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Enfants

Un toit pour grandir, rire et s’épanouir 1024 576 L'Ilot

Un toit pour grandir, rire et s’épanouir

Priver un enfant de la magie de sa chambre, c’est priver un ciel de ses étoiles : plus rien ne l’éclaire.

Être un ou une « enfant bagage », qui l’a un jour envisagé ? C’est pourtant la réalité d’Anaïs, 6 ans, qui suit sa maman dans une vie de rue. En Belgique, près de 20 % des personnes sans chez-soi sont des enfants, témoins de violences familiales et de difficultés de leurs parents sans pouvoir trouver refuge auprès d’eux, qui ne sont plus en capacité d’assurer un cadre sécurisé.

Depuis 1987, L’Ilot, via sa Maison d’accueil pour femmes et familles « le 160 », accueille des enfants en perte d’identité, des petits garçons et des petites filles envahies de stress, d’anxiété, d’insécurité… Depuis 2012, L’Ilot propose un projet pédagogique spécifique pour qu’ils et elles retrouvent leur place dans la famille, leurs repères, leurs liens sociaux ou encore leurs émotions…

 « 40 % des enfants à Bruxelles vivent dans la pauvreté. Nos travailleurs et travailleuses sociales n’ont qu’une mission : permettre à ces petits et petites de retrouver tout simplement une place d’enfant et éviter qu’ils ne grandissent trop vite. » explique Jean-Luc Joiret, directeur de la Maison d’accueil.

Notre objectif : libérer la parole des enfants pour les aider à sortir de cette boucle du déterminisme social. Leur permettre de grandir à leur rythme, en respectant leurs besoins et leurs envies et en faisant vivre leurs droits.

Devenons toutes et tous un soutien solide pour ces enfants. Nous avons besoin de vous.

Ensemble, nous pouvons les entourer d’insouciance et de bonheur. Sans votre aide, sans notre travail d’équipe, bien trop d’enfants continueront à subir la pauvreté et l’exclusion au quotidien.

Nos projets sont indispensables et ne peuvent se concrétiser que grâce à vous : améliorer l’aménagement de nos espaces d’accueil pour permettre aux enfants et à leurs parents de retrouver une bulle d’intimité, y développer de précieux moments d’échanges liés à la parentalité, acheter le matériel nécessaire à la scolarité des enfants, leur proposer des activités sportives et des loisirs, etc. Ensemble, assurons un avenir meilleur à ces enfants qui fréquentent ou fréquenteront un jour les services de L’Ilot.

Kart #7 | « Quand vous ne parlez pas français en mai, vous ne pouvez pas conjuguer au futur antérieur en septembre… Le système scolaire n’est pas adapté à leurs besoins. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « Quand vous ne parlez pas français en mai, vous ne pouvez pas conjuguer au futur antérieur en septembre… Le système scolaire n’est pas adapté à leurs besoins. »

EVA, 20 ans, bénévole « enfants » dans la Maison pour familles de L’Ilot à Bruxelles. Essaie d’optimiser son temps pour venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin.
Quel est ton rapport aux enfants que tu accompagnes à L’Ilot ?

J’essaie de ne pas trop rentrer dans l’intime ; par peur d’être intrusive, de réveiller des traumatismes. Mais s’ils ou elles ont envie de se livrer, ils savent qu’on a aussi la possibilité de ce lien-là.  Par exemple, je ne monte jamais à l’étage, dans les chambres. C’est une limite que je me fixe. Je reste concentrée sur les aspects purement scolaires en essayant de ne pas avoir l’étiquette d’une institutrice « classique ». Mais un côté un peu plus proche, plus copain-copine.

Est-ce que tu sens qu’il y a une réelle demande de la part des enfants ?

Clairement. Tous les enfants que j’aide ont des parents qui ne parlent pas français. Donc évidemment qu’ils ont besoin d‘aide pour leurs devoirs. Parce qu’obligatoirement, leurs parents ne s’intéressent pas vraiment à leur scolarité, ils ont malheureusement d’autres priorités, d’autres urgences. Et c’est bien normal. Donc quand j’arrive le mardi, je me sens attendue. Même si pour les enfants, à la limite, il faudrait que je vienne tous les jours. Parce que contrairement à ce qu’on croit parfois, ce sont des enfants qui tiennent à leur scolarité, qui n’ont pas envie de décrocher.

Malheureusement, si vous ne parlez pas français au mois de mai, vous ne pourrez pas conjuguer au futur antérieur en septembre ! Ça parait délirant de l’extérieur, mais c’est une réalité. Il y a trop peu d’efforts qui sont faits pour accompagner ces publics-là. Et je crois que le système scolaire en lui-même n’est pas adapté à leurs besoins.

Qu’est-ce que tu retires personnellement de cette expérience ?

Beaucoup de reconnaissance. Quand je vois des enfants de 6e primaire qui ne savent pas ce que c’est un nombre décimal, je me dis que notre présence est indispensable. Souvent, je leur fais des fiches de conjugaison. Quand j’en vois certains ou certaines les trimballer partout dans la maison, je me dis que ce que je fais n’est pas inutile. C’est gratifiant. On se sent utile.

L'interview d'Eva, bénévole « enfants » dans la Maison pour familles de L’Ilot à Bruxelles.

Kart #7 | Aller à l’école, mais dormir à la rue : une réalité inacceptable 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | Aller à l’école, mais dormir à la rue : une réalité inacceptable

Illustration : ©Espace Fragile - Judith Faraoni

Chaque rentrée scolaire nous ramène à un moment de vie empli d’émotions. Qui racontera le plus souvent l’état d’excitation… ou d’angoisse, c’est selon, qui était le nôtre à cet instant précis. Souvent associée à la fin des libertés estivales, la rentrée scolaire est pourtant le rendez-vous le plus structurant de notre société.

Celui qui, plus jeunes, nous a permis de sociabiliser, grandir, comprendre, échanger ou apprendre. Celui qui nous a toutes et tous, aussi, un jour ou l’autre, obligé à la comparaison : de nos cartables, de nos tenues, de nos goûters... Bien plus que de l’apparat, l’école est un miroir qui raconte qui nous sommes. Notre destin, notre famille. Notre chance d’être là aussi.

On le sait à L’Ilot, être attendu·e quelque part le jour de la rentrée scolaire est déjà une chance en soi. Ce lundi 28 août, toutes et tous n’auront pas la chance d’intégrer une nouvelle classe, de retrouver les copains et copines, de raconter les souvenirs d’été ou, tout simplement, de changer de quotidien. Car malheureusement, la routine de la plupart des enfants sans abri, c’est l’absence de scolarité.

D’autres enfants seront scolarisés sans pouvoir retrouver, chaque soir, un environnement sécurisant indispensable à leur bien-être. En Belgique, près d’un enfant sur cinq vit en effet sous le seuil de pauvreté et connaît la déprivation[1]. Rien que sur le territoire régional bruxellois, près de mille enfants vivent sans logement[2] : ils et elles sont accueillies dans des structures d’hébergement provisoire, des centres d’urgence ou connaissent l’errance en rue, dans certains cas sans même être accompagnés par des adultes. Mais comment appréhender sereinement une rentrée scolaire quand on n’a pas de chez-soi ? Comment suivre une scolarité « normale » dans un quotidien dicté par l’instabilité et la survie ?

C’est à ces questions et à de nombreuses autres qu’à L’Ilot nous avons voulu donner la priorité à la veille de la rentrée scolaire.

La preuve par l’exemple dans cette KART consacrée à la scolarité des enfants sans abri.

Bonne lecture,

Ariane Dierickx, directrice générale

[1] Anne-Catherine GUIO et Frank VANDENBROUCKE, La pauvreté et la déprivation des enfants en Belgique. Comparaison des facteurs de risque dans les trois régions et les pays voisins, Fondation Roi Baudouin, décembre 2018

[2] Dénombrement des personnes sans chez-soi en Région de Bruxelles-Capitale – Septième édition, 8 novembre 2022, Bruss’help, Bruxelles, mai 2023

Kart #7 | « Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. De lui permettre de retrouver son insouciance. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. De lui permettre de retrouver son insouciance. »

Illustration : ©Espace Fragile - Judith Faraoni

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas toujours au sein de la Maison d’accueil pour familles de L’Ilot pour familles. Les veilles de rentrée scolaire encore un peu moins que les autres. Cette année à nouveau - parce qu’une des priorités de L’Ilot est de permettre à chaque enfant, quel que soit son parcours de vie, d’être scolarisé·e  -, ce sont ainsi plusieurs enfants accueillis dans la Maison qui prendront à nouveau le chemin de l’école chaque matin. Comme n’importe quel autre enfant. Trajectoire de vie cabossée non comprise.

« On prend souvent l’exemple de « Bienvenue chez les Ch’tis » pour résumer la situation des enfants qui fréquentent la maison », analyse en cinéphile Jean-Luc Joiret, directeur de la Maison. « Parce qu’ils pleurent en arrivant, mais aussi en repartant. »

Le but premier des travailleurs et travailleuses sociales de la Maison d’accueil pour familles est d’abord de rendre le séjour des enfants le plus agréable possible. « De leur permettre de retrouver tout simplement une place d’enfant », appuie encore Jean-Luc. « C’est-à-dire de ne plus les « parentaliser » à l’excès comme c’est malheureusement souvent le cas. Faire en sorte qu’ils n’aient plus à porter les problèmes de leurs parents et qu’ils puissent retrouver un peu d’insouciance, celle qui permet de grandir dans la légèreté. Le cœur du projet, c’est véritablement le bien-être de l’enfant. »

Bénéficiant de l’agrément en Soutien à la Parentalité octroyé par la Cocof, la Maison œuvre aussi à la reconstruction d’une relation parent-enfant parfois abimée par les drames vécus par la famille. Parallèlement, l’équipe travail à faire vivre au quotidien un projet pédagogique visant aussi le suivi scolaire.

« C’est toute une manière de travailler dans le suivi psycho-social qui a pour finalité la reconstruction de l’enfant en tant qu’enfant, en ce compris le suivi de son évolution. Mais l’idée, c’est aussi de réussir à le déconnecter de sa trop dure réalité. De lui permettre de retrouver son insouciance : leur réapprendre à rire et à jouer, c’est presque le cœur du travail des éducateurs et éducatrices qui s’occupent des enfants. »

Un détachement que l’école participe à offrir également. « C’est pour ça que c’est important pour nous que les enfants qui fréquentent la maison soient scolarisés. Et c’est le cas de 99 % d’entre eux », confirme Jean-Luc. « Cela dépend de l’autonomie des parents, mais il arrive que nous intervenions dans les démarches administratives liées à l’inscription. »

Responsable des activités enfants, Emilie, travailleuse sociale, organise des activités pour les plus petits tous les mercredi après-midi. « On y aborde des thèmes variés. L’idée c’est de leur permettre de s’exprimer, de favoriser la mise en place de leurs émotions. De les faire parler de leur rapport à la scolarité parfois, mais surtout de leur intégration à la vie en collectivité. Et puis, de leur faire comprendre que c’est normal de ressentir parfois de l’injustice. »

A défaut d’un véritable « chez-soi », les enfants de la Maison pour familles de L’Ilot ont accès à des oreilles bienveillantes pour les écouter à leur retour de l’école. Un accompagnement indispensable pour limiter au maximum les risques de décrochage scolaire.

Kart #7 | « L’école est importante, mais tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. » 1024 576 L'Ilot

Kart #7 | « L’école est importante, mais tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. »

Riche d'une forte expérience dans le secteur de la eunesse et de la protection de la jeunesse, Solayman Laqdim est depuis janvier dernier le nouveau Délégué Général aux Droits de l'Enfant (DGDE). Un poste qui compte et une place à part pour observer la situation spécifique des mineur·es en situation de sans-abrisme.
Mr Laqdim, pendant vingt ans, vous avez œuvré dans le secteur de la jeunesse et de la protection de la jeunesse. Désormais DGDE, quel bilan tirez de la situation actuelle concernant les jeunes en errance et leur rapport à la scolarité ?

Vous avez raison, mon ADN, c’est l’aide et la protection de la jeunesse. Pendant vingt ans, j’ai vu beaucoup de jeunes sortir d’institutions spécialisées dans l’aide et la protection à la jeunesse et qui, quelques années après leur majorité, basculaient dans le sans-abrisme et dans l’errance. Les chiffres sont dramatiques. Ma conclusion, c’est que les réponses en forme de palliatif offertes aujourd’hui ne conviennent pas. La solution doit être préventive. Parce que quand vous êtes placé en institution jusqu’à vos 18 ans, le retour à l’autonomie est toujours compliqué. D’autant plus pour des publics qui sont des vulnérables parmi les vulnérables.

Qu’est-ce que vous appelez des vulnérables parmi les vulnérables ?

Déjà, la question des 18-25 ans est prioritaire. On a là la tranche d’âge la plus représentée au niveau du revenu d’intégration sociale. Avec des chiffres qui montent dans la Région de Charleroi jusqu’à 40 %.

Mais être une femme en rue, c’est encore une vulnérabilité en plus. Être une très jeune femme, avec les parcours terribles en matière de trafic d’êtres humains qui sont souvent les leurs, c’est encore une vulnérabilité en plus. Il y a aussi les MENA (ndlr : Mineurs Étrangers Non Accompagnés) bien sûr. Et un troisième secteur qui passe sous les radars, ce sont les jeunes avec handicap. La question centrale pour tous ces gens, c’est comment favoriser leur autonomie sans qu’ils basculent dans l’errance.

Et comment justement ?

La priorité, pour moi, c’est l’hébergement. Avant la scolarité. L’école ne redevient importante qu’une fois les situations individuelles stabilisées. Et la sécurité offerte. L’école est importante, mais quand on cumule toutes les difficultés propres à ces publics-là, on se rend compte que tant qu’il n’y a pas d’hébergement, il n’y aura pas de sécurité. Moi, je suis un fervent défenseur du Housing First. Et toutes les études démontrent à quel point cela fonctionne bien. Et puis, il y a la question de l’hébergement inconditionnel. Celui qui ne doit pas être trop restrictif dans ses conditions d’accueil.  Malheureusement, à Bruxelles, il y en a très peu. Donc, on se retrouve avec des jeunes qui ont des trajectoires de délinquance et des parcours de vie dans l’ensemble très cabossés, mais des institutions incapables de les prendre en charge par manque de moyens.

Nos institutions travaillent notamment en direction de très jeunes enfants avec parents. Que pensez-vous de l’idée que ces publics soient considérés comme prioritaires en matière de relogement ? 

Il y a tellement de publics précaires aujourd’hui, que la tentation c’est parfois de prioriser. De donner la priorité au « plus pire ». Parfois, cela en devient absurde. Avec les MENA, par exemple, comme il y a un déséquilibre avec les tuteurs, on favorise les situations avec une procédure judiciaire en cours. On peut en rire ou en pleurer, mais il y a des jeunes qui commettent des faits de délinquance pour pouvoir obtenir un tuteur. Tout ça pour dire que c’est toujours dangereux de prioriser.

La question migratoire est centrale parce qu’on sait que la méconnaissance d’une langue est un accélérateur en matière de décrochage scolaire. Comment réintégrer ces jeunes-là par l’école ?

Un accès aux droits compliqué, c’est là encore un accélérateur de vulnérabilité. Le paradoxe, c’est qu’on sait que l’école ouvre à toute une série de droits. Par exemple, un MENA, pour pouvoir avoir accès à une mutuelle, doit être scolarisé pendant trois mois. Normalement, une école ne peut pas refuser une inscription, sauf pour certains motifs. Mais dans les faits, la plupart des MENA qui se présentent dans une école sans tuteur pour les y accompagner se font remballer. Sans possibilité de se défendre, par méconnaissance des règles ou de la langue. La maitrise de cette dernière est centrale. Et on dit qu’il faut sept ans d’immersion pour pouvoir bien maitriser une langue…

Quelles solutions mettre en place pour pallier ce cloisonnement de fait ?

C’est une question compliquée. Surtout si on se concentre sur les jeunes qui ne sont pas scolarisables, qui ne sont jamais allés à l’école, qui ont connu la guerre depuis leur naissance, qui ont fait une route migratoire jusqu’ici et qui sont dans l’errance chez nous aujourd’hui. Scolariser des gens qui n’ont jamais été alphabétisés, c’est très compliqué. Des initiatives existent, mais elles fonctionnent avec très peu de moyens. Je pense à « La Petite École » dans les Marolles. On y pratique un enseignement très soft, mais l’objectif là-bas, c’est la remise en condition. Pour faire en sorte que ces jeunes puissent se resociabiliser. Voilà un type d’expérience probante. Il y en a d’autres. Les dispositifs DASPA (Dispositif d'Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants et Assimilés) par exemple. Là, on travaille avec des publics qui ont été scolarisés dans le passé, mais qui ne parlent pas la langue. Mais c’est un dispositif qui souffre d’un énorme décalage entre l’offre et la demande. Notamment en milieu urbain où il manque cruellement de places. Et puis le gros enjeu aussi, c’est la transition entre ces dispositifs DASPA et l’enseignement ordinaire. Là, il manque quelque chose.

Comment envisager positivement l’avenir dans ces conditions ?

Cela passera par une politique sociale ambitieuse. Par une politique d’accompagnement parental de qualité, bienveillante et qui respecte les choix éducatifs. Par plus d’inclusion à l’école. Plus de démocratie. Plus d’équité. Mais pour ça, il faut parvenir à sortir de cette logique de l’immédiateté. Même s’il faut reconnaitre que sur l’enseignement, avec le Pacte pour un Enseignement d’Excellence, c’est la première fois dans l’histoire récente politique que je vois quelque chose où on est dans une démarche sur du temps long. Et l’horizon aujourd’hui, c’est 2030.

On peut discuter du fond, mais c’est sain parce qu’il y a une vision. Et qu’on ne change pas les choses tous les cinq ans.

L'interview de Solayman Laqdim, nouveau Délégué Général aux Droits de l'Enfant (DGDE).

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans. 900 414 L'Ilot

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans.

Je m’appelle Olivia. J’ai 5 ans.

J’aime beaucoup mon papa, ma maman, mon papy, mes copines. Et Elmer aussi. C’est mon nounours préféré.

Notre maison est super. J’ai une grande chambre pour tous mes jouets. J’aime bien jouer dans ma chambre. Mon Papa m’a fait une cabane. Il est trop fort !

Parfois maman et papa crient. Alors on se cache dans la cabane avec Elmer. J’ai moins peur quand il est là.

Ma Maman me réveille pendant la nuit. Papa dort, je l’entends. Elle dit qu’on part en vacances. Mais alors pourquoi on ne prend pas nos vêtements ? Je serre Elmer dans mes bras. Elle me dit de ne pas pleurer.

C’est tout noir. C’est la nuit. Je me réveille, il y a des lumières et du bruit. Beaucoup de voitures qui vont très vite quand je regarde à gauche.

Maman parle au téléphone, celui qui ne fait pas de vidéos, pas comme celui de Papa. Elle a une drôle de voix bizarre. J’ai quand même envie de pleurer.

Je me réveille, maman dort encore. Elle a mis des draps sur les fenêtres de la voiture.  Comme pour faire une cabane. Je vois des gens dans les trous. Je serre fort Elmer contre moi, je lui dis que tout va bien. J’ai un peu peur. C’est le matin, j’ai froid.

Maman et moi, on se lave dans les toilettes du parking. C’est un jeu, elle dit. On dirait la piscine, mais sans tobogan.

On doit se dépêcher, des gens nous regardent.

Maman me donne un pain au chocolat. Et aussi un jus de pomme. C’est trop bon ! Maman n’a pas faim, elle me dit qu’elle mangera plus tard.

Papy est là. Maman et lui se disputent, il dit que c’est sa faute. Je ne comprends pas tout. Il donne des sous à Maman et me fait un bisou. Papy claque la porte, ça me fait peur.

Maman dit qu’on va dormir encore une fois dans la voiture. Dans un autre parking.

Elle dit que c’est la dernière fois, que c’est promis. Elle a une voix bizarre.

Elle dit que je suis courageuse.

Il y a du bleu autour de son œil.

Et les papas dans tout ça ? 1024 564 L'Ilot

Et les papas dans tout ça ?

Trois maisons d’accueil de L’Ilot, une à Bruxelles et deux autres dans la région de Charleroi, accueillent exclusivement des hommes. Cela ne veut pas dire que les enfants y sont complètement étrangers : beaucoup de pères y sont actuellement hébergés et – tout en veillant au bon équilibre entre le bien-être de l’enfant, ses droits, et l’importance de recréer un noyau familial –, L’Ilot souhaite leur permettre d’y accueillir leur famille dans les meilleures conditions possibles. 

C’est dans cette optique que la maison d’accueil de Jumet a mis en place un « espace parentalité » : pour offrir la possibilité aux papas d’accueillir leurs enfants dans un endroit à part, spécialement pensé pour qu’ils se retrouvent pendant quelques heures et partagent de bons moments.

Équipé d’un salon, d’une cuisine, de sanitaires et de tout ce qu’il faut pour s’amuser ensemble (jouets, télévision, etc.), l’espace parentalité permettra aux papas et à leurs enfants de « rattraper le temps perdu » et recréer des liens loin des difficultés liées à leur parcours de vie.

Le témoignage de Giovanni, résident de la maison d'accueil pour hommes de Jumet.

Le témoignage d'Isabelle, assistante sociale de la maison d'accueil pour hommes de Jumet.

Téléchargez La Kart #3 "Enfance et sans-abrisme"

L’accueil spécifique des enfants à L’Ilot 900 414 L'Ilot

L’accueil spécifique des enfants à L’Ilot

Quand ils arrivent à L’Ilot, les enfants sont parfois considérés par leurs parents comme de simples bagages, des objets secondaires, plus des personnes à part entière. C’est le résultat des nombreuses souffrances que la famille a invariablement traversées avant de trouver refuge dans l’une de nos maisons d’accueil. Si l’amour qui les unit à leurs enfants demeure toujours le plus fort, beaucoup de mères et de pères, noyés dans les problèmes, rongés par les difficultés, envahis par la honte d’en être arrivés là, n’arrivent plus à gérer, n’ont plus la force de faire passer leurs petits en priorité. Mais qui l’aurait ? 

Les équipes sociales de notre association – et plus particulièrement les responsables du soutien à la parentalité et les référents enfants – sont notamment là pour redonner une place aux enfants dans le parcours de leurs parents, qui estiment souvent qu’un bébé ou un enfant en bas âge ne comprend pas grand-chose à la situation traversée. S’il n’a pas encore accès au langage, l’enfant ressent cependant beaucoup de choses : le stress, l’anxiété, l’insécurité… 

En fonction de leur âge, de la relation qu’ils entretiennent avec leurs proches, les enfants arrivent à L’Ilot plus ou moins perturbés par les épreuves qu’ils ont traversées. Certains n’expriment ou ne montrent pas non plus directement à quel point ils sont marqués par les évènements.  

Les professionnel·les sont donc particulièrement attentif·ves aux émotions exprimées, à la place qu’on laisse aux enfants, au respect de leurs besoins (de rythme, de jeux, d’écoute, etc.). Car quand les choses restent taboues, cela entraîne invariablement des conséquences négatives sur la famille. Un important travail est donc réalisé pour libérer la parole des enfants qui fréquentent la maison d’accueil, par le biais d’activités spécifiques et d’entretiens individuels. 

Les enfants, quand tout se passe bien, sont finalement très contents d’être à L’Ilot : il y a plein de copains, des jeux, des activités… C’est la continuité de l’école, un autre petit cocon loin des problèmes. Des liens d’affection et de confiance se créent, avec les éducateurs et éducatrices, d’autres résident·es et leurs enfants. L’équipe doit rester attentive à ce que ces liens n’entraînent pas plus de difficultés au moment du départ : quand on s’attache, il est encore plus difficile de dire « au revoir », de recommencer le processus de reconstruction dans une autre maison d’accueil ou dans son nouveau logement si notre équipe a pu en trouver un pour la famille. Pour palier cela, les activités de soutien à la parentalité peuvent continuer pendant un certain temps après le départ de la famille de la maison d’accueil de L’Ilot. 

Même si les équipes font tout ce qu’elles peuvent pour préserver leur innocence, les enfants sont régulièrement confrontés à la violence, aux crises ou aux problèmes de santé mentale des autres habitants et habitantes de la maison. Les membres de l’équipe socio-éducative peuvent en parler avec eux… à moins que leurs parents refusent, ce qui arrive, malheureusement, assez fréquemment. 

Beaucoup de progrès peuvent encore être faits pour que l’accueil et le séjour des enfants se déroule dans les meilleures conditions possibles, à commencer par des locaux mieux adaptés à leurs besoins spécifiques : il est actuellement impossible, dans la maison d’accueil, d’avoir un entretien avec un parent et / ou ses enfants sans être dérangé ou entendre des gens qui parlent, parfois hurlent, dans le couloir… 

Il est urgent que des moyens structurels soient dégagés pour que les enfants jouissent de locaux entièrement adaptés à leurs besoins et que des initiatives soient mises en place pour les accompagner, les encadrer, de la meilleure des manières dès que leur famille est touchée par la précarité. 

© Illustration Prisca Jourdain

On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance » 900 414 L'Ilot

On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance »

Illustration Prisca Jourdain

Françoise Pissart est directrice Justice sociale et Pauvreté à la Fondation Roi Baudouin. Forte d’une longue expérience des problématiques liées à l’enfance précarisée, elle nous partage son regard sur la situation actuelle, les obstacles qui se dressent face aux familles en situation de sans-abrisme ou de mal logement et les solutions qui pourraient / devraient être envisagées pour définitivement sortir les enfants de la rue. 

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Si l’on devait résumer le lien entre l’enfance et la pauvreté en trois mots… 

Le premier que je choisirais, c’est « déprivation ». Un enfant peut en effet subir l’exclusion sociale parce qu’il est quotidiennement privé d’une série de choses qui vont toucher à la pauvreté économique de la famille dans laquelle il vit et augmenter son sentiment d’exclusion : des habits neufs, des fruits et légumes frais chaque jour, des vacances, des jeux d’intérieur, etc. 

Mon deuxième mot, c’est « injustice ». Un enfant naît là où il naît ; en principe, il devrait avoir les mêmes chances que les autres, mais ce n’est pas toujours le cas. Certains enfants subissent déjà la précarité à la naissance, voire pendant la grossesse. 

Le troisième mot que je sélectionne, c’est « investissement » : on a cru pendant longtemps qu’il suffisait d’accroître le revenu des familles pauvres pour que les enfants s’en sortent. Aujourd’hui, il faut certainement travailler sur cet axe-là mais on peut aussi investir sur l’enfant : essayer de prévoir des moyens spécifiques pour qu’un enfant qui naît dans une famille en situation de pauvreté puisse quand-même bénéficier d’aides au niveau de l’éducation, la santé, etc. Il y a une responsabilité sociale pour l’aider à se préparer un avenir plus glorieux que ce à quoi le déterminisme classique pourrait le prédestiner. 

Les enfants touchés par la précarité, est-ce une question récente ? 

La problématique n’est pas récente. La façon dont on la regarde, par contre, est récente. Parce qu’on se rend compte que ça vaut la peine d’investir sur les enfants. À côté de tout ce qu’on peut faire sur les adultes, il faut regarder les enfants aussi comme un public cible important. Ils sont évidemment touchés par toutes les nouvelles formes de pauvreté auxquelles on assiste aujourd’hui. 

Un des groupes les plus à risque c’est les familles monoparentales : tout ce qui va toucher les mères seules avec enfant(s) va impacter l’avenir de l’enfant. Et les chiffres , même s’ils ne montrent pas l’ampleur et la gravité de la problématique, prouvent bien que ces dernières sont sur-représentées dans la catégorie du sans chez-soi. Nous avons besoin d’une méthodologie de dénombrement commune aux différents pouvoirs publics. Il n’est pas possible de développer une politique efficace si vous n’avez pas de données qualitatives, qui permettent d’analyser les profils des personnes, qui sont très différents. 

Que faire, concrètement, pour améliorer la situation ?

Il est nécessaire de travailler de manière transversale au sein des différents gouvernements, de croiser les niveaux institutionnels, d’œuvrer au niveau local. Mais la Belgique est ce qu’elle est ! On rêve qu’un jour un Premier ministre nous dise « ma priorité, c’est l’enfance ». 

On parle beaucoup de partenariats au niveau local, on dépense beaucoup d’énergie à se mettre en partenariat, mais ce qu’il faut ce sont des moyens qui viennent des différentes compétences. Être pauvre, c’est d’abord ne pas avoir accès à un logement de qualité, aux soins (souvent les mamans se sacrifient pour les enfants), ne pas avoir de loisirs - essentiel, pour tous les enfants, ne pas avoir de parcours éducatif sans problème particulier lié au niveau d’éducation des parents. Tout est dans tout évidemment dans une société, mais ce que nous prônons surtout, ce sont des politique volontaristes et positives : miser sur ceux qui font des choses positives, vouloir les montrer et inspirer les autres. 

Mettre la priorité sur l’enfance, c’est faire des économies pour l’avenir : et ça, c’est un raisonnement qui n’est pas encore assez présent au niveau politique.

Quel regard posez-vous sur le déterminisme social et la dimension générationnelle de la pauvreté ? 

Déterminisme… j’aime bien le mot comme sociologue, moins comme représentante d’une fondation active dans le secteur de la philanthropie. À la Fondation Roi Baudouin, nous préférons miser sur les solutions, regarder les gens qui ont, malgré tout, l’énergie pour faire bouger les choses. 

Il y a aussi des adultes qui ont été pauvres dans leur jeunesse et qui s’en sortent très bien. Quand vous discutez avec des gens, vous êtes parfois assez étonnée de voir qu’ils n’ont pas été gâtés par la vie pendant leur enfance. Cela veut dire qu’il y a des choses qui réussissent, des lieux de support et d’accompagnement qui fonctionnent, des parents qui ne vont pas bien mais qui sont capables de transmettre des éléments d’expérience qui vont aider leurs enfants à s’en sortir, des enseignants qui n’oublient pas au fond de la classe les petits qui ne sont habillés comme les autres… 

Quand on n’a plus d’énergie, qu’on a essayé tellement de choses, qu’on a pris autant de coups (au propre comme au figuré), c’est difficile de rebondir. En même temps, avoir un enfant, ça va aussi vous maintenir la tête hors de l’eau et vous pousser à utiliser les ressources, dont celles proposées par L’Ilot, qui sont essentielles. 

La question s’inscrit de toute façon, de plus en plus, à l’agenda de tout le monde : en Wallonie, un enfant sur quatre vit ce genre de situation. 40 % à Bruxelles ! Ça devient donc une question de société dans son ensemble.

Vous avez évoqué dans cette interview un∙e Premier∙ière ministre avec la casquette « enfance ». Et si, demain, c’était vous ? 

Tout d’abord, je réclame des moyens. Parce que si c’est pour être un « ministère-alibi » ou qu’on demande aux autres d’allouer des moyens marginaux pour la cause ça ne suffira pas. Si un jour on décide de mettre la priorité sur les problématiques liées à l’enfance et à la jeunesse, il faut y mettre les moyens. 

Et pour définir les politiques à mettre en place il faut une vision, partagée et qui repose sur l’expérience des gens qui savent, qui sont en contact avec les personnes. Cela ne sert à rien d’inventer des choses qui ne correspondront pas aux besoins des personnes. 

Il y a des acteurs qui ont des solutions, mais qui ne détiennent qu’une partie de la solution. C’est très bien, ils sont dynamiques, il faut continuer à les soutenir, mais il faut passer à une autre échelle : la problématique est beaucoup plus large que ce que les réponses proposent aujourd’hui. 

Un grand défi pour les publics dont on parle, et les enfants aussi, c’est simplement de les toucher. Il y a parfois des offres qui sont formidables mais qui ne sont pas fréquentées ; en tout cas pas par celles et ceux qui en ont le plus besoin.  On dit toujours qu’il n’y a pas assez de places. Mais si elles existaient, est-ce qu’on toucherait les enfants qui en ont le plus besoin ?

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Enfance et rue : no future ? 900 414 L'Ilot

Enfance et rue : no future ?

Illustration Prisca Jourdain

Mes jeunes années ont été heureuses sur bien des points et elles ont fortement contribué à faire de moi une adulte épanouie et solide. Celles de mon fils et mes deux filles ont suivi et suivent encore le même chemin : scolarité ininterrompue, nourriture équilibrée, fêtes d’anniversaire avec les copains et copines, chambre à soi, entraînement de basket et cours de musique… La norme ? Pas pour tout le monde : beaucoup trop d’enfants, privés de ces besoins fondamentaux, vivent, avec leurs parents, parfois un seul, parfois aucun, en marge d’une société – la nôtre – sans que nous ayons la capacité de répondre à leurs besoins fondamentaux.

Subir l’exclusion alors qu’on n’est encore qu’un nourrisson ? Hors de question ! Et pourtant, cette situation révoltante s’aggrave : on observe une augmentation plus qu’inquiétante du nombre de familles en situation de sans-abrisme. Les derniers dénombrements estiment que 20 % des personnes sans abri sont des enfants ! Et le phénomène, loin de diminuer, s’accélère de manière dramatique. 

De plus en plus de familles sans abri ou en risque de sans-abrisme – souvent portées à bout de bras par des mamans solo – font appel à nos services pour s’en sortir. Mais le manque criant de solutions pérennes que notre secteur peut leur apporter creuse toujours un peu plus le fossé qui les sépare d’un futur digne, dans un chez-soi bien chauffé, avec un frigo suffisamment rempli, sans la menace d’un huissier ni la peur d’une expulsion … 

Mettre en place des réponses adéquates et coordonnées pour les parents, c’est sortir leurs enfants de la boucle du déterminisme social, éviter que la précarité ne se transmette de génération en génération. Car une famille qui n’a pas de logement aujourd’hui risque de mettre des années à sortir de la précarité et tout ce qu’elle entraîne : non accès à une alimentation saine, détérioration de la santé physique et mentale, risque accru de violences conjugales et/ou intrafamiliales, non accès à la culture et aux loisirs, etc. Vivre sans toit, sans droits, c’est la condamnation à un travail de reconstruction extrêmement lourd, quand celui-ci est seulement envisageable. Pour les enfants, c’est aussi le risque d’un parcours scolaire perturbé ou brutalement interrompu, le renoncement aux loisirs, la perte de confiance en soi… L’insouciance et la légèreté font place à la peur et au sentiment d’insécurité. Ces enfants grandissent trop vite et portent dans leur sac à dos des problèmes qui ne devraient pas les concerner.

Je suis persuadée que les solutions durables pour toutes celles et ceux qui sont confrontés au sans-abrisme et au mal logement devront être pensées ensemble. Le décloisonnement sectoriel mais aussi un travail coordonné entre les responsables politiques et les associations de terrain sont plus que nécessaires pour que les droits des femmes, des jeunes ou des enfants soient, un jour, pris en compte et rencontrés dans une dynamique globale. Les lignes budgétaires comme elles sont pensées à l’heure actuelle ne permettent que trop rarement d’avancer dans cette logique d’intersectorialité.

Sans ce travail coordonné, sans moyens financiers conséquents, toujours trop d’enfants continueront à subir la pauvreté et l’exclusion au quotidien, seront privés dans les années à venir de leur droit fondamental au bonheur et à l’insouciance. 

Il en va de notre responsabilité à tous et toutes. Leur avenir est entre nos mains.

Ariane Dierickx, directrice de L’Ilot