Jeunes et sans-abrisme, comment en parler ? La réalité est si complexe. Chaque jeune a son parcours et ses problématiques propres. Il n’y a pas de « one size fits all », de solution standard qui s’appliquerait indifféremment à tous et toutes. Et ne traiter que la question du logement ne suffit pas.
Car un·e jeune sans abri, c’est un·e jeune qui est en rupture familiale, ou scolaire, ou les deux. Il ou elle a peut-être subi des violences ou est né·e dans un foyer en grande précarité, ou les deux. Il ou elle est chargé·e de son bagage de traumatismes, est peut-être passé·e par la case délinquance pour survivre ou s’est réfugié·e dans l’alcool ou la drogue pour échapper à sa situation, ou tout à la fois.
Derrière ce terme « jeunes », il peut donc y avoir une très jeune femme qui s’est enfuie d’un foyer violent, un mineur non accompagné arrivé en Belgique après une migration douloureuse et traumatisante, un jeune homme dont le nouveau beau-père ne voulait plus après un remariage, ou une jeune fille avec un léger handicap que la famille n’a pas comprise ou a rejetée. Il peut aussi y avoir cet enfant ayant grandi dans une famille en difficulté, pris en charge par l’Aide à la Jeunesse, devenu de plus en plus opposé à toute forme de prise en charge institutionnelle, en conflit avec un « système » perçu comme trop peu à l’écoute, trop cadrant, trop figé... et, indirectement, trop violent aussi.
Durant son parcours de vie, les adultes qui devaient le ou la porter ont failli. Le ou la jeune se sent abandonné·e voire rejeté·e par la société et c’est bien compréhensible. Cette société lui demande à la fois de se prendre en charge de plus en plus tôt, tout en ne lui donnant pas les moyens de le faire. Les jeunes doivent gagner leur vie, payer leur logement, s’assumer en somme : mais il n’y a plus d’emploi et les loyers sont trop élevés. Faut-il encore préciser que la COVID et ses conséquences n’ont fait qu’aggraver la situation ?
Un·e jeune qui n’a pas de logement fixe, c’est un·e jeune qui fait face à trois errances : physique (d’un lieu à l’autre), institutionnelle (d’un service à l’autre) et psychologique (d’une situation insécure à une autre, sans port d’attache). Ces jeunes dorment tantôt chez des ami·e·s, tantôt dans des lieux publics (la rue, une station de métro, un cinéma, etc.), tantôt en hébergement social... Ils et elles s’éloignent des institutions (et donc du recours à leurs droits) car celles-ci sont devenues inaccessibles, inappropriées et synonymes de violences. À L’Ilot, nous parlons ainsi de jeunes en errance plutôt que de jeunes sans abri. Parce que ces jeunes sont constamment en mouvement et se méfient des structures institutionnelles, les accompagner est particulièrement difficile.
C’est pourquoi, fin 2020, nous avons participé activement à la création du centre de jour Macadam pour jeunes en errance, qui a ouvert ses portes en juillet 2021. Macadam a précisément pour mission de créer un point d’ancrage, un endroit où ces jeunes pourront venir et revenir, se poser et se reposer et où une relation de confiance pourra se tisser. Afin de prendre en compte la réalité complexe de chacun·e de ces jeunes, ce projet a été créé dans une démarche intersectorielle avec des acteurs des secteurs du sans-abrisme, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse, de la lutte contre les inégalités et de la santé mentale (Le Méridien, Le Forum Bruxelles contre les Inégalités, la Ligue bruxelloise pour santé mentale, les AMO Cemo, Abaka et SOS jeunes).
Car la situation, malheureusement, se détériore d’année en année : non seulement le nombre de jeunes en errance ne cesse de croître, mais ils et elles sont confronté·e·s au sans-abrisme aussi beaucoup plus tôt dans leur parcours de vie. Rien qu’à Bruxelles, cela concerne plus de 900 mineur·e·s, une augmentation de 50,7 % par rapport à 2018 !
Mais nos équipes restent optimistes et déterminées : il est hors de question de laisser tomber notre jeunesse. Les pistes de travail sont claires : créer des lieux désinstitutionnalisés où les jeunes peuvent dire en toute liberté qui ils et elles sont, comment ils et elles se projettent dans la vie ; travailler en intersectorialité pour mieux les accompagner dans la globalité et la complexité de leur parcours et dans la spécificité que représente l’étape « jeunesse » ; les écouter et leur permettre de participer aux solutions qui les concernent. Nos jeunes, ces jeunes en particulier, doivent pouvoir retrouver la place qui devrait être la leur dans la société : celle de l’espoir et de l’avenir. Pour cela, nous devons pouvoir les regarder et les considérer comme des personnes et non comme des problèmes.
Il est urgent que les acteurs et actrices de la vie politique recréent de la confiance en les écoutant, plutôt qu’en leur imposant une vision de la société qui ne leur correspond pas.
Car il s’agit de leur redonner leur dignité et leur place dans notre société. Ces jeunes le méritent. Collectivement, nous ne pouvons pas, à nouveau, leur faire défaut.
Ariane Dierickx, Directrice générale de L’Ilot
Bernard de Vos, Délégué général aux droits des enfants
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