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Femmes

8 mars : la pauvreté est bel et bien genrée 1024 420 L'Ilot

8 mars : la pauvreté est bel et bien genrée

Pauvreté individuelle, dépendance financière, taux d’emploi, écarts salariaux... En matière de précarité socio-économique en Belgique, les femmes occupent toutes les premières places.

La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars, c’est l’occasion pour L’Ilot de rappeler que c’est notamment la pauvreté résultant d’emplois mal considérés et précaires qui oblige les personnes – et donc majoritairement les femmes – à vivre constamment à la limite de leurs capacités, mal logées, avec le risque permanent de basculer…

Pas d’argent ? Pas de logement !

L’affirmation semble évidente. Ce qui l’est moins, c’est l’impact de la précarité financière sur le public féminin en particulier. Beaucoup d’indicateurs, notamment ceux que L’Ilot a mis en évidence dans son étude-action « Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité », montrent clairement que les femmes sont, de manière générale, plus pauvres que les hommes :

  • 70 % des personnes en situation de pauvreté individuelle sont de sexe féminin ;
  • en Wallonie, 27,1 % des femmes sont dans une situation de dépendance financière (à un conjoint la majorité du temps) contre 12,3 % des hommes ;
  • les familles monoparentales vivent avec un risque de pauvreté de 41 %. Or, dans 83 % des cas, ces ménages sont en réalité composés d’une femme seule avec un ou plusieurs enfant(s) ;
  • après les familles monoparentales, ce sont les femmes seules de moins de 65 ans qui sont les plus exposées à la pauvreté, avec un risque de 27,6 %.

Cette plus grande précarité des femmes par rapport à leurs homologues masculins fait qu’elles sont notamment plus exposées au mal logement et, dans les situations les plus problématiques, au sans-abrisme. Pour se payer un logement décent, il faut de l’argent ! 

Si la problématique est loin d’être neuve, elle nécessite pourtant, encore et toujours, le développement de solutions structurelles et innovantes, focalisées sur le vécu et la situation particulière des femmes. L’Ilot tient à travailler dans ce sens dans le futur en mettant notamment l’accent sur l’importance de former les travailleurs et travailleuses de terrain aux spécificités liées au genre de la personne sans abri ou mal logée.

Des emplois pénibles, précaires et mal payés

Pour éviter de tomber dans la précarité, il faut entre autres avoir accès à un travail de qualité, bien rémunéré. Et les statistiques montrent encore une fois qu’hommes et femmes ne sont pas égaux face à l’emploi.

La crise sanitaire liée au Coronavirus a en effet révélé à quel point les métiers dits « essentiels », de soins aux autres et à la société, sont principalement exercés par des femmes, dans des conditions de travail aussi pénibles que précaires et avec des salaires très (trop) bas : infirmières, aide-soignantes, caissières, puéricultrices, techniciennes de surface, etc. Plusieurs études ont aussi démontré que la charge du travail domestique et des soins aux enfants a explosé pour les femmes durant les confinements successifs, notamment en raison du télétravail. Les violences conjugales et intrafamiliales ont aussi augmenté, comme a pu le constater notre secteur, manquant de places pour les victimes.

Quelques chiffres – parmi tant d’autres exemples d’inégalités :

· selon les secteurs, 80 à 98% des « héros de la crise » - soit les travailleurs et travailleuses de première ligne – étaient en réalité des héroïnes. Or, la grande majorité d’entre elles gagnent moins que le salaire belge moyen ;

· 81% des travailleurs dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale sont des femmes ;

· l'écart salarial annuel s’élève à 21%, et les pensionnées bénéficient d’une pension 30% inférieure à celles des retraités. Ces écarts sont principalement dus au travail à temps partiel et à la forte présence des femmes dans des secteurs dévalorisés et mal rémunérés, typiquement le secteur du social et du soin ;

· en Wallonie, 68% des travailleuses de l’économie sociale sont à temps partiel (pour 31% des hommes). C’est le cas de 53% des Bruxelloises (et 23% des Bruxellois) ;

· selon une étude de la VUB, les femmes effectuent plus de deux tiers des tâches ménagères. L'institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes rappelle qu’un jour de semaine, les hommes consacrent 1h30 de plus que les femmes au travail rémunéré, tandis que les femmes utilisent ce temps supplémentaire pour le soin aux enfants et les tâches domestiques. Les hommes ont aussi 45 minutes de plus de temps libre chaque jour. Ces différences s’accroissent encore le week-end.

Une enquête française a montré que le travail domestique des mères a doublé pendant la crise sanitaire. La crise sanitaire pourrait donc faire reculer de 20 ans les très lentes évolutions en termes de répartition des tâches.

Qui prend soin de celles qui prennent soin ?

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, L’Ilot a décidé de se positionner et de participer à la journée de lutte du 8 mars. Le GRIF(F !), soit le Groupe de Réflexion et d’Initiative Féministes (et Féroces !) de L’Ilot a invité toutes les travailleuses à une journée de partage, de réflexion et de lutte, centrée autour de la problématique du soin des travailleuses du care. Les coordinations et directions de nos différents services de terrain ont tout mis en œuvre pour donner la possibilité aux travailleuses qui le souhaitent d’y participer.

L’initiative sera répétée, chaque année, tant que les femmes de tous les horizons ne seront pas considérées comme égales des hommes, dans le monde du travail et partout ailleurs.

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Elodie et Cindy 1024 420 L'Ilot

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Elodie et Cindy

Recherche-action sur les violences faites aux femmes les plus précaires (sans abri) et préfiguration d'un centre de jour pour femmes.

Ce 13 janvier, L’Ilot présente aux parlementaires bruxellois∙es l’étude-action sur les femmes en situation de sans-abrisme qu’elle mène depuis mars 2021. Et ses constats sont sans appel : le nombre de femmes sans-abri ou mal logées est largement sous-évalué et l’offre de services ne leur est pas adaptée alors qu’elles subissent plus de violences – notamment liées au genre – que leurs homologues masculins. Dans une démarche intersectorielle et avec l’aide d’un groupe d’expertes du vécu, L’Ilot a développé une série de recommandations pour proposer des solutions dignes et durables à ces constatations, notamment la création d’un centre de jour par et pour les femmes.

Elodie Blogie, qui a mené l'étude-action sur les femmes sans abris pour L’Ilot, dresse l’amer portrait d’une société – la nôtre – qui n’a jamais pris en compte les réalités du sans-abrisme au féminin.

Outre la création d’un centre de jour #paretpourlesfemmes, L’Ilot recommande notamment :

  • D’améliorer la méthodologie de dénombrement des femmes sans abris et de mener une étude qualitative à leur sujet
  • De créer des formations spécifiques sur le genre, le sexisme ou encore la non-binarité pour les travailleur∙euse∙s sociaux∙ales
  • De rapprocher les secteurs sans-abri et droits des femmes
  • De lutter contre la précarité menstruelle
  • (re)Penser la sexualité et l’intimité des personnes sans abris, notamment en hébergement

Cindy est l’une des expertes du vécu ayant co-construit avec L’Ilot les ébauches d'un futur centre de jour par et pour les femmes en situation de sans-abrisme. Elle nous explique le « pourquoi ? » de son implication et insiste sur l’absolue nécessité d’un tel projet.

Dans la presse : 

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Rapport 1024 420 L'Ilot

Sans-abrisme au féminin : sortir de l’invisibilité – Rapport

Etude-action sur les violences faites aux femmes les plus précaires (sans abri) et préfiguration d'un centre de jour pour femmes.

Ce 13 janvier, L’Ilot présente aux parlementaires bruxellois∙es l’étude-action sur les femmes en situation de sans-abrisme qu’elle mène depuis mars 2021. Et ses constats sont sans appel : le nombre de femmes sans abri ou mal logées est largement sous-évalué et l’offre de services ne leur est pas adaptée alors qu’elles subissent plus de violences – notamment liées au genre – que leurs homologues masculins. Dans une démarche intersectorielle et avec l’aide d’un groupe d’expertes du vécu, L’Ilot a développé une série de recommandations pour proposer des solutions dignes et durables à ces constatations, notamment la création d’un centre de jour par et pour les femmes.

Dans la presse : 

Bruss'help : Chloé Thôme
Dénombrement 2020 – le nombre de femmes en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation 1024 683 L'Ilot

Dénombrement 2020 – le nombre de femmes en situation de sans-abrisme et mal logement en augmentation

5.313, c'est le nombre de personnes qui en novembre dernier étaient en situation de sans-abrisme ou de mal logement en Région bruxelloise contre 4.187 en 2018.

 

Selon les dernières statistiques fournies par Bruss'help, les femmes représenteraient 20,9% du sans-abrisme sur le territoire régional bruxellois. Pour cette même région, les enfants, très majoritairement pris en charge par les femmes, représentent quant à eux 17,6% du phénomène sans abri.

Encore largement méconnu et sous-estimé en raison notamment des stratégies d'évitement de la rue mises en place par les femmes elles-mêmes, le sans-abrisme féminin existe.

1110 femmes ont été comptabilisées en situation de sans-abrisme ou de mal logement au mois de Novembre 2020. Même si le pourcentage de femmes par rapport au pourcentage d'hommes a diminué, nous observons bel et bien une augmentation de 17,7% du nombre de femmes. Si leur présence dans l'espace public a diminué (51 femmes contre 84 en 2018), une personne sur trois en hébergement d'urgence et centre d'accueil est une femme. Comme précisé par Bruss'help, les centres d’urgence et les hôtels de crise ont également accueilli de nombreuses femmes victimes de violences conjugales, phénomène en forte hausse durant l’ensemble de l’année 2020.

Pour échapper aux risques d'agression en rue, les femmes vont d'abord préférer les solutions de débrouille : une nuit dans la famille, une autre chez des amis, une autre encore dans une voiture ou un squat. L'espace public, encore majoritairement pensé par et pour les hommes, est source de danger pour les femmes en particulier, qui deviennent de véritables proies.

Pour plus d'informations concernant la spécificité de l'accompagnement des femmes en situation de sans-abrisme, consultez notre rubrique "comprendre".

La Kart #1 de l’urgence de croiser sans-abrisme et féminisme 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 de l’urgence de croiser sans-abrisme et féminisme

Entretien avec Ariane Dierickx (L’Ilot) et Valérie Lootvoet, (Université des femmes)

La précarité et l’insécurité émaillent les parcours des femmes à la rue et en situation de mal-logement. Accompagner ces femmes nécessite donc de mettre en lumière et d’articuler les multiples discriminations qui senchevêtrent dans la vie des femmes, dès leur enfance. Sans quoi l’accompagnement présente des réponses limitées pour les femmes, voire même génère de nouvelles violences. Echanges croisés entre laction de terrain auprès des femmes sans abri, avec Ariane Dierickx, directrice générale de L’Ilot, et le plaidoyer féministe, avec Valérie Lootvoet, directrice de lUniversité des femmes.

Propos recueillis par Manon Legrand (Alter Echos[1])

Quel est le parcours des femmes sans abri et comment arrivent-elles à cette situation ? 

Ariane Dierickx : Les femmes en situation ou en risque de sans-abrisme connaissent des discriminations multiples tout au long de leur parcours de vie, qui fabriquent les conditions de la précarité, et expliquent leur situation de mal- et de sans-logement. On retrouve derrière la majorité des femmes que nous accompagnons toutes les discriminations que peuvent subir les femmes, à commencer par les violences sexuelles, psychologiques, physiques, économiques, le plus souvent sur fond de violences sociales qui commencent dès l’enfance. On ne le dit pas assez : les violences sont la première cause de sans-abrisme des femmes, suivie des problèmes de santé mentale. Mais la santé mentale des femmes, on le sait, est aussi abîmée par les violences qu’elles subissent tout au long de leur vie. Si on approchait donc la question de façon systémique, le sans-abrisme féminin ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.

Valérie Lootvoet : Cela met en lumière l’absence de filet pour les femmes, et notamment l’absence de solidarité intra-familiale par rapport à ce qui s’est passé dans leur vie de femmes, mais surtout de filles. Je ne pense pas que le sans-abrisme pend au nez de tout le monde, comme on l’entend souvent. Je vois chez les femmes monoparentales des grandes problématiques d’accès au logement – refus de certains propriétaires, loyers trop onéreux pour des logements dignes pour les femmes et leurs enfants, etc. Pour autant, je ne pense pas que toutes ces femmes-là, malgré leurs difficultés de logement, soient en condition de tomber dans une situation où elles n’auront plus aucun toit sur la tête.

Quest-ce qui serait alors spécifique aux femmes ?

Ariane Dierickx : On entend souvent parler d’accident de parcours comme une cause possible du sans-abrisme, mais la plupart du temps, les personnes qui fréquentent nos services, hommes comme femmes, ont connu un lourd parcours institutionnel ponctué de multiples formes d’exclusions et de violences. Il y a des éléments communs dans les parcours des femmes et des hommes sans abri, mais s’ajoutent pour les femmes, les violences genrées. En raison d’un cumul de situations dans lesquelles elles se sont systématiquement retrouvées niées, violentées, écrasées, les femmes perdent progressivement l’estime d’elles-mêmes. Permettre de retrouver l’estime de soi est un des gros enjeux du travail d’accompagnement dans le secteur sans-abri. Quand quelqu’un n’est plus capable d’activer les réseaux d’entraide existants, c’est parce qu’il a l’impression de ne plus en valoir le coup. Les violences genrées aggravent encore la perte d’estime de soi, qui devient le point de dégringolade pouvant aller jusqu’à la perte de logement. Mais il y aussi des femmes qui arrivent chez nous, non pas à cause d’une situation de violences sociales et économiques depuis l’enfance, mais directement suite à un parcours de violences conjugales.

Pourquoi, sachant cela, sont-elles minoritaires dans le public sans-abri ?

AD : Les femmes victimes de violences conjugales ne se retrouvent pas dans le vocable « sans-abri », c’est l’une des raisons pour lesquelles elles n’arrivent pas dans notre secteur. Ces femmes vont aussi s’interdire d’aller en rue en raison de la présence des enfants, alors que les hommes vont plus vite décrocher de la famille et tout lâcher. Les femmes, parce qu’elles savent que la rue est violente, pour elles et pour leurs enfants, se l’interdisent. Elles trouvent des solutions de débrouille, une nuit dans la famille, une autre chez une amie, une autre encore dans une voiture ou un squat. C’est comme ça qu’elles finissent par disparaître des radars de l’aide sociale et qu’on ne les retrouve pas dans les statistiques. Il arrive que des femmes restent aussi dans un environnement violent parce qu’elles ne trouvent pas de meilleure réponse à leur détresse : c’est rester ou partir, mais pour aller où ? D’autres vont aussi se tourner vers la prostitution pour éviter la rue. Ces différentes situations, qui devraient être comptabilisées dans les statistiques de mal-logement et de sans-abrisme, donnent une image tronquée du phénomène du sans-abrisme au féminin, largement méconnu et sous-estimé.

Vous constatez aussi que les services ne sont pas adéquats pour les femmesPourquoi ?

VL : On est aujourd’hui – et pas seulement dans le secteur du sans-abrisme – dans un système de réduction des risques, avec des mesures de rattrapage qui ne viennent pas régler des années de délitement de l’estime de soi. Si les femmes et les hommes, dès la petite enfance, étaient mieux accompagné·e·s dans la formation de leur estime d’eux-mêmes, du prendre soin de soi, du prendre soin des liens, si les paramètres sociaux permettaient une construction des identités individuelles qui permettent d’en faire des socles stabilisés, nous ne connaîtrions pas ces situations. Les services comme L’Ilot héritent de longues trajectoires de déshérence.

AD : Les femmes savent que certains services sont utilisés par les hommes, mais aussi pensés par et pour eux. Dans la plupart des infrastructures de notre secteur, elles n’ont pas suffisamment d’intimité. Elles n’ont pas la possibilité de déposer leurs difficultés et leurs besoins. Les solutions qu’on leur propose ne sont pas adéquates, qui plus est dans un contexte d’urgence qui reste encore trop au cœur des solutions proposées. En pleine crise Covid, cela nous a vraiment marqué·e·s. Tous les services de terrain ont vu disparaître les femmes. Notre hypothèse est que la sur-sollicitation de nos services par des hommes, a éloigné encore davantage les femmes. Parce qu’elles ne trouvent pas de réponses adéquates dans nos services, les femmes finissent par ne plus les fréquenter, trouvent d’autres solutions… ou n’en trouvent pas. Et continuent de subir des violences en rue ou dans leur foyer. Quant à la rue, on sait qu’elle est dangereuse pour tous, mais plus encore pour les femmes. Soit les femmes sans abri vont nier, dissimuler leur féminité, ce qui concourt aussi à les invisibiliser. Soit elles vont chercher la protection de groupes d’hommes dans lesquels elles vont revivre des rapports de domination. C’est un cercle sans fin…

Pourquoi et comment le secteur du sans-abrisme et le plaidoyer féministe doivent-ils davantage sarticuler?

AD : Un lieu d’accueil pour les femmes sera une réponse vaine si nous ne travaillons pas au départ d’une démarche intersectorielle. Le terrain du sans-abrisme ne nourrit pas suffisamment le travail de plaidoyer du féminisme. Nous avons des enjeux communs dans nos secteurs, comme l’individualisation des droits sociaux, que nous défendons l’un et l’autre mais chacun de notre côté sans jamais croiser les argumentaires et les batailles. Nous observons aussi des traces persistantes de paternalisme dans les modes d’accompagnement proposés dans notre secteur, un paternalisme inconscient et évidemment bienveillant, mais qui entrave complètement le travail d’émancipation. Nous devrions passer de la vision caritative, elle aussi encore trop présente, à un travail politique qui analyse des défaillances de l’Etat, informe notre public sur les politiques sociales afin qu’il identifie son pouvoir d’agir. Cela passe aussi par l’inclusion de notre public dans notre travail de réflexion stratégique. Un des gros enjeux dans le travail social est de faire en sorte que les équipes sociales de terrain soient en capacité de faire des liens directs entre les difficultés livrées par les personnes et les causes systémiques qui engendrent cette situation. C’est de l’éducation permanente, et nous avons à nous inspirer des associations féministes. Le centre de jour que nous voulons créer pour les femmes n’est pas pensé uniquement comme un espace de prestations de services mais bien comme outil de mobilisation collective et solidaire qui permette la transformation sociale des structures institutionnelles.

VL : L’approche caritative est aussi le signe d’un Etat social défaillant. Le retour de la charité est un signe que l’Etat ne remplit pas son rôle, on le voit dans cette crise. La reproduction sociale dont nous parlions n’est pas un déterminisme dans un Etat social fort, ce qu’il n’est pas pour le moment. L’Etat a été capable de créer une sécurité sociale, de garantir l’accès à la culture. L’école est normalement un filet de prévention pour les enfants qui y passent de longues heures. Mais le secteur est à bout, les enseignant·e·s exténué·e·s, plus encore aujourd’hui dans cette crise. Nous devons réaffirmer qu’il s’agit de la mission de l’Etat de garantir des droits, sans quoi nous reportons tout sur les familles, sur les femmes, ou sur les associations.

[1] www.alterechos.be. Le numéro de mars d’Alter Echos est consacré aux violences contre les femmes dans les secteurs de l’aide psycho-sociale.

La Kart #1 l’art du soin 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 l’art du soin

A L’Ilot depuis un peu plus de deux ans, Axelle accompagne des femmes et des familles en tant qu’éducatrice et assistante psy. Exercer au sein d’une maison d’hébergement lui a permis de renforcer la relation de soin qu’elle entretient avec les résidentes. C’est par le partage tant des moments difficiles que des grands moments de joie qu’elle parvient à percevoir les personnes qu’elle accompagne dans leur ensemble et travaille à la restauration d’une confiance souvent perdue.

Qu’est-ce qui t’a amenée à L’Ilot ?

J’ai étudié la photo durant trois ans. Rapidement, je me suis renseignée sur les possibilités d’utiliser ce médium comme soin. J’ai fait un an d’art thérapie pour creuser la question. Ca m’a permis de renforcer le lien entre l’art et le soin. Je me suis retrouvée face à des personnes vulnérables, face à des problématiques très souvent lourdes. J’avais envie et besoin d’un bagage théorique et je me suis tournée vers la psychologie pendant trois ans supplémentaires. Très vite, j’ai voulu savoir si la photographie argentique pouvait permettre d’augmenter l’estime de soi des femmes ayant vécu des violences intrafamiliales. J’ai fait un projet photo dans une maison d’accueil où j’accompagnais des résidentes.

Suite à cette expérience, j’éprouvais le désir de continuer à travailler dans une maison d’accueil. Le soin, c’est ma manière à moi d’apporter quelque chose et j’ai voulu continuer à aider des femmes à se reconnecter à ce qu’elles sont au plus profond d’elles-mêmes et tenter au mieux d’apaiser certaines douleurs et souffrances. 

Quelle est ta mission au sein de la maison d’hébergement pour femmes et familles ?

Je suis éducatrice et assistante psycho pour le soutien à la parentalité. En tant qu’éducatrice, j’apporte aux résidentes un soutien au niveau administratif ; un travail parfois formel et informel qui se fait au sein de la maison. C’est aussi des moments de partage – on regarde des films ensemble, on prend le temps de manger ensemble, de faire des activités. Le soutien à la parentalité se découpe sous plusieurs formes. Il y a d’une part l’aspect café parents : des groupes de parole pour les parents et toute autre personne qui le désire. D’autre par, il y a les activités parents-enfants et les entretiens individuels. C’est aussi un travail de référente et d’accompagnement.

Quelle est la clé pour instaurer une relation de confiance avec une résidente en tant que travailleur·euse ?

Je ne pense pas qu’il existe une façon de faire. Certaines personnes ont besoin de temps, d’autres iront plus vite vers tel ou tel travailleur parce que c’est un homme, vers une travailleuse parce que c’est une femme, parce qu’elle a tel âge ou parce qu’elle fait tel métier. Il y a une part d’identification, de ce qu’elles projettent sur toi, parfois aussi une intuition. Je pense que chaque travailleur·euse utilise des manières complètement différentes pour créer une relation de confiance avec la personne. Pour ma part, ça peut sembler bête mais lors de la première rencontre avec la personne je lui demande toujours comment elle va. Je lui dis « je ne te demande pas simplement comment ça va, je te demande vraiment comment tu vas, là ». Généralement ça découle sur une discussion et sur un partage.

Observes-tu des aspects communs aux parcours des femmes qui sonnent à votre porte ?

La grande majorité des femmes qui viennent ici ont été touchées par des violences ; des violences conjugales, intrafamiliales, de l’esclavage, de l’inceste, des mutilations génitales. Nous accueillons aussi des personnes qui se sont retrouvées à la rue mais qui au bout d’un moment ne pouvaient vraiment plus y vivre. Ces personnes sont très souvent confrontées à la violence sexuelle.

Lorsque la personne arrive ici, elle est cassée, brisée. On doit apprendre à accompagner ces personnes dans une reconstruction assez rapide. Même si le plus important est de trouver un logement, d’avoir un toit et de pouvoir répondre aux besoins de base, une personne détruit·e peut ne pas être prête à accéder à cette étape, d’où l’importance de lui apporter un soutien psychologique.

En quoi est-il primordial d’avoir des espaces réservés aux femmes ?

Simplement pour qu’elles ne soient plus confrontées à une violence le temps de quelques instants. Ce qu’elles projettent sur l’homme, c’est cette vision de violence. Comme l’homme a toujours été violence, elles associent l’homme à la violence. Même ici dans un cadre donné il peut être symbole de violence. D’où l’importance de retrouver un endroit réservé aux femmes ; un lieu où on peut se retrouver soi, être seule, mais aussi un lieu où on peut échanger avec des femmes sur certaines problématiques ou simplement se retrouver en tant que femmes. On y perçoit une énergie vraiment différente. On remarque également que lorsqu’un homme entre dans la pièce, l’ambiance change. Les femmes vont plus se refermer, moins facilement prendre la parole ou assumer ce qu’elles disaient cinq minutes plus tôt. Parfois bien au contraire, certaines femmes se sont tues pendant vingt ans et ne laisseront plus un seul homme prendre le dessus sur elles.

Quand deux femmes viennent exactement du même pays, que leurs histoires présentent des similitudes, quelque chose se crée à la seconde. Simplement parce qu’une est passée par une étape et que l’autre n’y est pas encore, elles peuvent se nourrir l’une l’autre. Je l’observe beaucoup pendant les groupes de parole et je remarque à quel point ces femmes se soutiennent, à quel point elles s’écoutent et s’apportent mutuellement un nouveau regard sur la situation. Parfois je me dis que c’est elles qui se soignent, ce sont elles les guérisseuses.

Quelles perspectives d’avenir envisagent les femmes que tu accompagnes ?

Le présent est quelque chose de vraiment délicat. Ce qui revient le plus souvent, c’est « je veux avoir mon chez-moi, je veux avoir mon toit, ma maison ».

Lors de leur sortie de la maison, un accompagnement post-hébergement est-il prévu pour les personnes qui le désirent ?

Certain·e·s collègues dont c’est la spécialisation poursuivent parfois l’accompagnement pendant plusieurs mois et c’est selon moi merveilleux et indispensable pour la continuité du travail qui a été fait jusque là. Le suivi qui sera apporté à ces personnes dépendra de la demande de chacun·e. Une personne nous demandera de régler les factures, une autre aura besoin que l’on vienne une fois par semaine prendre le café chez elle. Nous sommes souvent confronté·e·s à la question de la solitude. Même si le but premier est de permettre à la personne d’être la plus autonome possible, car très souvent elle dépendait d’untel ou d’unetelle, il faut maintenir le contact avec celles qui le demandent. Le soutien à la parentalité a également toute sa place dans le post-hébergement.

Quels signes te font penser qu’un déclic s’est opéré pour ces personnes ?

Le changement de comportement est généralement explicite ; avec les autres, avec l’équipe, avec leurs enfants, on sent que quelque chose s’opère en elles. Des personnes agressives deviennent beaucoup plus calmes, plus douces, plus sereines. Des femmes arrivent simplement à se regarder à nouveau dans le miroir, alors que c’était jusque là  impossible. Parfois l’image de soi a été bafouée. Très souvent elles me montrent des photos d’elles avant, sur lesquelles elles étaient pour beaucoup plus apprêtées. Ensuite elles me montrent une photo actuelle et il est impossible pour elles de poser les yeux sur ce qu’elles sont. Elles ne veulent plus prendre soin d’elles. Il faut leur faire prendre conscience qu’elles doivent apprendre à se respecter. Nous travaillons sur l’estime de soi, la confiance en soi, l’amour de soi.

Quelles joies te procure ta mission ici ?

Parfois juste entendre un « merci ». Voir des femmes sourire. Voir un regard qui change, qui est en train de s’illuminer. Voir aussi des femmes pleurer. Elles ont parfois été incapables de pleurer pendant plusieurs années. Voir des femmes changer de posture et commencer à incarner leur corps, leur être, leur âme. Voir des femmes qui viennent me voir, qui m’attendent. Tous ces petits changements font que je suis heureuse de me lever le matin et d’y contribuer.

La Kart #1 en route vers un accueil de qualité pour les femmes sans abri 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 en route vers un accueil de qualité pour les femmes sans abri

Pour aller au plus près des besoins et attentes des femmes en situation ou en risque de sans-abrisme, il faut se donner le temps d’écouter ce que ces femmes elles-mêmes, dont les trajectoires sont multiples et complexes, ont à dire mais, aussi, pouvoir s’appuyer sur les expertises des professionnel·le·s de terrain qui les accompagnent dans d’autres secteurs, en particulier le secteur des droits des femmes.

Car le terrain du sans-abrisme a besoin de se nourrir davantage du travail de plaidoyer féministe. Et vice-versa.

Cette démarche, globale et résolument intersectorielle, c’est celle que lance aujourd’hui L’Ilot, à travers une recherche-action sur les trajets de femmes sans abri ayant eu un parcours de violences et/ou de grande précarité. L’ambition est grande : s’appuyer sur les résultats de cette recherche-action pour créer à Bruxelles un nouveau Centre de jour pour femmes sans abri en capacité de proposer des solutions concrètes plus adaptées aux parcours des femmes. Nous y travaillons dès mars 2021.

En attendant, L’Ilot a commencé à poser les premiers jalons d’un accueil de qualité des femmes en situation ou en risque de sans-abrisme :

  • Maison d’accueil pour femmes et familles
  • Programme de « soutien à la parentalité »
  • Formation « violences conjugales » des équipes
  • Espace-temps réservé aux femmes au Centre de jour
  • Colloque Sans-abrisme et Féminisme : des enjeux à croiser, avec l’Université des Femmes (mars 2018)
  • Soutien des Journées du Matrimoine, avec L’Architecture qui dégenre
  • Tolérance zéro pour attitudes et comportements sexistes
  • Communication genrée : mixité des sujets traités, écriture inclusive, etc.
  • Objectif de parité dans les équipes et aux différents niveaux de l’organisation
  • Participation active à la Journée Internationale des Droits des Femmes du 8 mars
  • Distribution de protections hygiéniques aux femmes sans abri via Bruz’elles
La Kart #1 en chiffres 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 en chiffres

Femmes et sans-abrisme / mal-logement

 

Encore largement méconnu et sous-estimé en raison notamment des stratégies d’évitement de la rue mises en place par les femmes elles-mêmes, le sans-abrisme féminin s’inscrit dans un continuum de discriminations croisées qui affectent les femmes tout au long de leur parcours de vie et les touchent dans de très nombreux domaines de leur vie (emploi, logement, santé, mobilité, pensions, etc.).

Selon les statistiques les plus récentes fournies par Bruss’help, les femmes représenteraient 22,4 % du sans-abrisme sur le territoire régional bruxellois, contre 59,1 % d’hommes. Pour cette même région, les enfants, très majoritairement pris en charge par les femmes, représentent quant à eux 14,6 % du phénomène sans abri.

En raison notamment de leur perméabilité plus importante à la pauvreté et de leurs ressources globalement plus faibles (en particulier lorsqu’elles sont en situation de vulnérabilité sociale), les femmes sont particulièrement fragilisées par rapport au logement.

Trouver un logement n’est pas synonyme de stabilité : de nombreuses femmes vivent dans un logement « suroccupé » ou inadapté, parfois insalubre. Le coût du déménagement, leur situation précaire et l’évolution du marché locatif les obligent souvent à y rester.

 

Violences faites aux femmes

 

Les violences représentent la principale cause de sans-abrisme chez les femmes. Les témoignages recueillis sur le terrain indiquent que la quasi-totalité des femmes sans abri ont vécu des violences aggravées dans leurs parcours de vie.

En Belgique, 36 % des femmes ont subi des violences physiques et / ou sexuelles depuis l’âge de 15 ans.

Pour 31 % des femmes, l’auteur du fait de violence le plus grave rencontré dans leur vie est leur partenaire. Entre 70 et 80 % des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite.

En moyenne 3 plaintes pour viol sont enregistrées chaque jour, mais on estime que seulement 16 % des victimes de violences sexuelles graves s’adressent à la police. Lorsqu’une plainte est déposée, seulement 4% aboutissent à une condamnation.

La Belgique a enregistré 24 féminicides en 2020. Dans le monde, plus de 70 % des femmes assassinées le sont par leur (ex-)partenaire.

 

Femmes et précarité

 

L’écart salarial défavorable aux femmes est de plus de 20 % en Belgique.

Avec une charge familiale et domestique qui repose majoritairement sur les épaules des femmes, 44 % d’entre elles (contre 9 % des hommes) travaillent à temps partiel sans que ce soit forcément un choix.

Plus de 80 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête et près de 46 % de ces familles vivent avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.

57 % des bénéficiaires du RIS (Revenu d’Intégration Sociale) sont des femmes et quasiment 40% d’entre elles sont isolées avec au moins un enfant à charge.

Plus d’un parent sur 10 ne perçoit pas la contribution alimentaire qui lui est due pour ses enfants et 93 % des dossiers introduits au SECAL (Service des Créances Alimentaires) pour recouvrement de ces créances alimentaires le sont par des femmes.

En Belgique, environ 16 % des personnes pensionnées vivent sous le seuil de pauvreté. Deux tiers de ces personnes particulièrement fragiles sont des femmes et 46 % de femmes n’ont pas accès à la pension minimale.

Le taux de dépendance financière (ou de risque de pauvreté individuel) est de 36 % pour les femmes (contre 11 % pour les hommes) et monte jusqu’à 50 % pour les femmes de plus de 60 ans et les femmes peu qualifiées.

Avec un taux de 42 %, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs dits à risque élevé d’être impactés négativement par la pandémie Covid-19, contre 32 % pour les hommes ; le taux de chômage notamment est globalement resté stable en Europe mais a augmenté chez les femmes.

La Kart #1 femmes sans abri 1024 576 L'Ilot

La Kart #1 femmes sans abri

On n’accompagne pas des femmes sans abri comme on accompagne des hommes sans abri. Parce que leurs trajectoires de vie sont différentes, parce que leurs besoins et leurs attentes sont spécifiques, les approches à développer et les outils à mettre à leur disposition doivent être différents.

Aujourd’hui dans le secteur sans-abri, force est de constater que ce n’est pas (suffisamment) le cas. Et L’Ilot n’échappe pas à ce constat.

Après avoir pendant plusieurs décennies construit son offre de services pour répondre à une demande provenant très majoritairement d’hommes seuls, le secteur sans-abri a peiné – et peine encore – à s’adapter à l’évolution de ses publics. Ces dernières années, les opérations de recensement de la population sans-abri en région bruxelloise (de tels dénombrements ne se font pas encore dans les autres régions mais les observations faites sur le terrain révèlent les mêmes tendances) ont notamment fait apparaître une présence de plus en plus massive de femmes et de familles (majoritairement des mères monoparentales).

Et rien n’est moins étonnant : toutes les études et statistiques démontrent que la situation socio-économique des femmes est globalement moins bonne que celle des hommes et que la précarité, qui gagne chaque année du terrain et se renforcera encore à la sortie de la crise sanitaire que nous vivons actuellement, touche, tout au long de leur parcours de vie, plus gravement les femmes que les hommes.

Que ce soit en matière d’emploi, de santé, de logement, de pensions, de justice, d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, de place dans l’espace public, etc., les multiples causes d’inégalités entre femmes et hommes sont aujourd’hui largement connues et documentées. Pour autant, les solutions concrètes pour enrayer ces inégalités ne sont pas suffisantes, les volontés politiques pour les financer pas assez ambitieuses, les mentalités pas forcément prêtes à les accueillir.

Notre secteur malheureusement ne fait pas exception : infrastructures d’accueil peu/pas adaptées au public féminin, inadéquation des outils existants, méconnaissance des enjeux liés aux droits des femmes, insuffisance d’espaces dédiés à recueillir leur parole, manque de formation des équipes psychosociales à la problématique des discriminations (croisées) de genre, manque de données qualitatives et quantitatives sur la réalité des parcours de femmes sont autant de freins à la mise en place d’un accueil de qualité, digne et respectueux, spécifiquement pensé pour et avec les femmes en situation ou en risque de sans-abrisme.

Au-delà des actions et projets déjà mis en place par le passé et qui constituent les premières pierres de ce nouvel édifice, L’Ilot veut aujourd’hui relever le défi d’un accueil de qualité basé sur une approche globale respectueuse des droits des femmes et visant leur émancipation.

Cela demande de remettre en question toutes nos pratiques, de changer notre regard et de retrousser nos manches pour convaincre tous ceux et toutes celles qui seront nos meilleur·e·s allié·e·s dans ce nouveau défi.

Nous compterons sur chacun et chacune d’entre vous.

 

Ariane Dierickx,

Directrice générale de L’Ilot