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pauvreté Belgique et placement institutionnel
Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité 1024 576 L'Ilot

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité

Visuel : ©OYO

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité 

Sommaire :
  • Les chiffres de la pauvreté en Belgique  
    1. Quel est le seuil de pauvreté en Belgique ? 
    2. Un risque élevé de précarité  
    3. Le nombre de personnes sans abri en hausse 
  • Placement institutionnel et pauvreté : une injustice structurelle
    1. Le placement comme conséquence de la pauvreté 
    2. Les droits de l’enfant conditionnés par la pauvreté  
    3. Un échec du système 
  • Comment luttons-nous contre le placement pour cause de précarité ?   

C’est une réalité dont on parle peu, mais qui fracture des vies entières dans l’indifférence : en Belgique, des enfants sont placés parce que leurs mères sont pauvres. À Bruxelles, 87 % des familles monoparentales sont portées par des femmes, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté [1]. Beaucoup n’ont accès qu’à des logements précaires, insalubres, ou des logements aux loyers hors de portée. D’autres n’ont plus de chez-soi. 

Et trop souvent, dans ces situations, l’aide proposée par les institutions n’en est pas une : c’est une séparation, on place l’enfant. Officiellement “pour son bien” ; en réalité, parce que notre société ne leur propose rien d’autre qu’un abandon organisé [2]. La précarité ne devrait jamais être un motif de placement. Pourtant, elle l’est.  

À L’Ilot, nous le constatons tous les jours : les mères qui fréquentent notre centre de jour pour femmes Circé sont confrontées à ce risque. Leur seul “manquement” ? Être sans chez-soi. Il est plus qu’urgent d’agir pour construire une société qui donne aux parents les moyens de retrouver leur(s) enfant(s). 

Les chiffres de la pauvreté en Belgique  

En Belgique, les chiffres de 2024 dressent le portrait d’une situation sociale plus qu’inquiétante. La pauvreté est marquée et se mesure à plusieurs niveaux. 

Quel est le seuil de pauvreté en Belgique ? 

Le seuil de pauvreté désigne un revenu minimal (fixé à 60 % du revenu médian national), en dessous duquel un ménage est considéré comme pauvre. En Belgique, les derniers chiffres de Statbel montrent que le seuil de pauvreté s’élève à 1 520 € par mois pour une personne isolée, et à 3 191 € pour un ménage avec deux enfants. 

seuil de pauvreté Belgique

Le seuil de pauvreté selon le type de ménage en Belgique (source : Statbel)

Un risque élevé de précarité  

D’après une étude de Statbel, plus de 2 millions de personnes courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en Belgique. Soit près de 20 % de la population. Près d’un∙e Belge sur dix se trouve en situation de privation matérielle et sociale (Statbel), ne disposant donc pas des ressources suffisantes pour assumer certaines dépenses essentielles de la vie quotidienne (chauffage, accès aux loisirs, etc.). 

Le nombre de personnes sans abri en hausse 

Les chiffres du dernier dénombrement des personnes sans abri ou mal-logées à Bruxelles sont alarmants: 9 777 d’entre eux∙elles vivent sans chez-soi dans la capitale belge (rapport de Bruss’help). Soit une augmentation de 25 % en seulement 2 ans! Une telle expansion du phénomène n’avait jamais été connue jusqu’à ce jour. 

Placement institutionnel et pauvreté : une injustice structurelle  

En Belgique francophone, près de 40 000 enfants sont éloigné·es chaque année de leur famille : placé·es en institution, en famille d’accueil ou dans des services spécialisés [3]. Si certaines situations exigent une protection urgente, un nombre croissant de placements est motivé par la précarité, notamment l’absence de logement stable. 

Le placement comme conséquence de la pauvreté 

Des mères seules, en situation de grande précarité, se voient retirer leur enfant non pas parce qu’elles sont défaillantes, mais parce qu’elles n’ont pas de chez-soi. Le marché locatif privé est inaccessible pour une maman solo émargeant au CPAS où avec un petit revenu. Et attendre un logement social peut prendre des années [4]. Faute de solution intermédiaire, le placement devient une réponse par défaut. 

« L’accueil en dehors du milieu familial peut être nécessaire, mais il ne doit jamais être une réponse à la misère. Or, les enfants vivant dans des familles pauvres sont surreprésentés dans les séparations. C’est une injustice structurelle. » 

  Benoît Van Keirsbilck, Directeur du Service droit des jeunes de Bruxelles 

Lorsqu’une mère seule perd la garde de son enfant parce qu’elle n’a pas de logement stable, c’est une double injustice : pour elle-même comme pour l’enfant. Car le placement ne marque pas la fin d’un épisode difficile, il en ouvre souvent un autre, plus long, plus complexe et plus douloureux. Et quand un·e premier·e enfant a été éloigné·e, la suspicion s’installe. Le regard des institutions devient plus lourd, le risque de placement d’un·e autre enfant s’accroît, même sans événement déclencheur.  

Dans cette spirale, ce n’est pas la violence qui condamne les mères. Ce n’est pas la négligence. C’est la pauvreté, l’isolement, l’instabilité résidentielle. Et ce sont précisément les femmes les plus vulnérables qui se retrouvent confrontées à cette mécanique implacable. 

« L’erreur, c’est de ne pas avoir d’appartement. »  

Isabelle, mère seule, citée par Alter Échos [5] 

Les droits de l’enfant conditionnés par la pauvreté  

La Convention internationale des droits de l’enfant garantit à chaque enfant le droit de vivre dans sa famille, sauf en cas de danger grave [6]. Et la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé à plusieurs reprises : la pauvreté ne peut, à elle seule, justifier une séparation familiale [7]. 

Pourtant, dans les faits, les enfants de familles pauvres — en particulier celles et ceux de mères seules — sont surreprésenté·es dans les placements. Loin de les soutenir, le système fragilise davantage ces femmes, et interprète leur vulnérabilité comme une incapacité parentale [8]. 

« Être une femme sans abri ou mal-logée, c’est déjà être jugée ‘mauvaise mère’ par défaut. »  

AGORA, Précieux enfants, 2020 [9] 

Un échec du système  

À Bruxelles, 87 % des familles monoparentales sont dirigées par des femmes, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté [10]. Elles cumulent les fragilités (rupture familiale, emploi instable, violences passées, non-recours au droit, etc.), mais sont les premières pénalisées, les dernières soutenues. Le système social, en théorie protecteur, punit leur pauvreté au lieu de la combattre.  

Selon AGORA, Vie Féminine et la Ligue des droits humains, les mères précaires font l’objet d’une stigmatisation récurrente, renforcée par des jugements subjectifs liés au genre, à l’origine sociale ou culturelle [11]. Les mères seules sont ainsi discriminées dans les décisions de placement.  

« Une mère dort avec son enfant ? C’est jugé anormal. Elle ne pleure pas ? Elle est froide. Elle pleure trop ? Elle est instable. Tout devient suspect. »  

Service AGORA, Précieux enfants, 2020

 Les mères qui demandent de l’aide sont souvent celles qui entrent dans le viseur des services sociaux. Parce qu’elles sont visibles, parce qu’elles craquent, parce qu’elles maîtrisent mal la langue ou peinent à expliquer leur situation. Leur vulnérabilité devient soupçonnée, scrutée, sanctionnée. 

De nombreuses mères témoignent d’un effet de spirale : la perte d’un logement entraîne le placement d’un·e enfant, puis d’un·e second·e. Les institutions développent une logique de suspicion durable. La demande d’aide, les larmes, le repli, les erreurs d’expression ou de gestion deviennent des signaux “d’alerte”. 

Une question se pose : pourquoi n’y a-t-il pas plus de logements publics pour les mères précaires ? La Belgique ne consacre que 6,7 % de son parc immobilier au logement social, contre 16 % en moyenne dans l’Union européenne [12]. À cette carence s’ajoute le fait que les femmes seules avec enfants ne sont pas toujours prioritaires, malgré leur extrême vulnérabilité. 

Trouver un logement avec un revenu compris entre 1 300 € et 1 700 € (minima sociaux en tant que personne isolée ou avec des enfants à charge) relève de l’impossible, a fortiori à Bruxelles. Les listes d’attente pour un logement social s’allongent d’année en année, et le manque de places en maison d’accueil pour femmes en difficulté est criant. Mais dans les décisions judiciaires, le manque de logements est souvent présenté comme un motif objectif de placement. 

Être pauvre ne devrait jamais suffire à justifier une séparation. Car ce n’est pas seulement une mère qu’on éloigne : c’est un·e enfant qu’on arrache à son quotidien, à sa fratrie, à son quartier, à son école, à ses amis… Un·e enfant qui, souvent, ne comprend pas. Qui se sent puni·e, abandonné·e, trahi·e. 

Comment L’Ilot lutte contre le placement pour cause de précarité ?  

Quand la pauvreté devient un motif de séparation, ce n’est plus de la protection. C’est une injustice. Quand elle empêche une famille de se reconstruire, c’est une faillite collective. 

Nous ne participerons pas à une société qui arrache les enfants à la misère pour mieux la perpétuer. Nous nous battrons pour une société qui donne aux parents les moyens de retrouver leur(s) enfant(s). 

À L’Ilot, nous savons qu’un logement peut faire la différence entre une rupture et une reconstruction. Nous savons que des centaines de mères accompagnées à Circé ou dans nos autres services d’accueil ou d’hébergement cherchent à renouer avec leurs enfants. Nous savons que nos maisons d’accueil, nos ateliers “café parents”, nos activités mères-enfants, etc. restaurent des liens fragiles, mais vivants. 

Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi nous travaillons et plaidons pour :  

  • l’élaboration d’un centre d’expertise « Genre, précarité et travail social », afin de mieux comprendre les réalités des femmes les plus précarisées et de former les professionnel·les des secteurs du social à ces enjeux spécifiques ; 
  • la création de logements accessibles à loyers modérés, pensés pour des familles fragilisées, notamment produits par L’Ilot avec ses partenaires ;
  • la transformation des espaces communs de nos maisons d’accueil en studios individuels, plus respectueux de l’autonomie et du lien familial ;
  • le renforcement de la priorité claire au logement pour les mères seules, afin d’éviter des placements injustes ; 
  • la fin des politiques qui punissent les femmes pauvres au lieu de les soutenir.

Être victime ne devrait jamais être une faute. 

Sources et ressources  

  • [1] Ligue des familles, Recherche-action sur les attentes et les besoins des familles monoparentales, 2022
  • [2] Axelle Magazine, Placements abusifs d’enfants : pour leur bien ? – 2022 
  • [3] Défense des Enfants International – Belgique, Entretien avec Benoît Van Keirsbilck, 2022 (voir aussi notre interview) 
  • [4] Baromètre des loyers, Région de Bruxelles-Capitale, 2024 
  • [5] Alter Échos, Maman et bébé sans domicile fixe, 2023 
  • [6] Convention internationale des droits de l’enfant, ONU, art. 9 
  • [7] Convention internationale des droits de l’enfant, ONU, art. 9 ; Cour européenne des droits de l’homme 
  • [8] Ligue des droits humains, Le placement – chronique d’une séparation annoncée, 2023
  • [9] Service AGORA / Lutte contre la pauvreté, Précieux enfants, 2020 
  • [10] Ligue des familles, Recherche-action sur les attentes et les besoins des familles monoparentales, 2022 
  • [11] AGORA, Précieux enfants, 2020 ; Vie Féminine, Aide à la jeunesse aveugle aux violences faites aux femmes, 2023 ; LDH, Le placement, 2023 
  • [12] Housing Europe, The State of Housing in the EU 2023 
enfants placés en institution
Placement en institution et précarité : causes et alternatives 1024 576 L'Ilot

Placement en institution et précarité : causes et alternatives

Benoît Van Keirsbilck, directeur de Défense des Enfants International – Belgique, alerte sur la banalisation des mesures de retrait d’enfants de leur milieu familial. Il appelle à mieux faire respecter leurs droits, en soutenant les familles avant de les éloigner. Interview à découvrir dans le cadre de notre nouvelle publication sur les enfants placés pour cause de précarité qui paraîtra début septembre.

Pourquoi est-il important de parler des enfants placés en institution ?

Parce qu’ils et elles figurent parmi les enfants les plus vulnérables. En Belgique francophone, chaque année, près de 40.000 enfants sont placés dans des institutions, familles d’accueil ou services spécialisés. Cette séparation, censée rester une exception, est trop souvent une réponse à la pauvreté, faute de solutions de soutien adaptées.

Peut-on dire que le placement en institution est en soi un problème ?

L’accueil en dehors du milieu familial, peut être nécessaire, mais il ne doit jamais être une réponse à la misère. Or, les enfants vivant dans des familles pauvres sont surreprésentés dans les séparations familiales. C’est une injustice structurelle. Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, vivre dans la précarité ne devrait jamais justifier une séparation familiale.

Alors, quelles alternatives au placement en institution faut-il promouvoir ?

La première responsabilité de l’État est de soutenir les familles pour qu’elles puissent remplir leur rôle. Cela passe par l’accès à un logement digne, une aide sociale suffisante, et des services de proximité. Il faut aussi développer l’accueil familial, bien accompagné, et mieux prendre en compte la parole de l’enfant dans toutes les décisions.

Les enfants ont-ils un droit à vivre avec leurs parents ?

Oui, c’est un droit fondamental. La Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît que l’enfant a, autant que possible, le droit de grandir dans sa famille. Les parents ont la responsabilité première d’élever leurs enfants et de favoriser leur développement. Mais c’est aussi le devoir des États de leur fournir l’aide nécessaire pour qu’ils puissent assumer ce rôle.

Quels sont les engagements concrets des États dans ce domaine ?

Les États doivent mettre en place des politiques de prévention, de soutien aux familles en difficulté, et veiller à éviter les séparations non nécessaires. Cela implique notamment un accès réel à un logement, à des services sociaux et de santé, à l’éducation, mais aussi à un accompagnement dans la parentalité. N’oublions pas que la pauvreté résulte le plus souvent de l’inadéquation des politiques sociales. La limitation du droit au chômage dans le temps est un bel exemple d’une politique qui n’a pas pris en compte ses conséquences sur les enfants et les familles et qui va entraîner un nombre important de personnes dans une précarité accrue. Toute nouvelle législation devrait faire l’objet d’une évaluation relative à son impact sur les enfants et leurs droits (en anglais on parle de CRIA : child rights impact assessment).

Le fait d’être pauvre est-il un facteur de séparation des enfants de leur famille ?

Malheureusement, oui. De nombreuses études, comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, montrent que la pauvreté reste un facteur aggravant. Des enfants sont encore retirés de leur famille non pas parce qu’ils sont en danger, mais parce que leurs parents n’ont pas les ressources pour subvenir à leurs besoins. C’est une injustice profonde. Et ça coûte plus cher à la société, ça a été largement démontré.

Enfants placés et pauvreté en Belgique : les chiffres clés 

Pauvreté en Belgique

  • D’après une étude récente de Statbel sur la question, plus de 2,1 millions de Belges couraient en 2024 un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
  • Toujours en 2024, Bruxelles-Capitale est la région qui affiche selon Statbel le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale le plus élevé (37,2 %) 

Répartition des risques de pauvreté en Belgique (source : Statbel) 

Pauvreté infantile en Belgique

  • 19 % des enfants belges vivaient dans la pauvreté en 2023 (Bureau fédéral du Plan)
  • 13,7 % des enfants de 0 à 15 ans souffraient en 2024 de privation matérielle spécifique à leurs besoins (Statbel)
  • Cette privation varie beaucoup selon les caractéristiques des ménages dans lesquels ils évoluent. Par exemple, elle touchait (en 2024) 23,4 % des enfants à Bruxelles, mais 18,5% en Wallonie et 9% en Flandre (Statbel) 

Inégalités dans la privation matérielle des enfants en fonction des ménages (source : Statbel)  

Les chiffres du placement d’enfants en Belgique

  • En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 7 000 enfants sont placés chaque année suite à la décision d’un juge (RTBF, 2024)  
  • Dans la région bruxelloise, 440 enfants étaient en attente d’une place en août 2024. La pénurie des places en institution ou famille d’accueil est telle que certain·es mineur·es sont même logé·es dans des hôpitaux (RTBF). 
enfants et sans abrisme
Un toit pour grandir, rire et s’épanouir 1024 576 L'Ilot

Un toit pour grandir, rire et s’épanouir

Priver un enfant de la magie de sa chambre, c’est priver un ciel de ses étoiles : plus rien ne l’éclaire.

Être un ou une « enfant bagage », qui l’a un jour envisagé ? C’est pourtant la réalité d’Anaïs, 6 ans, qui suit sa maman dans une vie de rue. En Belgique, près de 20 % des personnes sans chez-soi sont des enfants, témoins de violences familiales et de difficultés de leurs parents sans pouvoir trouver refuge auprès d’eux, qui ne sont plus en capacité d’assurer un cadre sécurisé.

Depuis 1987, L’Ilot, via sa Maison d’accueil pour femmes et familles « le 160 », accueille des enfants en perte d’identité, des petits garçons et des petites filles envahies de stress, d’anxiété, d’insécurité… Depuis 2012, L’Ilot propose un projet pédagogique spécifique pour qu’ils et elles retrouvent leur place dans la famille, leurs repères, leurs liens sociaux ou encore leurs émotions…

 « 40 % des enfants à Bruxelles vivent dans la pauvreté. Nos travailleurs et travailleuses sociales n’ont qu’une mission : permettre à ces petits et petites de retrouver tout simplement une place d’enfant et éviter qu’ils ne grandissent trop vite. » explique Jean-Luc Joiret, directeur de la Maison d’accueil.

Notre objectif : libérer la parole des enfants pour les aider à sortir de cette boucle du déterminisme social. Leur permettre de grandir à leur rythme, en respectant leurs besoins et leurs envies et en faisant vivre leurs droits.

Devenons toutes et tous un soutien solide pour ces enfants. Nous avons besoin de vous.

Ensemble, nous pouvons les entourer d’insouciance et de bonheur. Sans votre aide, sans notre travail d’équipe, bien trop d’enfants continueront à subir la pauvreté et l’exclusion au quotidien.

Nos projets sont indispensables et ne peuvent se concrétiser que grâce à vous : améliorer l’aménagement de nos espaces d’accueil pour permettre aux enfants et à leurs parents de retrouver une bulle d’intimité, y développer de précieux moments d’échanges liés à la parentalité, acheter le matériel nécessaire à la scolarité des enfants, leur proposer des activités sportives et des loisirs, etc. Ensemble, assurons un avenir meilleur à ces enfants qui fréquentent ou fréquenteront un jour les services de L’Ilot.

scolarité et sans abrisme interview Eva bénévole
Kart #7 | « Quand vous ne parlez pas français en mai, vous ne pouvez pas conjuguer au futur antérieur en septembre… Le système scolaire n’est pas adapté à leurs besoins. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « Quand vous ne parlez pas français en mai, vous ne pouvez pas conjuguer au futur antérieur en septembre… Le système scolaire n’est pas adapté à leurs besoins. »

EVA, 20 ans, bénévole « enfants » dans la Maison pour familles de L’Ilot à Bruxelles. Essaie d’optimiser son temps pour venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin.
Quel est ton rapport aux enfants que tu accompagnes à L’Ilot ?

J’essaie de ne pas trop rentrer dans l’intime ; par peur d’être intrusive, de réveiller des traumatismes. Mais s’ils ou elles ont envie de se livrer, ils savent qu’on a aussi la possibilité de ce lien-là.  Par exemple, je ne monte jamais à l’étage, dans les chambres. C’est une limite que je me fixe. Je reste concentrée sur les aspects purement scolaires en essayant de ne pas avoir l’étiquette d’une institutrice « classique ». Mais un côté un peu plus proche, plus copain-copine.

Est-ce que tu sens qu’il y a une réelle demande de la part des enfants ?

Clairement. Tous les enfants que j’aide ont des parents qui ne parlent pas français. Donc évidemment qu’ils ont besoin d‘aide pour leurs devoirs. Parce qu’obligatoirement, leurs parents ne s’intéressent pas vraiment à leur scolarité, ils ont malheureusement d’autres priorités, d’autres urgences. Et c’est bien normal. Donc quand j’arrive le mardi, je me sens attendue. Même si pour les enfants, à la limite, il faudrait que je vienne tous les jours. Parce que contrairement à ce qu’on croit parfois, ce sont des enfants qui tiennent à leur scolarité, qui n’ont pas envie de décrocher.

Malheureusement, si vous ne parlez pas français au mois de mai, vous ne pourrez pas conjuguer au futur antérieur en septembre ! Ça parait délirant de l’extérieur, mais c’est une réalité. Il y a trop peu d’efforts qui sont faits pour accompagner ces publics-là. Et je crois que le système scolaire en lui-même n’est pas adapté à leurs besoins.

Qu’est-ce que tu retires personnellement de cette expérience ?

Beaucoup de reconnaissance. Quand je vois des enfants de 6e primaire qui ne savent pas ce que c’est un nombre décimal, je me dis que notre présence est indispensable. Souvent, je leur fais des fiches de conjugaison. Quand j’en vois certains ou certaines les trimballer partout dans la maison, je me dis que ce que je fais n’est pas inutile. C’est gratifiant. On se sent utile.

L’interview d’Eva, bénévole « enfants » dans la Maison pour familles de L’Ilot à Bruxelles.

scolarité et sans abrisme
Kart #7 | Aller à l’école, mais dormir à la rue : une réalité inacceptable 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | Aller à l’école, mais dormir à la rue : une réalité inacceptable

Illustration : ©Espace Fragile – Judith Faraoni

Chaque rentrée scolaire nous ramène à un moment de vie empli d’émotions. Qui racontera le plus souvent l’état d’excitation… ou d’angoisse, c’est selon, qui était le nôtre à cet instant précis. Souvent associée à la fin des libertés estivales, la rentrée scolaire est pourtant le rendez-vous le plus structurant de notre société.

Celui qui, plus jeunes, nous a permis de sociabiliser, grandir, comprendre, échanger ou apprendre. Celui qui nous a toutes et tous, aussi, un jour ou l’autre, obligé à la comparaison : de nos cartables, de nos tenues, de nos goûters… Bien plus que de l’apparat, l’école est un miroir qui raconte qui nous sommes. Notre destin, notre famille. Notre chance d’être là aussi.

On le sait à L’Ilot, être attendu·e quelque part le jour de la rentrée scolaire est déjà une chance en soi. Ce lundi 28 août, toutes et tous n’auront pas la chance d’intégrer une nouvelle classe, de retrouver les copains et copines, de raconter les souvenirs d’été ou, tout simplement, de changer de quotidien. Car malheureusement, la routine de la plupart des enfants sans abri, c’est l’absence de scolarité.

D’autres enfants seront scolarisés sans pouvoir retrouver, chaque soir, un environnement sécurisant indispensable à leur bien-être. En Belgique, près d’un enfant sur cinq vit en effet sous le seuil de pauvreté et connaît la déprivation[1]. Rien que sur le territoire régional bruxellois, près de mille enfants vivent sans logement[2] : ils et elles sont accueillies dans des structures d’hébergement provisoire, des centres d’urgence ou connaissent l’errance en rue, dans certains cas sans même être accompagnés par des adultes. Mais comment appréhender sereinement une rentrée scolaire quand on n’a pas de chez-soi ? Comment suivre une scolarité « normale » dans un quotidien dicté par l’instabilité et la survie ?

C’est à ces questions et à de nombreuses autres qu’à L’Ilot nous avons voulu donner la priorité à la veille de la rentrée scolaire.

La preuve par l’exemple dans cette KART consacrée à la scolarité des enfants sans abri.

Bonne lecture,

Ariane Dierickx, directrice générale

[1] Anne-Catherine GUIO et Frank VANDENBROUCKE, La pauvreté et la déprivation des enfants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois régions et les pays voisins, Fondation Roi Baudouin, décembre 2018

[2] Dénombrement des personnes sans chez-soi en Région de Bruxelles-Capitale – Septième édition, 8 novembre 2022, Bruss’help, Bruxelles, mai 2023

scolarité et sans abrisme
Kart #7 | « Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. De lui permettre de retrouver son insouciance. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. De lui permettre de retrouver son insouciance. »

Illustration : ©Espace Fragile – Judith Faraoni

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas toujours au sein de la Maison d’accueil pour familles de L’Ilot pour familles. Les veilles de rentrée scolaire encore un peu moins que les autres. Cette année à nouveau – parce qu’une des priorités de L’Ilot est de permettre à chaque enfant, quel que soit son parcours de vie, d’être scolarisé·e  -, ce sont ainsi plusieurs enfants accueillis dans la Maison qui prendront à nouveau le chemin de l’école chaque matin. Comme n’importe quel autre enfant. Trajectoire de vie cabossée non comprise.

« On prend souvent l’exemple de « Bienvenue chez les Ch’tis » pour résumer la situation des enfants qui fréquentent la maison », analyse en cinéphile Jean-Luc Joiret, directeur de la Maison. « Parce qu’ils pleurent en arrivant, mais aussi en repartant. »

Le but premier des travailleurs et travailleuses sociales de la Maison d’accueil pour familles est d’abord de rendre le séjour des enfants le plus agréable possible. « De leur permettre de retrouver tout simplement une place d’enfant », appuie encore Jean-Luc. « C’est-à-dire de ne plus les « parentaliser » à l’excès comme c’est malheureusement souvent le cas. Faire en sorte qu’ils n’aient plus à porter les problèmes de leurs parents et qu’ils puissent retrouver un peu d’insouciance, celle qui permet de grandir dans la légèreté. Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. »

Bénéficiant de l’agrément en Soutien à la Parentalité octroyé par la Cocof, la Maison œuvre aussi à la reconstruction d’une relation parent-enfant parfois abimée par les drames vécus par la famille. Parallèlement, l’équipe travail à faire vivre au quotidien un projet pédagogique visant aussi le suivi scolaire.

« C’est toute une manière de travailler dans le suivi psycho-social qui a pour finalité la reconstruction de l’enfant en tant qu’enfant, en ce compris le suivi de son évolution. Mais l’idée, c’est aussi de réussir à le déconnecter de sa trop dure réalité. De lui permettre de retrouver son insouciance : leur réapprendre à rire et à jouer, c’est presque le cœur du travail des éducateurs et éducatrices qui s’occupent des enfants. »

Un détachement que l’école participe à offrir également. « C’est pour ça que c’est important pour nous que les enfants qui fréquentent la maison soient scolarisés. Et c’est le cas de 99 % d’entre eux », confirme Jean-Luc. « Cela dépend de l’autonomie des parents, mais il arrive que nous intervenions dans les démarches administratives liées à l’inscription. »

Responsable des activités enfants, Emilie, travailleuse sociale, organise des activités pour les plus petits tous les mercredi après-midi. « On y aborde des thèmes variés. L’idée c’est de leur permettre de s’exprimer, de favoriser la mise en place de leurs émotions. De les faire parler de leur rapport à la scolarité parfois, mais surtout de leur intégration à la vie en collectivité. Et puis, de leur faire comprendre que c’est normal de ressentir parfois de l’injustice. »

A défaut d’un véritable « chez-soi », les enfants de la Maison pour familles de L’Ilot ont accès à des oreilles bienveillantes pour les écouter à leur retour de l’école. Un accompagnement indispensable pour limiter au maximum les risques de décrochage scolaire.

scolarité et sans abrisme soleyman laqdim
Kart #7 | « L’école est importante, mais tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « L’école est importante, mais tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. »

Riche d’une forte expérience dans le secteur de la eunesse et de la protection de la jeunesse, Solayman Laqdim est depuis janvier dernier le nouveau Délégué Général aux Droits de l’Enfant (DGDE). Un poste qui compte et une place à part pour observer la situation spécifique des mineur·es en situation de sans-abrisme.
Mr Laqdim, pendant vingt ans, vous avez œuvré dans le secteur de la jeunesse et de la protection de la jeunesse. Désormais DGDE, quel bilan tirez de la situation actuelle concernant les jeunes en errance et leur rapport à la scolarité ?

Vous avez raison, mon ADN, c’est l’aide et la protection de la jeunesse. Pendant vingt ans, j’ai vu beaucoup de jeunes sortir d’institutions spécialisées dans l’aide et la protection à la jeunesse et qui, quelques années après leur majorité, basculaient dans le sans-abrisme et dans l’errance. Les chiffres sont dramatiques. Ma conclusion, c’est que les réponses en forme de palliatif offertes aujourd’hui ne conviennent pas. La solution doit être préventive. Parce que quand vous êtes placé en institution jusqu’à vos 18 ans, le retour à l’autonomie est toujours compliqué. D’autant plus pour des publics qui sont des vulnérables parmi les vulnérables.

Qu’est-ce que vous appelez des vulnérables parmi les vulnérables ?

Déjà, la question des 18-25 ans est prioritaire. On a là la tranche d’âge la plus représentée au niveau du revenu d’intégration sociale. Avec des chiffres qui montent dans la Région de Charleroi jusqu’à 40 %.

Mais être une femme en rue, c’est encore une vulnérabilité en plus. Être une très jeune femme, avec les parcours terribles en matière de trafic d’êtres humains qui sont souvent les leurs, c’est encore une vulnérabilité en plus. Il y a aussi les MENA (ndlr : Mineurs Étrangers Non Accompagnés) bien sûr. Et un troisième secteur qui passe sous les radars, ce sont les jeunes avec handicap. La question centrale pour tous ces gens, c’est comment favoriser leur autonomie sans qu’ils basculent dans l’errance.

Et comment justement ?

La priorité, pour moi, c’est l’hébergement. Avant la scolarité. L’école ne redevient importante qu’une fois les situations individuelles stabilisées. Et la sécurité offerte. L’école est importante, mais quand on cumule toutes les difficultés propres à ces publics-là, on se rend compte que tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. Moi, je suis un fervent défenseur du Housing First. Et toutes les études démontrent à quel point cela fonctionne bien. Et puis, il y a la question de l’hébergement inconditionnel. Celui qui ne doit pas être trop restrictif dans ses conditions d’accueil.  Malheureusement, à Bruxelles, il y en a très peu. Donc, on se retrouve avec des jeunes qui ont des trajectoires de délinquance et des parcours de vie dans l’ensemble très cabossés, mais des institutions incapables de les prendre en charge par manque de moyens.

Nos institutions travaillent notamment en direction de très jeunes enfants avec parents. Que pensez-vous de l’idée que ces publics soient considérés comme prioritaires en matière de relogement ? 

Il y a tellement de publics précaires aujourd’hui, que la tentation c’est parfois de prioriser. De donner la priorité au « plus pire ». Parfois, cela en devient absurde. Avec les MENA, par exemple, comme il y a un déséquilibre avec les tuteurs, on favorise les situations avec une procédure judiciaire en cours. On peut en rire ou en pleurer, mais il y a des jeunes qui commettent des faits de délinquance pour pouvoir obtenir un tuteur. Tout ça pour dire que c’est toujours dangereux de prioriser.

La question migratoire est centrale parce qu’on sait que la méconnaissance d’une langue est un accélérateur en matière de décrochage scolaire. Comment réintégrer ces jeunes-là par l’école ?

Un accès aux droits compliqué, c’est là encore un accélérateur de vulnérabilité. Le paradoxe, c’est qu’on sait que l’école ouvre à toute une série de droits. Par exemple, un MENA, pour pouvoir avoir accès à une mutuelle, doit être scolarisé pendant trois mois. Normalement, une école ne peut pas refuser une inscription, sauf pour certains motifs. Mais dans les faits, la plupart des MENA qui se présentent dans une école sans tuteur pour les y accompagner se font remballer. Sans possibilité de se défendre, par méconnaissance des règles ou de la langue. La maitrise de cette dernière est centrale. Et on dit qu’il faut sept ans d’immersion pour pouvoir bien maitriser une langue…

Quelles solutions mettre en place pour pallier ce cloisonnement de fait ?

C’est une question compliquée. Surtout si on se concentre sur les jeunes qui ne sont pas scolarisables, qui ne sont jamais allés à l’école, qui ont connu la guerre depuis leur naissance, qui ont fait une route migratoire jusqu’ici et qui sont dans l’errance chez nous aujourd’hui. Scolariser des gens qui n’ont jamais été alphabétisés, c’est très compliqué. Des initiatives existent, mais elles fonctionnent avec très peu de moyens. Je pense à « La Petite École » dans les Marolles. On y pratique un enseignement très soft, mais l’objectif là-bas, c’est la remise en condition. Pour faire en sorte que ces jeunes puissent se resociabiliser. Voilà un type d’expérience probante. Il y en a d’autres. Les dispositifs DASPA (Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et Assimilés) par exemple. Là, on travaille avec des publics qui ont été scolarisés dans le passé, mais qui ne parlent pas la langue. Mais c’est un dispositif qui souffre d’un énorme décalage entre l’offre et la demande. Notamment en milieu urbain où il manque cruellement de places. Et puis le gros enjeu aussi, c’est la transition entre ces dispositifs DASPA et l’enseignement ordinaire. Là, il manque quelque chose.

Comment envisager positivement l’avenir dans ces conditions ?

Cela passera par une politique sociale ambitieuse. Par une politique d’accompagnement parental de qualité, bienveillante et qui respecte les choix éducatifs. Par plus d’inclusion à l’école. Plus de démocratie. Plus d’équité. Mais pour ça, il faut parvenir à sortir de cette logique de l’immédiateté. Même s’il faut reconnaitre que sur l’enseignement, avec le Pacte pour un Enseignement d’Excellence, c’est la première fois dans l’histoire récente politique que je vois quelque chose où on est dans une démarche sur du temps long. Et l’horizon aujourd’hui, c’est 2030.

On peut discuter du fond, mais c’est sain parce qu’il y a une vision. Et qu’on ne change pas les choses tous les cinq ans.

L’interview de Solayman Laqdim, nouveau Délégué Général aux Droits de l’Enfant (DGDE).

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans. 900 414 L'Ilot

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans.

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans.

J’aime beaucoup mon papa, ma maman, mon papy, mes copines. Et Elmer aussi. C’est mon nounours préféré.

Notre maison est super. J’ai une grande chambre pour tous mes jouets. J’aime bien jouer dans ma chambre. Mon Papa m’a fait une cabane. Il est trop fort !

Parfois maman et papa crient. Alors on se cache dans la cabane avec Elmer. J’ai moins peur quand il est là.

Ma Maman me réveille pendant la nuit. Papa dort, je l’entends. Elle dit qu’on part en vacances. Mais alors pourquoi on ne prend pas nos vêtements ? Je serre Elmer dans mes bras. Elle me dit de ne pas pleurer.

C’est tout noir. C’est la nuit. Je me réveille, il y a des lumières et du bruit. Beaucoup de voitures qui vont très vite quand je regarde à gauche.

Maman parle au téléphone, celui qui ne fait pas de vidéos, pas comme celui de Papa. Elle a une drôle de voix bizarre. J’ai quand même envie de pleurer.

Je me réveille, maman dort encore. Elle a mis des draps sur les fenêtres de la voiture.  Comme pour faire une cabane. Je vois des gens dans les trous. Je serre fort Elmer contre moi, je lui dis que tout va bien. J’ai un peu peur. C’est le matin, j’ai froid.

Maman et moi, on se lave dans les toilettes du parking. C’est un jeu, elle dit. On dirait la piscine, mais sans tobogan.

On doit se dépêcher, des gens nous regardent.

Maman me donne un pain au chocolat. Et aussi un jus de pomme. C’est trop bon ! Maman n’a pas faim, elle me dit qu’elle mangera plus tard.

Papy est là. Maman et lui se disputent, il dit que c’est sa faute. Je ne comprends pas tout. Il donne des sous à Maman et me fait un bisou. Papy claque la porte, ça me fait peur.

Maman dit qu’on va dormir encore une fois dans la voiture. Dans un autre parking.

Elle dit que c’est la dernière fois, que c’est promis. Elle a une voix bizarre.

Elle dit que je suis courageuse.

Il y a du bleu autour de son œil.

interview Giovanni résident maison d'accueil l'ilot jumet
Et les papas dans tout ça ? 1024 564 L'Ilot

Et les papas dans tout ça ?

Trois maisons d’accueil de L’Ilot, une à Bruxelles et deux autres dans la région de Charleroi, accueillent exclusivement des hommes. Cela ne veut pas dire que les enfants y sont complètement étrangers : beaucoup de pères y sont actuellement hébergés et – tout en veillant au bon équilibre entre le bien-être de l’enfant, ses droits, et l’importance de recréer un noyau familial –, L’Ilot souhaite leur permettre d’y accueillir leur famille dans les meilleures conditions possibles. 

C’est dans cette optique que la maison d’accueil de Jumet a mis en place un « espace parentalité » : pour offrir la possibilité aux papas d’accueillir leurs enfants dans un endroit à part, spécialement pensé pour qu’ils se retrouvent pendant quelques heures et partagent de bons moments.

Équipé d’un salon, d’une cuisine, de sanitaires et de tout ce qu’il faut pour s’amuser ensemble (jouets, télévision, etc.), l’espace parentalité permettra aux papas et à leurs enfants de « rattraper le temps perdu » et recréer des liens loin des difficultés liées à leur parcours de vie.

Le témoignage de Giovanni, résident de la maison d’accueil pour hommes de Jumet.

Le témoignage d’Isabelle, assistante sociale de la maison d’accueil pour hommes de Jumet.

Téléchargez La Kart #3 « Enfance et sans-abrisme »

L’accueil spécifique des enfants à L’Ilot 900 414 L'Ilot

L’accueil spécifique des enfants à L’Ilot

Quand ils arrivent à L’Ilot, les enfants sont parfois considérés par leurs parents comme de simples bagages, des objets secondaires, plus des personnes à part entière. C’est le résultat des nombreuses souffrances que la famille a invariablement traversées avant de trouver refuge dans l’une de nos maisons d’accueil. Si l’amour qui les unit à leurs enfants demeure toujours le plus fort, beaucoup de mères et de pères, noyés dans les problèmes, rongés par les difficultés, envahis par la honte d’en être arrivés là, n’arrivent plus à gérer, n’ont plus la force de faire passer leurs petits en priorité. Mais qui l’aurait ? 

Les équipes sociales de notre association – et plus particulièrement les responsables du soutien à la parentalité et les référents enfants – sont notamment là pour redonner une place aux enfants dans le parcours de leurs parents, qui estiment souvent qu’un bébé ou un enfant en bas âge ne comprend pas grand-chose à la situation traversée. S’il n’a pas encore accès au langage, l’enfant ressent cependant beaucoup de choses : le stress, l’anxiété, l’insécurité… 

En fonction de leur âge, de la relation qu’ils entretiennent avec leurs proches, les enfants arrivent à L’Ilot plus ou moins perturbés par les épreuves qu’ils ont traversées. Certains n’expriment ou ne montrent pas non plus directement à quel point ils sont marqués par les évènements.  

Les professionnel·les sont donc particulièrement attentif·ves aux émotions exprimées, à la place qu’on laisse aux enfants, au respect de leurs besoins (de rythme, de jeux, d’écoute, etc.). Car quand les choses restent taboues, cela entraîne invariablement des conséquences négatives sur la famille. Un important travail est donc réalisé pour libérer la parole des enfants qui fréquentent la maison d’accueil, par le biais d’activités spécifiques et d’entretiens individuels. 

Les enfants, quand tout se passe bien, sont finalement très contents d’être à L’Ilot : il y a plein de copains, des jeux, des activités… C’est la continuité de l’école, un autre petit cocon loin des problèmes. Des liens d’affection et de confiance se créent, avec les éducateurs et éducatrices, d’autres résident·es et leurs enfants. L’équipe doit rester attentive à ce que ces liens n’entraînent pas plus de difficultés au moment du départ : quand on s’attache, il est encore plus difficile de dire « au revoir », de recommencer le processus de reconstruction dans une autre maison d’accueil ou dans son nouveau logement si notre équipe a pu en trouver un pour la famille. Pour palier cela, les activités de soutien à la parentalité peuvent continuer pendant un certain temps après le départ de la famille de la maison d’accueil de L’Ilot. 

Même si les équipes font tout ce qu’elles peuvent pour préserver leur innocence, les enfants sont régulièrement confrontés à la violence, aux crises ou aux problèmes de santé mentale des autres habitants et habitantes de la maison. Les membres de l’équipe socio-éducative peuvent en parler avec eux… à moins que leurs parents refusent, ce qui arrive, malheureusement, assez fréquemment. 

Beaucoup de progrès peuvent encore être faits pour que l’accueil et le séjour des enfants se déroule dans les meilleures conditions possibles, à commencer par des locaux mieux adaptés à leurs besoins spécifiques : il est actuellement impossible, dans la maison d’accueil, d’avoir un entretien avec un parent et / ou ses enfants sans être dérangé ou entendre des gens qui parlent, parfois hurlent, dans le couloir… 

Il est urgent que des moyens structurels soient dégagés pour que les enfants jouissent de locaux entièrement adaptés à leurs besoins et que des initiatives soient mises en place pour les accompagner, les encadrer, de la meilleure des manières dès que leur famille est touchée par la précarité. 

© Illustration Prisca Jourdain

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