Benoît Van Keirsbilck, directeur de Défense des Enfants International – Belgique, alerte sur la banalisation des mesures de retrait d’enfants de leur milieu familial. Il appelle à mieux faire respecter leurs droits, en soutenant les familles avant de les éloigner. Interview à découvrir dans le cadre de notre nouvelle publication sur les enfants placés pour cause de précarité qui paraîtra début septembre.
Pourquoi est-il important de parler des enfants placés en institution ?
Parce qu’ils et elles figurent parmi les enfants les plus vulnérables. En Belgique francophone, chaque année, près de 40.000 enfants sont placés dans des institutions, familles d’accueil ou services spécialisés. Cette séparation, censée rester une exception, est trop souvent une réponse à la pauvreté, faute de solutions de soutien adaptées.
Peut-on dire que le placement en institution est en soi un problème ?
L’accueil en dehors du milieu familial, peut être nécessaire, mais il ne doit jamais être une réponse à la misère. Or, les enfants vivant dans des familles pauvres sont surreprésentés dans les séparations familiales. C’est une injustice structurelle. Comme le rappelle la Cour européenne des droits de l’homme, vivre dans la précarité ne devrait jamais justifier une séparation familiale.
Alors, quelles alternatives au placement en institution faut-il promouvoir ?
La première responsabilité de l’État est de soutenir les familles pour qu’elles puissent remplir leur rôle. Cela passe par l’accès à un logement digne, une aide sociale suffisante, et des services de proximité. Il faut aussi développer l’accueil familial, bien accompagné, et mieux prendre en compte la parole de l’enfant dans toutes les décisions.
Les enfants ont-ils un droit à vivre avec leurs parents ?
Oui, c’est un droit fondamental. La Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît que l’enfant a, autant que possible, le droit de grandir dans sa famille. Les parents ont la responsabilité première d’élever leurs enfants et de favoriser leur développement. Mais c’est aussi le devoir des États de leur fournir l’aide nécessaire pour qu’ils puissent assumer ce rôle.
Quels sont les engagements concrets des États dans ce domaine ?
Les États doivent mettre en place des politiques de prévention, de soutien aux familles en difficulté, et veiller à éviter les séparations non nécessaires. Cela implique notamment un accès réel à un logement, à des services sociaux et de santé, à l’éducation, mais aussi à un accompagnement dans la parentalité. N’oublions pas que la pauvreté résulte le plus souvent de l’inadéquation des politiques sociales. La limitation du droit au chômage dans le temps est un bel exemple d’une politique qui n’a pas pris en compte ses conséquences sur les enfants et les familles et qui va entraîner un nombre important de personnes dans une précarité accrue. Toute nouvelle législation devrait faire l’objet d’une évaluation relative à son impact sur les enfants et leurs droits (en anglais on parle de CRIA : child rights impact assessment).
Le fait d’être pauvre est-il un facteur de séparation des enfants de leur famille ?
Malheureusement, oui. De nombreuses études, comme la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, montrent que la pauvreté reste un facteur aggravant. Des enfants sont encore retirés de leur famille non pas parce qu’ils sont en danger, mais parce que leurs parents n’ont pas les ressources pour subvenir à leurs besoins. C’est une injustice profonde. Et ça coûte plus cher à la société, ça a été largement démontré.
Enfants placés et pauvreté en Belgique : les chiffres clés
Pauvreté en Belgique
- D’après une étude récente de Statbel sur la question, plus de 2,1 millions de Belges couraient en 2024 un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale
- Toujours en 2024, Bruxelles-Capitale est la région qui affiche selon Statbel le risque de pauvreté ou d’exclusion sociale le plus élevé (37,2 %)

Répartition des risques de pauvreté en Belgique (source : Statbel)
Pauvreté infantile en Belgique
- 19 % des enfants belges vivaient dans la pauvreté en 2023 (Bureau fédéral du Plan)
- 13,7 % des enfants de 0 à 15 ans souffraient en 2024 de privation matérielle spécifique à leurs besoins (Statbel)
- Cette privation varie beaucoup selon les caractéristiques des ménages dans lesquels ils évoluent. Par exemple, elle touchait (en 2024) 23,4 % des enfants à Bruxelles, mais 18,5 % en Wallonie et 9 % en Flandre (Statbel)

Inégalités dans la privation matérielle des enfants en fonction des ménages (source : Statbel)
Les chiffres du placement d’enfants en Belgique
- En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 7 000 enfants sont placés chaque année suite à la décision d’un juge (RTBF, 2024)
- Dans la région bruxelloise, 440 enfants étaient en attente d’une place en août 2024. La pénurie des places en institution ou famille d’accueil est telle que certain·es mineur·es sont même logé·es dans des hôpitaux (RTBF).