Santé mentale

Santé mentale : 70% des personnes que nous accompagnons souffrent de troubles de la santé mentale. 1024 576 L'Ilot

Santé mentale : 70% des personnes que nous accompagnons souffrent de troubles de la santé mentale.

L'angoisse persistante d'une agression, le manque de sommeil, le froid, la faim, la recherche d’un toit pour la nuit... Le sans-abrisme aggrave considérablement les troubles anxieux et les états dépressifs, menant potentiellement à des pathologies plus sévères et complexes.

Au sein de L’Ilot, la santé mentale est une préoccupation majeure. 70% des personnes que nous accompagnons souffrent de troubles de la santé mentale, dont au moins 25% de troubles psychiatriques plus graves, tels que la psychose ou la schizophrénie.

Cette réalité, observée dans nos Maisons d’accueil et nos Centres de jour, s’inscrit dans un contexte de pauvreté grandissante qui plonge un nombre toujours plus important de femmes, d’hommes et d’enfants dans des conditions de vie indignes.

Aujourd’hui, 2 144 000 Belges, soit 18,7% de la population, courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

Notre psychologue clinicienne Vasiliki, nous éclaire sur les réalités souvent invisibles des personnes sans abri. Elle observe que nombre d’entre elles minimisent leurs problèmes de santé allant jusqu’à se détacher de leur propre corps pour atténuer la souffrance physique et émotionnelle causée par la vie en rue.

Le rôle des psychologues est indispensable : ils et elles aident activement les personnes en souffrance à s'ouvrir, à partager leurs expériences douloureuses et à prendre conscience de leur parcours. Ce soutien psychologique est vital pour prévenir les crises violentes et accompagner chacun et chacune dans un processus de guérison et de réintégration sociale.

L’expérience nous montre que notre approche psychosociale ne se contente pas d’améliorer la santé mentale des personnes, elle les aide à dépasser leurs craintes ou blocages pour restaurer leurs relations familiales, amicales ou professionnelles. C'est le cas par exemple de Vincent* que nous avons accompagné au sein de notre Maison d’accueil pour hommes et qui, grâce à des entretiens réguliers avec notre psychologue, a repris contact avec sa fille. Nous avons également réalisé un travail exceptionnel avec Timéo*, jeune homme de 21 ans qui a vécu plusieurs mois en rue. Au fil des rencontres, Timéo* a pris conscience de ses schémas destructeurs et de leurs conséquences. Il mène aujourd’hui une vie stable : il habite en colocation, travaille et entretient des relations sociales épanouissantes.

Cependant, nos services se trouvent actuellement submergés par un nombre croissant de personnes sans abri présentant des troubles psychologiques, voire psychiatriques graves. Cette situation est exacerbée par une pénurie de personnel, en particulier de spécialistes formés en psychologie.

Nous avons impérativement besoin de votre soutien pour renforcer nos équipes et assurer un soutien psychologique dans chaque Maison d’accueil et chaque Centre de jour d'urgence.

* Prénom d'emprunt. Nos témoignages sont reconstitués d'après plusieurs expériences de terrain pour ne pas mettre en péril l'anonymat de nos usagers et usagères.

Kart #4 | « Très vite, il y a tous les classiques de la dégradation psychique qui s’installent » 1024 576 L'Ilot

Kart #4 | « Très vite, il y a tous les classiques de la dégradation psychique qui s’installent »

Illustration Gérard Bedoret

Manu Gonçalves est directeur de l’asbl Messidor-Carrefour, une Initiative d’Habitations protégées (IHP) destinée à la création de lieux de vie permettant la réinsertion de personnes sans abri avec un passif psychiatrique. Fort de sa longue expérience en la matière, il nous éclaire sur l’incidence de la maladie mentale sur le parcours en rue.
Il y a-t-il une prise en compte suffisante des pathologies mentales dans le sans-abrisme ?

La psyché fait partie intégrante de l’humanité. Et sa particularité, c’est qu’elle dérange celui ou celle qui en pâtit et son environnement. Les professionnel·les de la psyché n’ont pas réponse à tout. On minimise à cet égard le travail réalisé par des institutions comme L’Ilot. Vous créez du lien social et cela a une importance considérable dans la stabilisation des personnes. C’est aussi l’esprit-même d’une IHP : penser que la dimension collective et communautaire va faire soin.

Est-ce que le contexte d’une mise à la rue (et de la violence suscitée par cette dernière) peut constituer un accélérateur au développement de pathologies mentales ?

La mise à la rue ne provoque pas la maladie mentale, mais elle fragilise psychologiquement. Et chez les gens qui ont des pathologies, elle va les faire flamber. C’est en cela qu’il y a urgence. Cela dit, une détresse ou une pathologie ne se présente pas en quelques heures.

En revanche, très vite, il y a tous les classiques de la dégradation psychique qui s’installent. Ceux qui vont couper la personne de ses propres sentiments. La preuve, c’est que quand on remet en logement des gens qui ont été à la rue pendant des années, il se peut qu’ils tombent malades. Sans l’avoir jamais été avant. Comme s’il y avait quelque chose où, psychiquement, la rue avait pour effet de mettre la maladie à distance. Et que tout d’un coup, le fait de se retrouver un peu protégé·e, offrait à cette dernière un terreau à nouveau favorable.

Comment traiter des questions de santé mentale quand les besoins primaires ne sont pas eux-mêmes rencontrés ?

On ne fait pas l’un ou l’autre. On fait l’un et l’autre. Parce que c’est le seul moyen d’être utile à la personne tout en lui apportant du soin. C’est ce que vous faites à L’Ilot.

Et cela dépend aussi du rapport de la personne à sa « conscience morbide ». On parle de conscience morbide lorsqu'on veut évoquer la capacité d'un patient, atteint d'un trouble ou d'une pathologie psychiatrique, à se reconnaître comme malade. Malheureusement, le propre des fortes pathologies mentales, c’est qu’il n’y a pas de conscience morbide. Ou très peu. C’est-à-dire que la personne délire, mais ne s’en rend pas compte.

Tant que la personne a un rapport à l’étrangeté de ce qu’elle vit, il y a de la place pour offrir du soin. Quand il n’y en n’a pas, cela complique la donne et le risque de mise en danger devient réel.

Des aspects avec lesquels les travailleuses et travailleurs sociaux se trouvent parfois démunis, par manque de formations spécifiques dans le domaine de la santé mentale. Quelle solution le secteur peut-il faire valoir ?

Effectivement, on ne peut pas demander aux équipes de L’Ilot de faire du soin, du thérapeutique. Ce n’est pas leur métier. Et pourtant, les pathologies mentales font partie intégrante de leur quotidien.

De mon point de vue, il ne faut pas être psychologue ou psychiatre pour être utile à une personne en détresse psychologique. Il y a plein de travailleuses et travailleurs psychosociaux utiles sur les sujets de la santé mentale.

Le problème, c’est que le discours dominant dans notre société, c’est qu’il faut des gens estampillés par la faculté pour pouvoir assurer une prise en charge efficace. Mais de mon point de vue, plus une société est bienveillante, moins il y aura de gens en détresse. À condition de les considérer.

Or, les personnes en détresse psychologique sont quantité négligeable. Ce sont « les hommes infâmes » de Michel Foucault. Ceux se situant en-dessous du prolétariat et devant lesquels on ferme les yeux.