent sèmera, après la tempête, la désolation pour toutes celles et ceux qui vivent en rue ou sous des toits branlants.

Énergie : la réaction de L’Ilot face à la hausse des prix 1024 682 L'Ilot

Énergie : la réaction de L’Ilot face à la hausse des prix

Ployer sous les coups de l'énergie

L'explosion des coûts énergétiques nous oblige toutes et tous à resserrer nos budgets et à moins consommer. Pas toujours agréable, mais jouable. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est continuer à vivre dignement quand on survit financièrement. Ce qui ne l’est pas du tout, c’est devoir choisir entre manger et se chauffer. Pour L’Ilot : les deux, sans hésiter !

Comment faire face à une facture qui triple quand dépenser le tiers est déjà difficile, voire impossible sans le soutien des services agréés ? Comment garder un chez-soi quand on ne peut plus se le payer ? Aider les personnes à répondre à ces questions, c’est la réalité quotidienne du Service d’accompagnement à domicile de L’Ilot (S.Ac.A.Do), qui apporte notamment son soutien aux personnes mal logées en risque de sans-abrisme. La crise énergétique que nous vivons, c’est une quasi-condamnation à la rue pour beaucoup de personnes et de ménages sans aucune sécurité financière. Et elle va surement, dans les prochains mois, encore frapper plus fort.

Sans plus attendre, L’Ilot fait siennes les recommandations déjà édictées par ses partenaires – notamment le Centre d’Appui SocialEnergie de la Fédération des Services Sociaux – et plaide pour qu’elles débouchent rapidement sur des actions concrètes :

  • la pérennisation du tarif social et son élargissement sur la base des revenus, notamment pour les personnes bénéficiant d’une intervention majorée ou en situation de médiation de dettes ;
  • l’introduction de prix réglementés pour les consommations domestiques ;
  • la mise à contribution du secteur et des changements dans le design du marché de l’électricité ;
  • une politique ambitieuse d’isolation du bâti qui permette de toucher tous les ménages, qu’ils soient propriétaires ou locataires.

Si l’urgence sociale est bien réelle, elle ne peut cependant pas entraîner de décisions prises à la va-vite : consulter les associations et organismes – publics comme privés – dédiés à l’aide aux personnes est une obligation pour que les solutions dégagées soient concertées, coordonnées et durables.

Payer sa facture de gaz devient un luxe ! Pour soutenir celles et ceux qui risquent de se retrouver à la rue si les prix continuent à augmenter, faites un don à S.Ac.A.Do, le service de L'Ilot qui travaille avec les personnes mal logées ou en risque de sans-abrisme. Celles qui ont de moins en moins. Celles qui n'en peuvent plus des coups.

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Elodie et Cindy 1024 420 L'Ilot

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Elodie et Cindy

Recherche-action sur les violences faites aux femmes les plus précaires (sans abri) et préfiguration d'un centre de jour pour femmes.

Ce 13 janvier, L’Ilot présente aux parlementaires bruxellois∙es l’étude-action sur les femmes en situation de sans-abrisme qu’elle mène depuis mars 2021. Et ses constats sont sans appel : le nombre de femmes sans-abri ou mal logées est largement sous-évalué et l’offre de services ne leur est pas adaptée alors qu’elles subissent plus de violences – notamment liées au genre – que leurs homologues masculins. Dans une démarche intersectorielle et avec l’aide d’un groupe d’expertes du vécu, L’Ilot a développé une série de recommandations pour proposer des solutions dignes et durables à ces constatations, notamment la création d’un centre de jour par et pour les femmes.

Elodie Blogie, qui a mené l'étude-action sur les femmes sans abris pour L’Ilot, dresse l’amer portrait d’une société – la nôtre – qui n’a jamais pris en compte les réalités du sans-abrisme au féminin.

Outre la création d’un centre de jour #paretpourlesfemmes, L’Ilot recommande notamment :

  • D’améliorer la méthodologie de dénombrement des femmes sans abris et de mener une étude qualitative à leur sujet
  • De créer des formations spécifiques sur le genre, le sexisme ou encore la non-binarité pour les travailleur∙euse∙s sociaux∙ales
  • De rapprocher les secteurs sans-abri et droits des femmes
  • De lutter contre la précarité menstruelle
  • (re)Penser la sexualité et l’intimité des personnes sans abris, notamment en hébergement

Cindy est l’une des expertes du vécu ayant co-construit avec L’Ilot les ébauches d'un futur centre de jour par et pour les femmes en situation de sans-abrisme. Elle nous explique le « pourquoi ? » de son implication et insiste sur l’absolue nécessité d’un tel projet.

Dans la presse : 

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Rapport 1024 420 L'Ilot

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Rapport

Etude-action sur les violences faites aux femmes les plus précaires (sans abri) et préfiguration d'un centre de jour pour femmes.

Ce 13 janvier, L’Ilot présente aux parlementaires bruxellois∙es l’étude-action sur les femmes en situation de sans-abrisme qu’elle mène depuis mars 2021. Et ses constats sont sans appel : le nombre de femmes sans abri ou mal logées est largement sous-évalué et l’offre de services ne leur est pas adaptée alors qu’elles subissent plus de violences – notamment liées au genre – que leurs homologues masculins. Dans une démarche intersectorielle et avec l’aide d’un groupe d’expertes du vécu, L’Ilot a développé une série de recommandations pour proposer des solutions dignes et durables à ces constatations, notamment la création d’un centre de jour par et pour les femmes.

Dans la presse : 

La Kart #2 accompagner les jeunes en errance : le projet MACADAM 1024 875 L'Ilot

La Kart #2 accompagner les jeunes en errance : le projet MACADAM

Madeleine Guyot, présidente de l’association Macadam - jeunes en errance et Simon Niset, directeur d’une des maisons d’accueil pour hommes seuls de L’Ilot à Charleroi échangent sur les spécificités de l’accompagnement des jeunes (entre 15 et 26 ans).

L’Ilot : Simon Niset, est-ce que vous
accueillez des jeunes dans votre
maison d’accueil ?

Simon Niset : Oui, en 2019 et en
2020 on a accueilli 20 % de jeunes
ayant entre 18 et 24 ans. C’est très
significatif. C’est une évolution récente.

L’Ilot : Comment ces jeunes hommes
sont arrivés chez vous ?

Simon Niset : Il y a différentes
manières : soit ces jeunes connaissent
des maisons d’accueil, soit ils se sont
adressés à un service social de première
ligne, soit ils appellent d’eux-mêmes
partout en espérant trouver une
place d’accueil et d’hébergement
temporaire… Ce qui m’interpelle c’est
que beaucoup de ces jeunes ont déjà
un parcours dans l’aide à la jeunesse.
On peut donc se poser la question d’un
certain échec à un moment précoce, au
niveau familial d’abord et ensuite au
niveau des institutions qui sont censées
prendre le relais. Les questions de mise
en autonomie ont toujours été très
compliquées. Force est de constater que
pour une bonne partie de jeunes, cela
ne fonctionne pas comme cela devrait.
Avec l’équipe socio-éducative de notre
maison d’accueil à L’Ilot, nous nous
interrogeons par rapport à l’accueil de
ce public, et, entre autres, de savoir si
une maison ouverte à tous les âges est
vraiment bien adaptée. On constate
deux choses : la première, c’est que
certains sous-groupes de jeunes vont
rentrer en conflit avec des plus âgés ; la
deuxième c’est la potentielle mauvaise
influence de plus âgés sur les plus
jeunes, notamment pour ceux qui
cherchent une figure parentale. En
même temps, je crois fort à la mixité
des publics, la mixité des âges… D’une
part, créer des structures spécifiques
pour les jeunes peut accroître le risque

pour eux de se tirer mutuellement vers
le bas. Mais, d’autre part, il faut le dire
honnêtement, on a déjà accueilli des
jeunes qui sont ressortis plus abîmés
d’une maison d’accueil qu’à leur arrivée
parce qu’ils y avaient rencontré les
mauvaises personnes, souvent en lien
avec des problèmes d’assuétudes et de
consommation…

L’Ilot : Le risque de glissement vers
le bas serait selon vous moins grand
si les jeunes restaient en groupe sans
autre contact avec des plus âgé·e·s ?

Simon Niset : En fait, je ne dirais pas
que c’est une problématique liée au
fait que les jeunes se regroupent. Il est
évidemment normal que les jeunes
s’associent. Ce qui est compliqué pour
nous, c’est de leur faire comprendre
que les enjeux ne sont pas les mêmes
pour eux que pour des jeunes qui
sont en famille, et n’ont pas eu ce
parcours d’errance et d’exclusion qui
est le leur. On peut respecter le fait
qu’à 18 ans, on fait la fête, on est un
peu insouciant…mais un jeune reste
chez nous pendant neuf mois et, si au
bout des neuf mois, on n’arrive pas à
concrétiser un projet de logement, il va
se retrouver à la rue. Il y a une urgence
à se mobiliser mais c’est parfois assez
difficile de leur en faire prendre
conscience.

Madeleine Guyot : Ce que Simon
dit résonne fort à plein de niveaux.
C’est une question complexe. Ce
public a besoin d’être entendu dans
ses demandes et ses non-demandes,
d’être compris et qu’un lien soit recréé.
Le but de l’initiative Macadam c’est
de proposer un accueil « bas seuil »
de jour inconditionnel pour un
public fortement désaffilié et de lui
fournir une réponse le plus possible
désinstitutionnalisée.

« Bas seuil », cela implique que tout jeune peut y venir, quelle que soit la complexité de
sa situation, quel que soit son niveau
d’autonomie.

L’Ilot : Qu’est-ce que ce ça veut dire
« une réponse désinstitutionnalisée » ?

Madeleine Guyot : C’est permettre
constamment à la structure de se poser
la question de savoir si les services
qu’elle offre sont adaptés aux besoins.
C’est forcer l’institution à s’adapter
aux jeunes plutôt que les jeunes au
fonctionnement de la structure.
C’est aussi éviter une conditionnalité
monolithique. Car pour certains
jeunes, la mise en projet ou le projet
de logement, etc., ça peut fonctionner.
Mais pour plein d’autres jeunes, ça
ne fonctionne plus. Il leur faut un
temps de repos. Madacam veut le leur
offrir, avec un accompagnement. Ça
implique d’être prêt à accueillir la nondemande
des jeunes. Voilà donc nos
trois principes directeurs à Macadam :
l’inconditionnalité, le fait de ne pas
s’institutionnaliser et le fait d’accueillir
la non-demande.

L’Ilot : Est-ce que le fait d’être financé
par les pouvoirs publics, qui ont des
attentes, ne risque pas justement de
conduire à une institutionnalisation ?

Madeleine Guyot : L’ADN de Macadam
c’est l’intersectorialité : santé mentale,
aide à la jeunesse, sans-abrisme, lutte
contre la pauvreté, etc. L’Ilot connait
bien ce type de démarche parce qu’il est
membre du Conseil d’Administration
et fonctionne beaucoup avec d’autres
secteurs. Cela garantit une approche
plus large que celle d’un seul secteur
donc d’une seule « vision politique ».
La volonté de Macadam c’est de ne pas
rentrer dans une case afin de faire place

à quelque chose qui s’articule entre la
minorité et la majorité d’âge, le sansabrisme,
l’aide à la jeunesse, la santé
mentale, la lutte contre la pauvreté, etc.

L’Ilot : Simon Niset, comment
réagissez-vous à l’idée de la création
d’un centre de jour bas seuil pour
jeunes ?

Simon Niset : Je pense que c’est une
initiative qui a énormément de sens.
Il y a vraiment urgence. C’est un
besoin qui avait d’ailleurs déjà été
relayé par Philip De Buck, directeur du
Centre d’Accueil de jour de L’Ilot, qui
disait qu’il était alarmé par le nombre
de jeunes qu’il voyait, leur difficulté
à trouver leur place dans un centre
ouvert à tous et toutes, la difficulté de
l’équipe à répondre à leurs besoins et
attentes spécifiques et la potentielle
mauvaise influence que pouvait avoir le
public plus ancien sur ce public jeune
qu’il identifiait comme extrêmement
fragile.

L’Ilot : Quelle est la bonne manière
d’accueillir et d’accompagner ces
jeunes ?

Simon Niset : Je pense qu’il faut aller
vers un maximum de diversité et éviter
les groupes homogènes, pour que
tous les jeunes se sentent autorisés à
fréquenter ce centre. Après, les jeunes
sont dans la construction de soi, dans
la remise en question d’un système et
de toute forme d’autorité. Il faut donc
qu’il y ait un cadre clair mais avec
lequel les éducateurs et éducatrices
puissent jouer de manière intelligente,
sinon ça risque d’être extrêmement
compliqué.

Madeleine Guyot : Nous accueillons
tous les jeunes, en adaptant les
modalités d’accueil. Ces jeunes ont

l’errance comme seul dénominateur
commun. On parle de personnes
migrantes, LGBTQI+, de jeunes filles
enceintes, etc. Il faut les toucher et les
accompagner de façon pertinente, en
fonction de leur situation, et être très
réactif. Enfin, nous voulons stimuler
leur participation, au sein de Macadam
mais aussi pour se faire entendre des
politiques, intervenir comme experts
du vécu, etc.

L’Ilot : Quels sont les défis et les
points d’attention ?

Simon Niset : Il faut une équipe solide
et nombreuse pour accompagner ces
jeunes aussi très concrètement dans
leurs démarches administratives ou
pour la recherche d’un logement.
Et bien intégrer la structure dans le
quartier, pour que les jeunes y accèdent
facilement, sans craindre de n’être pas
bienvenus.

Madeleine Guyot : Ils sont nombreux.
Il faut éviter d’entrer dans la fameuse
« boucle de mobilité » des jeunes en
errance, qui circulent sans cesse entre
les mêmes services et reviennent à
chaque fois à la « case départ ». L’enjeu,
c’est d’améliorer la trajectoire de ces
jeunes. Cela veut dire promouvoir
l’intersectorialité, qui est indispensable.
On doit également arriver à toucher
des jeunes qui sont plus difficiles à
atteindre, comme les jeunes victimes de
traite et d’exploitation sexuelle. Nous
voulons aussi développer une expertise
sur ces publics qui puisse servir à tous
les acteurs. Enfin, il faut assurer des
financements à la hauteur des enjeux.
Nous avons besoin de l’engagement
ferme et concret des politiques sur cette
question.

Social et green washing au détriment de l’aide alimentaire : le modèle Happy Hours Market 1024 208 L'Ilot

Social et green washing au détriment de l’aide alimentaire : le modèle Happy Hours Market

Happy Hours Market est une entreprise qui récupère les invendus de commerces afin de les revendre en fin de journée à prix réduit sur une application. Les restes sont ensuite déposés après 21h30 à des associations d’aide alimentaire.

Au premier regard, l’action d’une telle entreprise semble vertueuse : lutte contre le gaspillage et soutien aux associations d’aide alimentaire. Qu’en est-il vraiment?

La marchandisation de l’aide alimentaire : de la science fiction ?

Le secteur de l’aide alimentaire s’organise depuis des dizaines d’années et se professionnalise surtout depuis 2015 dans la collecte d’invendus : achat et mutualisation des moyens logistiques, partage des moyens entre associations, collaborations etc. Des plateformes d’approvisionnement et d’échange existent déjà dans le secteur (DREAM, Bourse aux dons, LOCO…).

Il n’est pas satisfaisant de venir en aide aux personnes précarisées avec des invendus, mais aujourd’hui aucune autre solution n’existe. Il est encore moins envisageable que la qualité et la quantité de cet approvisionnement soit mis à mal par les entreprises qui s’intéressent de plus en plus à cette source de nourriture – surtout en ce moment, en pleine période de crise sanitaire et sociale. Si plus d’attention n’est pas portée à ce qui est en train de se jouer actuellement, et si les pouvoirs publics voient les entreprises privées à but lucratif comme des partenaires de l’aide sociale plutôt que de soutenir structurellement les actions de terrain, les dérives continueront jusqu’à la marchandisation totale de l’aide alimentaire (avec son lot de mises en concurrence et de pratiques déloyales).

Ce modèle n’est pas une solution.