• 8 septembre 2025

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité

pauvreté Belgique et placement institutionnel

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité 1024 576 L'Ilot

Visuel : ©OYO

Pauvreté en Belgique : enfants placés pour cause de précarité 

Sommaire :
  • Les chiffres de la pauvreté en Belgique  
    1. Quel est le seuil de pauvreté en Belgique ? 
    2. Un risque élevé de précarité  
    3. Le nombre de personnes sans abri en hausse 
  • Placement institutionnel et pauvreté : une injustice structurelle
    1. Le placement comme conséquence de la pauvreté 
    2. Les droits de l’enfant conditionnés par la pauvreté  
    3. Un échec du système 
  • Comment luttons-nous contre le placement pour cause de précarité ?   

C’est une réalité dont on parle peu, mais qui fracture des vies entières dans l’indifférence : en Belgique, des enfants sont placés parce que leurs mères sont pauvres. À Bruxelles, 87 % des familles monoparentales sont portées par des femmes, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté [1]. Beaucoup n’ont accès qu’à des logements précaires, insalubres, ou des logements aux loyers hors de portée. D’autres n’ont plus de chez-soi. 

Et trop souvent, dans ces situations, l’aide proposée par les institutions n’en est pas une : c’est une séparation, on place l’enfant. Officiellement “pour son bien” ; en réalité, parce que notre société ne leur propose rien d’autre qu’un abandon organisé [2]. La précarité ne devrait jamais être un motif de placement. Pourtant, elle l’est.  

À L’Ilot, nous le constatons tous les jours : les mères qui fréquentent notre centre de jour pour femmes Circé sont confrontées à ce risque. Leur seul “manquement” ? Être sans chez-soi. Il est plus qu’urgent d’agir pour construire une société qui donne aux parents les moyens de retrouver leur(s) enfant(s). 

Les chiffres de la pauvreté en Belgique  

En Belgique, les chiffres de 2024 dressent le portrait d’une situation sociale plus qu’inquiétante. La pauvreté est marquée et se mesure à plusieurs niveaux. 

Quel est le seuil de pauvreté en Belgique ? 

Le seuil de pauvreté désigne un revenu minimal (fixé à 60 % du revenu médian national), en dessous duquel un ménage est considéré comme pauvre. En Belgique, les derniers chiffres de Statbel montrent que le seuil de pauvreté s’élève à 1 520 € par mois pour une personne isolée, et à 3 191 € pour un ménage avec deux enfants. 

seuil de pauvreté Belgique

Le seuil de pauvreté selon le type de ménage en Belgique (source : Statbel)

Un risque élevé de précarité  

D’après une étude de Statbel, plus de 2 millions de personnes courent un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en Belgique. Soit près de 20 % de la population. Près d’un∙e Belge sur dix se trouve en situation de privation matérielle et sociale (Statbel), ne disposant donc pas des ressources suffisantes pour assumer certaines dépenses essentielles de la vie quotidienne (chauffage, accès aux loisirs, etc.). 

Le nombre de personnes sans abri en hausse 

Les chiffres du dernier dénombrement des personnes sans abri ou mal-logées à Bruxelles sont alarmants: 9 777 d’entre eux∙elles vivent sans chez-soi dans la capitale belge (rapport de Bruss’help). Soit une augmentation de 25 % en seulement 2 ans! Une telle expansion du phénomène n’avait jamais été connue jusqu’à ce jour. 

Placement institutionnel et pauvreté : une injustice structurelle  

En Belgique francophone, près de 40 000 enfants sont éloigné·es chaque année de leur famille : placé·es en institution, en famille d’accueil ou dans des services spécialisés [3]. Si certaines situations exigent une protection urgente, un nombre croissant de placements est motivé par la précarité, notamment l’absence de logement stable. 

Le placement comme conséquence de la pauvreté 

Des mères seules, en situation de grande précarité, se voient retirer leur enfant non pas parce qu’elles sont défaillantes, mais parce qu’elles n’ont pas de chez-soi. Le marché locatif privé est inaccessible pour une maman solo émargeant au CPAS où avec un petit revenu. Et attendre un logement social peut prendre des années [4]. Faute de solution intermédiaire, le placement devient une réponse par défaut. 

« L’accueil en dehors du milieu familial peut être nécessaire, mais il ne doit jamais être une réponse à la misère. Or, les enfants vivant dans des familles pauvres sont surreprésentés dans les séparations. C’est une injustice structurelle. » 

  Benoît Van Keirsbilck, Directeur du Service droit des jeunes de Bruxelles 

Lorsqu’une mère seule perd la garde de son enfant parce qu’elle n’a pas de logement stable, c’est une double injustice : pour elle-même comme pour l’enfant. Car le placement ne marque pas la fin d’un épisode difficile, il en ouvre souvent un autre, plus long, plus complexe et plus douloureux. Et quand un·e premier·e enfant a été éloigné·e, la suspicion s’installe. Le regard des institutions devient plus lourd, le risque de placement d’un·e autre enfant s’accroît, même sans événement déclencheur.  

Dans cette spirale, ce n’est pas la violence qui condamne les mères. Ce n’est pas la négligence. C’est la pauvreté, l’isolement, l’instabilité résidentielle. Et ce sont précisément les femmes les plus vulnérables qui se retrouvent confrontées à cette mécanique implacable. 

« L’erreur, c’est de ne pas avoir d’appartement. »  

Isabelle, mère seule, citée par Alter Échos [5] 

Les droits de l’enfant conditionnés par la pauvreté  

La Convention internationale des droits de l’enfant garantit à chaque enfant le droit de vivre dans sa famille, sauf en cas de danger grave [6]. Et la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé à plusieurs reprises : la pauvreté ne peut, à elle seule, justifier une séparation familiale [7]. 

Pourtant, dans les faits, les enfants de familles pauvres — en particulier celles et ceux de mères seules — sont surreprésenté·es dans les placements. Loin de les soutenir, le système fragilise davantage ces femmes, et interprète leur vulnérabilité comme une incapacité parentale [8]. 

« Être une femme sans abri ou mal-logée, c’est déjà être jugée ‘mauvaise mère’ par défaut. »  

AGORA, Précieux enfants, 2020 [9] 

Un échec du système  

À Bruxelles, 87 % des familles monoparentales sont dirigées par des femmes, dont un quart vit sous le seuil de pauvreté [10]. Elles cumulent les fragilités (rupture familiale, emploi instable, violences passées, non-recours au droit, etc.), mais sont les premières pénalisées, les dernières soutenues. Le système social, en théorie protecteur, punit leur pauvreté au lieu de la combattre.  

Selon AGORA, Vie Féminine et la Ligue des droits humains, les mères précaires font l’objet d’une stigmatisation récurrente, renforcée par des jugements subjectifs liés au genre, à l’origine sociale ou culturelle [11]. Les mères seules sont ainsi discriminées dans les décisions de placement.  

« Une mère dort avec son enfant ? C’est jugé anormal. Elle ne pleure pas ? Elle est froide. Elle pleure trop ? Elle est instable. Tout devient suspect. »  

Service AGORA, Précieux enfants, 2020

 Les mères qui demandent de l’aide sont souvent celles qui entrent dans le viseur des services sociaux. Parce qu’elles sont visibles, parce qu’elles craquent, parce qu’elles maîtrisent mal la langue ou peinent à expliquer leur situation. Leur vulnérabilité devient soupçonnée, scrutée, sanctionnée. 

De nombreuses mères témoignent d’un effet de spirale : la perte d’un logement entraîne le placement d’un·e enfant, puis d’un·e second·e. Les institutions développent une logique de suspicion durable. La demande d’aide, les larmes, le repli, les erreurs d’expression ou de gestion deviennent des signaux “d’alerte”. 

Une question se pose : pourquoi n’y a-t-il pas plus de logements publics pour les mères précaires ? La Belgique ne consacre que 6,7 % de son parc immobilier au logement social, contre 16 % en moyenne dans l’Union européenne [12]. À cette carence s’ajoute le fait que les femmes seules avec enfants ne sont pas toujours prioritaires, malgré leur extrême vulnérabilité. 

Trouver un logement avec un revenu compris entre 1 300 € et 1 700 € (minima sociaux en tant que personne isolée ou avec des enfants à charge) relève de l’impossible, a fortiori à Bruxelles. Les listes d’attente pour un logement social s’allongent d’année en année, et le manque de places en maison d’accueil pour femmes en difficulté est criant. Mais dans les décisions judiciaires, le manque de logements est souvent présenté comme un motif objectif de placement. 

Être pauvre ne devrait jamais suffire à justifier une séparation. Car ce n’est pas seulement une mère qu’on éloigne : c’est un·e enfant qu’on arrache à son quotidien, à sa fratrie, à son quartier, à son école, à ses amis… Un·e enfant qui, souvent, ne comprend pas. Qui se sent puni·e, abandonné·e, trahi·e. 

Comment L’Ilot lutte contre le placement pour cause de précarité ?  

Quand la pauvreté devient un motif de séparation, ce n’est plus de la protection. C’est une injustice. Quand elle empêche une famille de se reconstruire, c’est une faillite collective. 

Nous ne participerons pas à une société qui arrache les enfants à la misère pour mieux la perpétuer. Nous nous battrons pour une société qui donne aux parents les moyens de retrouver leur(s) enfant(s). 

À L’Ilot, nous savons qu’un logement peut faire la différence entre une rupture et une reconstruction. Nous savons que des centaines de mères accompagnées à Circé ou dans nos autres services d’accueil ou d’hébergement cherchent à renouer avec leurs enfants. Nous savons que nos maisons d’accueil, nos ateliers “café parents”, nos activités mères-enfants, etc. restaurent des liens fragiles, mais vivants. 

Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi nous travaillons et plaidons pour :  

  • l’élaboration d’un centre d’expertise « Genre, précarité et travail social », afin de mieux comprendre les réalités des femmes les plus précarisées et de former les professionnel·les des secteurs du social à ces enjeux spécifiques ; 
  • la création de logements accessibles à loyers modérés, pensés pour des familles fragilisées, notamment produits par L’Ilot avec ses partenaires ;
  • la transformation des espaces communs de nos maisons d’accueil en studios individuels, plus respectueux de l’autonomie et du lien familial ;
  • le renforcement de la priorité claire au logement pour les mères seules, afin d’éviter des placements injustes ; 
  • la fin des politiques qui punissent les femmes pauvres au lieu de les soutenir.

Être victime ne devrait jamais être une faute. 

Sources et ressources  

  • [1] Ligue des familles, Recherche-action sur les attentes et les besoins des familles monoparentales, 2022
  • [2] Axelle Magazine, Placements abusifs d’enfants : pour leur bien ? – 2022 
  • [3] Défense des Enfants International – Belgique, Entretien avec Benoît Van Keirsbilck, 2022 (voir aussi notre interview) 
  • [4] Baromètre des loyers, Région de Bruxelles-Capitale, 2024 
  • [5] Alter Échos, Maman et bébé sans domicile fixe, 2023 
  • [6] Convention internationale des droits de l’enfant, ONU, art. 9 
  • [7] Convention internationale des droits de l’enfant, ONU, art. 9 ; Cour européenne des droits de l’homme 
  • [8] Ligue des droits humains, Le placement – chronique d’une séparation annoncée, 2023
  • [9] Service AGORA / Lutte contre la pauvreté, Précieux enfants, 2020 
  • [10] Ligue des familles, Recherche-action sur les attentes et les besoins des familles monoparentales, 2022 
  • [11] AGORA, Précieux enfants, 2020 ; Vie Féminine, Aide à la jeunesse aveugle aux violences faites aux femmes, 2023 ; LDH, Le placement, 2023 
  • [12] Housing Europe, The State of Housing in the EU 2023 
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