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  • 10 octobre 2022

Kart #4 | En rue, la violence est quotidienne

Kart #4 | En rue, la violence est quotidienne

Kart #4 | En rue, la violence est quotidienne 1024 576 L'Ilot

Illustration Gérard Bedoret

Philip De Buck, directeur du Centre de jour de L’Ilot à Saint-Gilles, croise tous les jours des personnes sans abri victimes de la violence extrême qui peut sévir dans la rue. Il se souvient de plusieurs usagers et usagères avec des fragilités diverses et des solutions qui ont été mises en place par notre association pour les soutenir.
Quelle est l’importance du Centre de jour de L’Ilot pour les personnes vivant en rue ?

C’est un rendez-vous quotidien, stable, avec des horaires. On peut y trouver un peu de répit, manger un repas, prendre une douche, parler à quelqu’un… Ça apporte un certain cadre dans des vies souvent mouvementées et difficiles. Nous offrons également la possibilité aux personnes sans abri de participer activement à la vie quotidienne du Centre de jour, ce qui contribue beaucoup à retrouver une estime de soi.

Les services de première nécessité permettent aux personnes de sortir de l’urgence : manger, se laver, se reposer. Mais ils servent aussi d’accroche à l’équipe sociale qui peut, une fois que des liens de confiance ont été tissés avec la personne, entamer un travail psychosocial centré sur les autres besoins de la personne : remise en ordre administrative, recherche d’un logement, etc.

À quel point le public du Centre de jour est-il confronté à la violence ?

Déjà, dans la rue, on ne dort pas. Ou peu. Ou mal. Et quand on est privé·e de sommeil pendant plusieurs jours, on pète les plombs. Et c’est foutu pour longtemps. Dès qu’on expose sa vulnérabilité, on se fait tomber dessus. Si tu es affaibli·e, les autres te bouffent. Et on ne parle pas de « duel à la loyale », en face à face. La personne qui frappe ne veut pas prendre de risque : on te précipite sur les rails, on te pousse dans un escalier… En rue, la violence est partout tout le temps. Et elle tue. A petit feu, ou brutalement.

Comment accompagnez-vous celles et ceux qui doivent affronter cette violence quotidienne ?

Un service social, cela ne peut pas être rigide. Il faut multiplier les approches et diversifier les compétences. On réunit un maximum de conditions pour s’assurer de créer un lien avec la personne. C’est souvent un travail de longue haleine.

Je me souviens d’un gars qui a fréquenté le Centre de jour pendant deux ou trois ans. Il montrait des signes aigus de paranoïa et avait des accès de violence incroyables. L’équipe sociale a énormément travaillé, au jour le jour, pour le canaliser, éviter les conflits entre lui et les autres usagers et usagères. Ils ont déployé d’énormes efforts en matière de communication non-violente, sans jugement et avec empathie. Cela a fini par payer : on lui a un jour parlé d’une mise en logement – alors qu’il n’avait même pas encore entamé de suivi psychosocial – et son visage s’est éclairé, il a changé du tout au tout. Il a fallu trouver la bonne accroche, la seule thématique qui permettait d’avoir une conversation apaisée avec lui. À ma connaissance, il occupe toujours son logement et n’est jamais retourné en rue.

Arrivez-vous à accompagner efficacement toutes les personnes qui fréquentent le Centre de jour ?

Malheureusement non. Il y a des jours où l’on rentre chez soi en sachant que tel ou telle va passer la nuit en rue. On voit également des personnes décliner sans pouvoir leur apporter de solution. On est désarmé.

Et cela arrive tous les jours : je viens d’être interrogé par la police à propos d’un jeune homme, la trentaine, qui fréquentait le Centre de jour jusqu’à il y a peu. Il arrivait souvent le visage tuméfié et en sang, victime de passages à tabac de la part de dealers à qui il devait de l’argent. On est désormais sans nouvelle de lui, on ne l’a plus vu depuis des jours. Des usagers du Centre m’ont raconté qu’il était allé rejoindre sa sœur au Venezuela… C’est impossible, il n’a pas de papiers d’identité ! Un avis de disparition a été publié mais je crains qu’il ne soit décédé...

Quelles solutions peuvent, selon vous, être développées pour mettre fin à ce genre de situation ?

Prôner la mise en logement prioritaire, le principe du « housing first », offrirait la possibilité à beaucoup de personnes de reprendre leur vie en main. Avoir un toit permet de se réorganiser, se poser, reprendre ses esprits… Et quand on vient de la rue, juste se poser, ça peut prendre des semaines. L’Ilot développe à cet effet de nombreux projets focalisés autour du logement : projets immobiliers avec des investisseurs sociaux, captation de logements privés, gestion de projets permettant l’occupation temporaire dans des bâtiments inoccupés ou en attente de rénovation, aide à l’installation en logement, accompagnement social à domicile  pour favoriser le maintien en logement des personnes récemment relogées, etc..

L’Ilot, via ses Maisons d’accueil ou le Centre de jour, est régulièrement sollicitée pour sensibiliser les services publics (hôpitaux, commissariats de quartier, CPAS, etc.) aux particularités du sans-abrisme et au travail des équipes de terrain. Le maintien et le développement de ces collaborations devrait garantir, à terme, une meilleure prise en compte et compréhension des enjeux liés au sans-abrisme.

Les femmes et les enfants victimes de violence

Les femmes et les plus petits qui fréquentent notre Maison d’accueil pour familles avec enfants à Bruxelles sont régulièrement, dans leurs parcours respectifs, confrontés à de la violence : violences conjugales ou intra familiales, agressions sexuelles, harcèlement, etc. Il est primordial de pouvoir offrir un suivi personnalisé à chacun∙e, en fonction de ses besoins.

Valérie, assistante sociale de la Maison d’accueil pour familles avec enfants, témoigne : « On n’a pas de feuille de route, ce serait juste horrible. On traite chaque situation de manière individuelle, en respectant les demandes de la personne. On travaille également étroitement avec des services spécialisés, comme l’Assistance Policière aux Victimes ou le Centre de prévention de violences conjugales. Une partie de l’équipe est également formée à l’accompagnement des enfants victimes de violences conjugales et intrafamiliales. »