Kart #7 | « L’école est importante, mais tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. »
Riche d'une forte expérience dans le secteur de la eunesse et de la protection de la jeunesse, Solayman Laqdim est depuis janvier dernier le nouveau Délégué Général aux Droits de l'Enfant (DGDE). Un poste qui compte et une place à part pour observer la situation spécifique des mineur·es en situation de sans-abrisme.
Mr Laqdim, pendant vingt ans, vous avez œuvré dans le secteur de la jeunesse et de la protection de la jeunesse. Désormais DGDE, quel bilan tirez de la situation actuelle concernant les jeunes en errance et leur rapport à la scolarité ?
Vous avez raison, mon ADN, c’est l’aide et la protection de la jeunesse. Pendant vingt ans, j’ai vu beaucoup de jeunes sortir d’institutions spécialisées dans l’aide et la protection à la jeunesse et qui, quelques années après leur majorité, basculaient dans le sans-abrisme et dans l’errance. Les chiffres sont dramatiques. Ma conclusion, c’est que les réponses en forme de palliatif offertes aujourd’hui ne conviennent pas. La solution doit être préventive. Parce que quand vous êtes placé en institution jusqu’à vos 18 ans, le retour à l’autonomie est toujours compliqué. D’autant plus pour des publics qui sont des vulnérables parmi les vulnérables.
Qu’est-ce que vous appelez des vulnérables parmi les vulnérables ?
Déjà, la question des 18-25 ans est prioritaire. On a là la tranche d’âge la plus représentée au niveau du revenu d’intégration sociale. Avec des chiffres qui montent dans la Région de Charleroi jusqu’à 40 %.
Mais être une femme en rue, c’est encore une vulnérabilité en plus. Être une très jeune femme, avec les parcours terribles en matière de trafic d’êtres humains qui sont souvent les leurs, c’est encore une vulnérabilité en plus. Il y a aussi les MENA (ndlr : Mineurs Étrangers Non Accompagnés) bien sûr. Et un troisième secteur qui passe sous les radars, ce sont les jeunes avec handicap. La question centrale pour tous ces gens, c’est comment favoriser leur autonomie sans qu’ils basculent dans l’errance.
Et comment justement ?
La priorité, pour moi, c’est l’hébergement. Avant la scolarité. L’école ne redevient importante qu’une fois les situations individuelles stabilisées. Et la sécurité offerte. L’école est importante, mais quand on cumule toutes les difficultés propres à ces publics-là, on se rend compte que tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. Moi, je suis un fervent défenseur du Housing First. Et toutes les études démontrent à quel point cela fonctionne bien. Et puis, il y a la question de l’hébergement inconditionnel. Celui qui ne doit pas être trop restrictif dans ses conditions d’accueil. Malheureusement, à Bruxelles, il y en a très peu. Donc, on se retrouve avec des jeunes qui ont des trajectoires de délinquance et des parcours de vie dans l’ensemble très cabossés, mais des institutions incapables de les prendre en charge par manque de moyens.
Nos institutions travaillent notamment en direction de très jeunes enfants avec parents. Que pensez-vous de l’idée que ces publics soient considérés comme prioritaires en matière de relogement ?
Il y a tellement de publics précaires aujourd’hui, que la tentation c’est parfois de prioriser. De donner la priorité au « plus pire ». Parfois, cela en devient absurde. Avec les MENA, par exemple, comme il y a un déséquilibre avec les tuteurs, on favorise les situations avec une procédure judiciaire en cours. On peut en rire ou en pleurer, mais il y a des jeunes qui commettent des faits de délinquance pour pouvoir obtenir un tuteur. Tout ça pour dire que c’est toujours dangereux de prioriser.
La question migratoire est centrale parce qu’on sait que la méconnaissance d’une langue est un accélérateur en matière de décrochage scolaire. Comment réintégrer ces jeunes-là par l’école ?
Un accès aux droits compliqué, c’est là encore un accélérateur de vulnérabilité. Le paradoxe, c’est qu’on sait que l’école ouvre à toute une série de droits. Par exemple, un MENA, pour pouvoir avoir accès à une mutuelle, doit être scolarisé pendant trois mois. Normalement, une école ne peut pas refuser une inscription, sauf pour certains motifs. Mais dans les faits, la plupart des MENA qui se présentent dans une école sans tuteur pour les y accompagner se font remballer. Sans possibilité de se défendre, par méconnaissance des règles ou de la langue. La maitrise de cette dernière est centrale. Et on dit qu’il faut sept ans d’immersion pour pouvoir bien maitriser une langue…
Quelles solutions mettre en place pour pallier ce cloisonnement de fait ?
C’est une question compliquée. Surtout si on se concentre sur les jeunes qui ne sont pas scolarisables, qui ne sont jamais allés à l’école, qui ont connu la guerre depuis leur naissance, qui ont fait une route migratoire jusqu’ici et qui sont dans l’errance chez nous aujourd’hui. Scolariser des gens qui n’ont jamais été alphabétisés, c’est très compliqué. Des initiatives existent, mais elles fonctionnent avec très peu de moyens. Je pense à « La Petite École » dans les Marolles. On y pratique un enseignement très soft, mais l’objectif là-bas, c’est la remise en condition. Pour faire en sorte que ces jeunes puissent se resociabiliser. Voilà un type d’expérience probante. Il y en a d’autres. Les dispositifs DASPA (Dispositif d'Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et Assimilés) par exemple. Là, on travaille avec des publics qui ont été scolarisés dans le passé, mais qui ne parlent pas la langue. Mais c’est un dispositif qui souffre d’un énorme décalage entre l’offre et la demande. Notamment en milieu urbain où il manque cruellement de places. Et puis le gros enjeu aussi, c’est la transition entre ces dispositifs DASPA et l’enseignement ordinaire. Là, il manque quelque chose.
Comment envisager positivement l’avenir dans ces conditions ?
Cela passera par une politique sociale ambitieuse. Par une politique d’accompagnement parental de qualité, bienveillante et qui respecte les choix éducatifs. Par plus d’inclusion à l’école. Plus de démocratie. Plus d’équité. Mais pour ça, il faut parvenir à sortir de cette logique de l’immédiateté. Même s’il faut reconnaitre que sur l’enseignement, avec le Pacte pour un Enseignement d’Excellence, c’est la première fois dans l’histoire récente politique que je vois quelque chose où on est dans une démarche sur du temps long. Et l’horizon aujourd’hui, c’est 2030.
On peut discuter du fond, mais c’est sain parce qu’il y a une vision. Et qu’on ne change pas les choses tous les cinq ans.
L'interview de Solayman Laqdim, nouveau Délégué Général aux Droits de l'Enfant (DGDE).