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  • 29 mai 2024

Expulsions domiciliaires : fabrique à sans-abrisme.

Expulsions domiciliaires : fabrique à sans-abrisme.

Expulsions domiciliaires : fabrique à sans-abrisme. 1024 576 L'Ilot

Ce qui définit une personne sans abri, une personne sans chez-soi, c’est précisément le fait de ne pas disposer d’un logement à soi. Très souvent, on arrive dans cette situation suite à une expulsion de son logement. L’événement n’est pas anodin. Devenir une personne sans abri c’est être soudainement exposée à un très grand nombre de problèmes qui auront des impacts durables sur les personnes concernées. Tout le monde est conscient de ce problème et c’est notamment pour cela que les pays européens ont signé un accord ambitieux à Lisbonne visant à mettre fin au sans-abrisme.

Pourtant, et c’est un réel paradoxe, les expulsions continuent à se faire à un rythme industriel. C’est dû au fait que globalement le monde de la justice reste dans une vision sur le logement qui n’a pas été mis à jour : leur premier objectif reste de garantir l’application stricte des contrats plutôt que le droit constitutionnel à un logement décent pour toutes et tous.

Les chiffres à Bruxelles

À Bruxelles, il y a 11 jugements d'expulsion qui tombent chaque jour de l'année. C'est près de 4.000 par an. Et ce n'est que la partie immergée de l'iceberg, car il y a aussi toutes les expulsions cachées : des gens sont mis à la porte de chez eux sans aucun passage devant la justice et sans possibilité de se défendre.

Dans 6 cas sur 10, le jugement est rendu en l'absence du locataire, qui n'aura donc pas eu l'occasion de se défendre.

Quand le propriétaire est lui absent à l'audience, l'affaire n'est alors pas traitée. Le système est ainsi fait qu'il protège d'avantage le propriétaire d'une perte d'argent que le locataire de la perte d'un droit fondamental : le logement.

C'est pourtant inscrit dans la constitution belge :
"Art. 23
Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
[…] à cette fin, la loi, les décrets ou les règles garantissent, les droits économiques, sociaux et culturels. Ces droits comprennent notamment :
[…] le droit à un logement décent;"

Les conséquences des expulsions

Être expulsé⋅e ce n'est pas anodin : trouver un logement abordable pour les petits revenus est devenu strictement impossible à Bruxelles. Il y a donc une impossibilité de retrouver du logement sur le marché privé pour ces publics. Or les logements sociaux sont eux complètement saturés : avec plus de 50.000 foyers sur la liste d’attente, il faut 5, 10 ou même 15 ans, selon les profils, avant de se voir proposer un premier bien.

Dans ces conditions, l’expulsion est synonyme de début du sans-abrisme : accueil en hébergement d’urgence, logement chez des amis ou même arrivée à la rue.

Les études ont aussi montré les conséquences psychologiques sur la santé des personnes concernées, notamment chez les enfants, que cette insécurité marquera durablement. Quand un logement peut être retrouvé dans l’urgence de la situation c’est quasi toujours un logement qui impose de gros changements : on doit souvent changer de quartier, perdre son cercle social, ses soutiens, l’école de ses enfants…

Ces éléments dessinent une situation particulièrement épineuse pour les familles avec plusieurs enfants : ces publics ne sont pas protégés des expulsions, que du contraire même, mais subissent en plus des conséquences négatives encore plus importantes lorsqu’expulsées : impossibilité de retrouver du logement, impact délétère sur l’équilibre des enfants et leur scolarité... Cela peut enfin amener à la création de boucles de reproduction sociale : dans le public sans abri, certains ont commencé leur itinéraire de rue durant leur enfance sans parvenir à en sortir une fois l’âge adulte atteint.

Vidéo avec Pernelle Godart, chercheuse à l'ULB.

Vidéo avec Adèle Morvan, travailleuse sociale à S.Ac.A.Do.

Une question de Justice (sociale)

Certains pourraient être tentés de voir là une forme de Justice : si on n’honore pas correctement le payement de son loyer, on « mériterait » d’en subir les conséquences. C’est méconnaitre les enjeux du logement en termes de justice sociale : locataire forcé toute sa vie, une personne précaire aura dépensé en moyenne plus d’argent pour son logement à la fin de sa vie qu’une personne plus aisée, alors même qu’elle aura résidé dans des logements beaucoup moins qualitatifs, quand ils n’étaient pas carrément insalubres. Sans compter sur une réalité méconnue : se faire expulser coute beaucoup d’argent car une partie du cout de l’expulsion est facturé à la personne expulsée qui subit ainsi la double peine.

Une pratique discriminatoire

Les chiffres montrent que vous êtes plus susceptibles d'être expulsé⋅e si vous êtes d'origine étrangère, si vous avez des enfants, si vous êtes pauvre, si vous êtes noir⋅e. De plus, ces conséquences ne s'additionnent pas : quand vous cumulez ces caractéristiques, elles se multiplient.

Les mêmes personnes qui sont donc déjà les plus discriminées sur le marché du logement vont se retrouver être aussi les plus susceptibles d’être expulsées. Pourtant, leur accès difficile à ce marché devrait constituer une raison de protection supplémentaire contre l’expulsion. Ce n’est malheureusement pas le cas, ce qui a conduit UNIA à rédiger un avis relatif à la question dans laquelle l’institution rappelle ces balises et insiste sur les risques de discrimination dans les jugements d’expulsions.

Vidéo avec Anaïs Lefrère, collaboratrice d'Unia.

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