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  • 5 avril 2024

KART #8 | Basculement et sans-abrisme : « Je pensais que je serais heureuse, comme tout le monde »

KART #8 | Basculement et sans-abrisme : « Je pensais que je serais heureuse, comme tout le monde »

KART #8 | Basculement et sans-abrisme : « Je pensais que je serais heureuse, comme tout le monde » 1024 576 L'Ilot

Photo : © Layla Aerts

Dans le coeur battant de nos villes, derrière les façades lumineuses et les vitrines scintillantes, se cachent des histoires invisibles à l'œil nu, des vies éclipsées par l'ombre du sans-abrisme. Parmi ces récits, celui d’Isabelle, à la rue depuis ses 16 ans. Elle en a aujourd’hui 52. Comme tout le monde, elle espérait une vie heureuse, avoir un boulot, un foyer, une vie normale. Jusqu’au énième point de bascule : la séparation avec son conjoint infidèle, la découverte des loyers impayés, l’expulsion et, à nouveau, la violence de la rue.

À travers le témoignage poignant d’Isabelle, L’Ilot cherche à rappeler que « ça n’arrive pas qu’aux autres » et que des personnes que rien ne destinait à l’errance et à la précarité peuvent également basculer dans le sans-abrisme. Isabelle partage avec nous son parcours de vie, marqué par les épreuves : la perte de son père, son soutien constant malgré sa maladie d’Alzheimer, la violence et l'abus auxquels elle a été confrontée, et son combat pour continuer à espérer et à avancer malgré le désespoir.

ON NE CHOISIT PAS LA RUE, ON SUBIT UN POINT DE BASCULE.

L’offre d’accompagnement globale proposée par L’Ilot permet de briser ce cercle destructeur, offrant non seulement un toit mais aussi un accompagnement pour reconstruire des vies brisées. L'histoire d’Isabelle, bien que marquée par des moments de profonde détresse, est aussi une histoire d’espoir et de guérison grâce à l'intervention de L’Ilot. Aujourd’hui, Isabelle est une usagère régulière du Centre de jour pour fxmmes sans abri Circé de L’Ilot où elle peut entre autres prendre une bonne douche, se reposer ou bénéficier d’un accompagnement psychosocial dans un espace sécurisé et apaisant.

Photos : © Layla Aerts

« C’est la première fois que je me retrouve seule en rue et pourtant cela fait 30 ans que j’y suis. »

Le basculement, c’était il y a seulement quelques semaines. Jusque-là, je vivais dans la rue avec mon papa. Il a 72 ans et il m’a toujours aidée. Cela faisait déjà quelques années qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer, mais il était toujours à mes côtés.

Ensemble, avec sa petite pension et ma mutuelle, on arrivait encore à se payer une nuit d’hôtel de temps en temps. Mais il y a quelques semaines, à la suite d’un arrêt cardiaque, il a été hospitalisé à César de Paepe. Aujourd’hui, il est paralysé des jambes et je vis seule.

C’est la première fois que je me retrouve seule en rue et pourtant cela fait 30 ans que j’y suis. Avant d’être avec mon père, j’étais avec un compagnon, Sofiane, rencontré dans la station de Métro Botanique. Il était violent et il m’a entrainée à prendre de la drogue. Il est finalement décédé il y a deux ans. Un an après ma mère. Son décès, ça a été un autre choc.

Il y a quelques semaines je me suis donc retrouvée seule en rue pour la première fois. Ce qui m’a amenée à faire une tentative de suicide à la suite d’un viol que j’ai subi. Je dormais dans un hôtel et j’ai été abordée en rue par une femme enceinte de huit mois. Je lui ai dit qu’elle pouvait venir avec moi à condition de venir seule. Je n’allais tout de même pas laisser une femme enceinte de huit mois en rue…

Finalement, elle est venue avec quelqu’un qu’elle m’a présentée comme étant son cousin. On entre dans la chambre, ils vont à la salle de bain et ils m’appellent. J’avais déjà compris. Je suis entrée, ils ont fermé la porte. Je me suis fait tabasser la gueule, elle s’est assise de tout son poids sur mes jambes et lui m’a violée. Dans la foulée, j’ai essayé de me foutre en l’air, mais je me suis manquée.

« Sans L’Ilot, je serais morte. Circé m’a sauvé la vie. »

Depuis, et sans L’Ilot, je serais morte. Vous m’avez sauvé la vie. Circé m’a sauvé la vie. Je m’y sens protégée. L’écoute n’est pas la même, on peut se parler vraiment. Les travailleuses voient quand je ne suis pas bien. Quand j’ai le cafard. Quand j’ai envie de pleurer ou que j’ai des idées noires. Clairement, je ne serais pas encore prête pour fréquenter des hommes.

Mais j’avance quand même. Dans quelques mois, on m’a téléphoné récemment, je vais récupérer un logement. Je suis la première sur la liste. Ça va me permettre de reprendre une vie normale, comme les gens normaux. Ça n’a pas de prix. Je pourrai recevoir mes enfants, mes petits-enfants. Mon seul souhait aujourd’hui, c’est d’être entourée.

« Mes filles pensent beaucoup à moi, ce sont les premières à me téléphoner. »

Dans mon malheur, j’ai cette chance. C’est que je n’ai jamais perdu de contact avec mes parents qui se sont toujours bien occupés de mes enfants pendant toutes ces années de rue. Aujourd’hui, grâce à eux, je suis grand-mère de deux petits garçons et de deux petites filles. Mes filles pensent beaucoup à moi, ce sont les premières à me téléphoner : « Maman, où tu es ? Où est ce que tu dors ? Est-ce que tu as besoin d’argent ? »

Si elles avaient les moyens, elles me prendraient avec elles à la maison. Elles ne m’ont jamais jugée. Quand je les ai eues, j’étais si jeune. Ma première quand j’avais 17 ans. J’étais encore chez mes parents, puis j’ai eu ma deuxième petite, dans mon chez-moi. Un petit appartement, mais avec tout ce qu’il me fallait. Je pensais que je serais heureuse, comme tout le monde. Et puis j’ai tout perdu et ça m’a cassée. Ça a été dur. Mon compagnon qui avait tous pris sous son nom, ne payait plus. Et il me trompait. On s’est quittés et je suis devenue le père et la mère de mes enfants. Depuis, je vis sur la moitié d’un cœur depuis des années, mais je continue de me battre.

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